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Dessiner grâce au cerveau droit - Betty Edwards http://www.drawright.com/ http://www.dessinoriginal.com/boutique/fiche_produit.cfm?type=25&ref=LIV_2870098 006&code_lg=lg_fr&pag=1&num=1&tri=0&marq=0
1. Le dessin et l’art de rouler à bicyclette 2. Le dessin comme moyen d’expression : le langage non verbal de l’art 3. Votre cerveau côté gauche et côté droit 4. Une première expérience de la conversion cognitive gauche droite 5. Evocation d’un dessin d’enfant 6. Votre symbolique : à la rencontre des bords et des contours. 7. La forme des espaces: l’aspect positif des espaces négatifs 8. Coup d’oeil à la ronde: la perspective sur un mode nouveau 9. Répétition générale: la place des proportions 10. De face et de profil: le portrait sans peine 11. Passage à la troisième dimension: voir la lumière pour dessiner les ombres 12. Le Zen du dessin: la révélation de l’artiste Postface - A l’attention des professeurs et des parents - A l’attention des élèves des Beaux-Arts
Glossaire Bibliographie Index
2 Préface Dessiner grâce au cerveau droit est le fruit de dix ans de recherches orientées vers l’élaboration d’une nouvelle méthode pour enseigner le dessin à des individus d’âges et d’occupations divers. C’est au départ d’une véritable énigme que je me suis décidée à entreprendre ces recherches ; pourquoi le dessin, alors qu’il me semble si facile et si agréable, paraît-il si compliqué à mes élèves ? Depuis très longtemps, depuis l’âge de huit ou neuf ans peut-être, je dessine correctement. Je pense être l’un de ces enfants qui, fortuitement. découvre une manière particulière de voir qui lui permet de bien dessiner. Petite encore, quand je voulais dessiner quelque chose, je me disais : « Tu n’as qu’à faire ‘cela’ ». Je n’ai jamais pu définir ce que ‘cela’ signifiait mais je sais qu’il fallait que je fixe du regard pendant un moment ce que je voulais dessiner avant que cela se produise. Je pouvais alors dessiner mon sujet avec une adresse surprenante pour mon âge. On a beaucoup encouragé mes dispositions pour le dessin. Je m’entendais souvent dire: « N’est-ce pas merveilleux ce don artistique chez Betty ? Sa grand-mère déjà faisait des aquarelles, vous savez, et sa mère est elle-même très douée. Il doit s’agir d’une aptitude naturelle, je suppose — un don particulier ». Comme tous les enfants de mon âge,j’adorais être complimentée pour mon apparente singularité et j’étais bien près de croire ces éloges. Mais au fond de moi-même, je sentais que ces compliments étaient déplacés. Je savais qu’il était facile de dessiner et que n’importe qui pouvait y arriver à condition de regarder les choses d’une certaine manière. Des années plus tard, lorsque j’ai débuté dans l’enseignement, j’ai tenté de communiquer cette conception du dessin à mes élèves. Ma démarche a remporté peu de succès et, à mon grand désespoir, dans une classe d’une trentaine d’élèves, quelques- uns seulement apprenaient à bien dessiner. J’ai alors essayé de m’observer intérieurement, cherchant à savoir ce que je faisais pour voir les choses différemment quand je dessinais. Je me suis également placée du point de vue des élèves. J’ai alors remarqué que les rares étudiants qui avaient réussi à apprendre le dessin ne s’étaient pas améliorés progressivement mais plutôt de manière subite et radicale, Une semaine ils en étaient encore à tâtonner avec des images stéréotypées et infantiles et la semaine suivante ils dessinaient correctement. Je me moquais des élèves : « Que faites-vous donc de plus aujourd’hui pour ne plus commettre les erreurs de la semaine passée ? ». Presque invariablement, les élèves répondaient simplement qu’ils « se contentaient de regarder les choses ». Je pouvais leur poser autant de questions que je voulais, ils n’arrivaient pas à trouver les mots pour décrire précisément ce qui avait changé dans leur manière de faire. J’ai alors découvert un nouvel indice. J’ai toujours eu recours aux démonstrations pendant mes cours, pour expliquer à mes élèves ce que je faisais — ce que je regardais, pourquoi je dessinais les choses de telle façon. II m’arrivait souvent de m’arrêter au milieu d’une phrase. J’entendais ma voix s’interrompre et je voulais reprendre ma phrase, mais je devais faire un effort terrible pour trouver les mots — et de toute façon, je ne le souhaitais plus. Enfin, me ressaisissant,je reprenais mon exposé — et je m’apercevais alors que j’avais perdu le contact avec mon dessin qui, subitement, me paraissait compliqué et difficile. Cette nouvelle découverte allait me mettre un peu plus sur la voie: je pouvais soit parler soit dessiner, mais je ne pouvais pas faire les deux à la fois.
3 D’autres indices allaient se présenter, souvent par hasard, qui me feraient comprendre le mystère. Un jour, alors que mes élèves peinaient sur un dessin de personnage, j’ai fait circuler un dessin de maître et j’ai eu soudain l’idée de leur faire copier ce dessin à l’envers. Ils ont placé la reproduction la tête en bas et l’ont copiée de cette façon. A ma grande surprise, et à celle des élèves, les dessins étaient excellents. Je n’y comprenais rien. Les lignes, après tout, restaient les mêmes, que l’image soit à l’envers ou à l’endroit. Pourquoi fallait-il que les élèves dessinent plus facilement une image orientée de manière inhabituelle ? En travaillant sur les espaces négatifs,j’ai relevé de nouvelles indications — et soulevé de nouvelles questions aussi. Je me suis aperçue que les étudiants dessinaient mieux non pas en observant la forme qu’ils souhaitaient représenter. mais en observant les surfaces qui entouraient cette forme. Une fois de plus, je m’interrogeais. Pourquoi dessine-t-on mieux les formes en observant les espaces qui les entourent ? J’ai continué d’observer ma propre manière de dessiner mais la réponse au problème, le principe fondamental ultime, continuait de m’échapper. Il y a environ une dizaine d’années, je me suis mise à lire une série d’ouvrages concernant les études que Roger W. Sperry et ses associés ont réalisées sur des commissurotomisés pendant les années cinquante et soixante au California Institute of Technology. En résumé, le Groupe Cal Tec a montré que les deux hémisphères du cerveau humain se caractérisent par des fonctions cognitives supérieures et que ces deux hémisphères emploient des méthodes — ou modes — différents pour traiter les informations. Ces travaux ont soudain fait la lumière dans mon esprit. L’aptitude d’un individu au dessin venait peut-être essentiellement de sa faculté à adopter une manière inhabituelle de traiter les informations visuelles, c’est-à-dire l’aptitude à passer d’une méthode verbale et analytique (appelée « mode gauche » ou « mode-G » dans cet ouvrage) à une méthode spatiale et globale (que j’appelle « mode droit » ou « mode-D »). Grâce à cette découverte, les différentes pièces du puzzle ont pris leur place et j’ai compris pourquoi certains élèves arrivaient à mieux dessiner que d’autres. Depuis lors, et plus particulièrement pendant mon travail de doctorat, j’ai formulé le principe de base et établi les séries d’exercices qui constituent cet ouvrage. Le principe de base est le suivant: il est possible d’apprendre à dessiner en adoptant une nouvelle manière de voir, c’està-dire en faisant appel aux fonctions spécifiques de l’hémisphère droit du cerveau, et les exercices qui suivent sont conçus dans ce but. Je suis certaine qu’un jour, ma méthode d’enseignement par conversion cognitive, qui encourage une translation mentale à partir d’un mode de pensée verbal et logique vers un mode plus global et intuitif, sera reprise et améliorée par les professeurs et chercheurs dans le domaine des arts et appliquée à d’autres secteurs. Quel que soit le degré de latéralisation cérébrale que la recherche à venir déterminera, c’est-à-dire le degré de spécialisation des fonctions du cerveau en ce que j’ai nommé mode gauche et mode droit, les deux modes cognitifs et les principes sous-jacents que je décris ici se sont avérés utiles pour les étudiants à tous les niveaux et ont. dès lors, été retenus. Sous sa forme actuelle, cette théorie m’a permis d’élaborer une méthode d’enseignement qui réponde à mon problème de départ: comment permettre à tous les étudiants et non à quelques-uns seulement, d’apprendre la technique du dessin ?
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5 1. Le dessin et l’art de rouler à bicyclette
Fig. l-l. Bison mugissant. Peinture rupestre paléolithique des grottes d’Altamira en Espagne. Dessin de Brevil. Les artistes préhistoriques étaient probablement censés détenir des pouvoirs magiques.
Le dessin est un processus curieux, tellement lié aux perceptions visuelles que les deux peuvent difficilement être dissociés. Pour dessiner, il faut être capable de voir les choses à la manière de l’artiste, et cette manière de voir peut merveilleusement enrichir notre existence. A plusieurs égards, enseigner le dessin c’est comme apprendre à quelqu’un à rouler à bicyclette. C’est difficile à expliquer avec des mots. Lorsque vous apprenez à quelqu’un à rouler à vélo, vous dites : « Il suffit de monter sur le vélo, de pousser les pédales, et c’est parti». Bien sûr, cela n’explique pas tout, et il est probable que vous finissiez par intervenir : « Je vais monter sur le vélo et te montrer. Regarde comment je fais ». Il en va de même pour le dessin. La plupart des professeurs et auteurs de manuels de dessin exhortent les débutants afin qu’ils « changent leur manière de voir les choses » et qu’ils apprennent à « regarder ». Le problème est qu’il est aussi difficile d’expliquer cette manière de voir que d’expliquer l’équilibre sur une bicyclette, et de fait, le professeur finit souvent par dire: « Regarde ces exemples et persévère. Si tu t’exerces beaucoup tu y arriveras certainement». Alors que presque tout le monde apprend à rouler à bicyclette, nombreux sont ceux qui échouent dans l’apprentissage du dessin. En réalité, les gens n’apprennent jamais à regarder de manière suffisamment correcte pour bien dessiner.
LE DESSIN: UN DON MAGIQUE ? Les personnes possédant la faculté de voir et de dessiner sont tellement rares que les artistes sont souvent considérés comme dotés par Dieu d’un talent exceptionnel. Pour beaucoup, le dessin relève d’un pouvoir mystérieux qui dépasse l’entendement humain. Les artistes eux-mêmes se complaisent souvent dans le mystère. Si vous abordez un artiste (c’est-à-dire une personne qui dessine bien grâce à une longue pratique ou grâce à la découverte fortuite de la « vision de l’artiste ») et que vous lui demandez : « Que faites-vous pour dessiner quelque chose—disons un portrait ou un paysage—de manière si ressemblante ? », il est probable que l’artiste réponde: « Oh, je dois avoir un don,je suppose », ou « Vraiment, je ne sais pas. Je me mets simplement au travail et les choses se font au fur et à mesure que j’avance», ou «Eh bien, je me contente de regarder la personne (ou le paysage) et je dessine ce que je vois ». La dernière réponse semble logique et spontanée. Après réflexion, pourtant, elle n’explique pas clairement du tout la démarche, et l’impression que le dessin relève d’un don vaguement magique persiste (figure 1-l).
6 Bien que le mystère sur l’origine du talent artistique pousse les gens à apprécier les artistes et leurs oeuvres, il les dissuade souvent d’apprendre eux-mêmes à dessiner; de plus, il complique la tâche des professeurs qui tentent d’expliquer la technique du dessin. En effet, les gens hésitent souvent à suivre un cours de dessin parce qu’ils ne savent pas déjà dessiner. C’est comme si vous décidiez de ne pas suivre un cours d’anglais parce que vous ne parlez pas encore cette langue, ou de ne pas vous inscrire à un cours de menuiserie parce que vous ne savez pas comment on construit une maison. LE DESSIN : S’ACQUIERT
UNE
TECHNIQUE
Roger N. Shepard, Professeur de Psychologie à l’Université de Stanford, a récemment décrit son mode personnel de réflexion créative au cours duquel les idées de recherches se présentent à son esprit sous forme de solutions non verbales, essentiellement complètes et mûrement réfléchies. « Qu’au cours de ces illuminations soudaines, mes idées se présentent sous une forme originelle visuospatiale. sans aucune influence verbalisatrice, pour autant que je puisse en juger du moins. voilà qui a toujours été mon mode préféré de réflexion... Depuis mon enfance, j’ai passé mes instants les plus heureux absorbé par le dessin, la réflexion ou les exercices de visualisation purement mentale ». Roger N. Shepard, Visual Learning, Thinking, and Communication
QUI «Apprendre à dessiner revient véritablement à apprendre à voir — à voir correctement — et cela signifie bien plus que simplement regarder avec les yeux». Kimon Nicolaides The Natural Way to Draw
Vous vous apercevrez vite que le dessin est une technique que toute personne normale, d’acuité visuelle et de coordination oculo-motrice Gertrude Stem a demandé à Henri Matisse si, en moyennes — suffisamment adroite, par exemple, mangeant une tomate, il la regardait comme un pour enfiler une aiguille ou attraper un ballon — artiste le ferait. « Non, a dit Matisse, quand je la mange, je la vois comme tout le monde ». peut apprendre. Contrairement à l’opinion Gertrude Stem, Picasso courante, l’aptitude manuelle n’est pas une condition primordiale pour le dessin. Si votre écriture est lisible ou si vous pouvez tracer des caractères déchiffrables, vous êtes d’une dextérité amplement suffisante pour bien dessiner. En ce qui concerne les mains, nous n’avons plus rien à ajouter; mais nous ne parlerons jamais assez des yeux. Apprendre à dessiner ne se résume pas à l’apprentissage d’une technique; en étudiant ce livre, vous apprendrez à voir. En d’autres mots, vous apprendrez à traiter les informations visuelles à la manière particulière des artistes. Cette manière est différente de celle dont vous traitez habituellement les informations visuelles et implique un fonctionnement cérébral particulier. Vous apprendrez ainsi comment votre cerveau utilise les informations visuelles. Les recherches récentes ont permis d’éclairer sous un jour plus scientifique cette merveille d’accomplissement et de complexité qu’est le cerveau humain. Et l’une des choses que nous avons apprises est la manière dont les propriétés particulières de nos deux cerveaux nous permettent de dessiner l’image de nos perceptions.
Dessiner et voir L’aura de mystère qui entoure le dessinateur semble relever, en partie du moins, de la faculté qu’il a de « brancher » son cerveau sur un mode de vision et de perception distinct. Si vous arrivez à voir à la manière de l’artiste chevronné, alors vous êtes en mesure de dessiner. Les dessins de grands artistes comme Léonard de Vinci ou Rembrandt n’en perdent pas pour autant leur prestige, simplement du fait que nous connaissions certains aspects des processus cérébraux qui sont intervenus dans leur élaboration. Au contraire, la recherche scientifique rend plus remarquable encore l’oeuvre de maîtres parce qu’elle permet au spectateur de
7 passer au mode de perception de l’artiste. La technique élémentaire du dessin est également accessible à tous ceux qui sont capables d’effectuer la conversion vers le mode de perception de l’artiste et de voir à sa manière. LA VISION DE L’ARTISTE : UNE DOUBLE DEMARCHE En réalité, il n’est guère difficile de dessiner. Le problème est d’apprendre à voir, ou, plus précisément, d’apprendre une manière particulière devoir. Il est possible que vous ne me croyiez pas encore. Vous estimez peut-être que vous voyez parfaitement les choses et que c’est le fait de dessiner qui est difficile. Mais l’inverse est vrai et les exercices de ce manuel sont destinés à vous aider à effectuer la conversion mentale nécessaire. Ces exercices vous seront doublement bénéfiques: vous accéderez d’abord délibérément à la moitié droite de votre cerveau et vous adopterez un mode de conscience légèrement modifié; ensuite, vous verrez les choses différemment. Ces deux conditions vous permettront de bien dessiner.
« C’est pour voir vraiment, pour voir toujours plus en profondeur, toujours plus intensément, et de là pour être pleinement conscient et vivre totalement, que je dessine ce que les Chinois appellent les ‘Dix Mille Choses’ qui m’entourent. Le dessin est une discipline qui permet de sans cesse redécouvrir le monde. « Je sais aujourd’hui que ce que je n’ai pas dessiné, je ne l’ai pas vraiment vu et que, quand je me mets à dessiner une chose banale, je prends conscience qu’elle est extraordinaire, un pur miracle. » Frederick Franck, The Zen of Seeing
« On peint avec les yeux, non avec les mains. Un peintre peut reproduire tout ce qu’il voit, pourvu qu’il le voie clairement. Cela lui demande peut-être plus de soin et de travail, mais pas plus d’agilité musculaire, que de signer son nom, Ce qui importe, c’est d’y voir clair ». Maurice Grosser L’oeil du peintre
De nombreux artistes ont déclaré voir les choses différemment tandis qu’ils dessinaient et ils ont fait état d’une légère modification de leur état de conscience. Dans cet état subjectif modifié, les artistes prétendent se sentir transportés, « en parfaite communion avec l’œuvre », capables de saisir des rapports qu’ils ne sont pas capables de percevoir ordinairement. La notion du temps s’émousse et les mots échappent à la conscience. Les artistes se disent alertes et conscients tout en étant sereins et libres de toute anxiété, en proie à une activation mentale passionnante, presque mystique.
LE DESSIN : UN ETAT DE CONSCIENCE Cet état de conscience légèrement altéré, cette sensation de transport que la plupart des artistes éprouvent lorsqu’ils dessinent, peignent, sculptent ou exécutent une oeuvre d’art, ne vous est pas totalement étranger. Vous avez peut-être intérieurement observé de légères modifications de votre état de conscience alors que vous vous livriez à des occupations bien plus triviales que l’activité artistique. Il arrive parfois qu’on se sente glisser d’un état de veille vers un état légèrement altéré de rêverie éveillée. Certaines personnes prétendent aussi que la lecture leur permet de « s’évader ». Bien d’autres activités semblent provoquer une modification de l’état de conscience : la méditation, le jogging, les travaux de couture, la dactylographie, la musique et, bien sûr, le dessin.
8 Je dirais même que la conduite sur autoroute peut provoquer une légère modification de notre état subjectif comparable à celle que suscite le dessin. Après tout, la conduite sur autoroute est strictement liée à l’interprétation d’images visuelles, le conducteur ayant affaire aux informations spatiales et relationnelles que sont les composantes multiples de la configuration d’ensemble du trafic. Lorsqu’on conduit une voiture, il arrive qu’on perde toute notion du temps et qu’on se sente envahi par une sensation de sérénité propice à la réflexion créative. Les opérations mentales pendant la conduite semblent activer les mêmes centres du cerveau que ceux qui sont utilisés pour le dessin. Bien sûr, lorsque la circulation est difficile, si nous sommes en retard, ou si notre passager engage la conversation, la conversion vers un état de conscience diffèrent ne se produit pas. Les raisons de cet empêchement sont détaillées au chapitre 3. La clé de l’apprentissage du dessin consiste donc à créer les conditions favorables à une conversion mentale vers un mode différent de traitement des informations — cet état de conscience légèrement altéré — qui vous permet de voir correctement. Ce mode du dessin vous permettra de reproduire ce que vous percevez, même sans avoir jamais appris de technique. Une fois que ce « mode du dessin » vous sera familier, vous serez capable de contrôler consciemment la conversion mentale nécessaire pour y accéder.
LE DESSIN : L’EXPRESSION DE VOTRE PERSONNALITE CREATRICE Je vous considère comme une personne dotée du potentiel créatif nécessaire pour vous exprimer à travers le dessin. Mon but est de vous fournir les moyens de libérer ce potentiel, afin d’accéder consciemment à vos facultés inventives, intuitives et imaginatives que notre culture technologique et verbale, et notre système d’éducation, ont peut-être largement ignorées. Je vais vous apprendre à dessiner, mais le dessin n’est qu’un moyen, pas un fin. Le dessin vous permettra de découvrir les aptitudes particulières du côté droit de votre cerveau, le côté adroit pour le dessin. En apprenant à dessiner, vous apprendrez à voir différemment et, pour reprendre l’expression lyrique de l’artiste Auguste Rodin, vous apprendrez à devenir le confident de la nature, à éveiller votre regard au langage merveilleux des formes, et à vous exprimer dans ce langage. En dessinant, vous explorerez une partie de votre esprit trop souvent obscurcie par les détails infinis de votre vie quotidienne. Cette expérience vous permettra de percevoir les choses fraîchement et plus intensément et dans leur intégralité, et à saisir les structures sous-jacentes et les possibilités de combinaisons nouvelles. Les solutions créatives aux problèmes, qu’ils soient d’ordre professionnel ou personnel, peuvent être obtenues grâce à de nouvelles méthodes de réflexion et une exploitation exhaustive de votre potentiel cérébral.
« L’Artiste est le confident de la nature insensible... Les fleurs s’entretiennent avec lui par la courbe gracieuse de leur tige, par les nuances chantantes de leurs pétales: chaque corolle dans l’herbe est un mot affectueux que lui adresse la Nature. » Auguste Rodin
Le dessin, aussi agréable et satisfaisant soit-il, n’est jamais qu’une clé permettant d’ouvrir la porte vers d’autres horizons. J’ose espérer que Dessiner grâce au cerveau droit vous aidera à
9 mieux exploiter vos aptitudes personnelles grâce à une prise de conscience accrue du mode de fonctionnement de votre propre cerveau. Les exercices de ce livre sont conçus de manière à rehausser de multiples façons votre assurance dans la façon dont vous opérez vos choix et résolvez vos problèmes. La force potentielle de l’hémisphère créatif et imaginatif de votre cerveau est presque illimitée et, grâce au dessin, vous serez en mesure de connaître ces ressources puissantes de votre personnalité et de les faire connaître aux autres. A travers le dessin, c’est vous-même que vous montrerez. L’artiste allemand Albert Dürer a un jour dit : « Ainsi, le trésor secrètement recueilli dans votre coeur se manifestera au travers de votre oeuvre créative ». En gardant un oeil vers les horizons promis, commençons dès maintenant à façonner la clé.
MON APPROCHE: UNE VOIE VERS LA CREATIVITE Les exercices et instructions figurant dans cet ouvrage sont spécialement conçus pour les personnes qui ne savent pas du tout dessiner, qui croient n’avoir aucun talent, ou très peu. pour le dessin et qui doutent d’arriver un jour à dessiner — mais qui pensent qu’elles aimeraient apprendre. Cet ouvrage se distingue d’autres manuels de dessin par sa démarche particulière: l’objectif est de vous faire accéder à des facultés que vous possédez déjà et qui attendent simplement d’être libérées. Les personnes dont l’esprit créatif s’exerce dans d’autres domaines que l’art et qui souhaitent mieux dominer leurs techniques de travail et surmonter leurs inhibitions trouveront un avantage certain à appliquer
« Toute personne en qui l’artiste vit, devient, quel que soit le genre de son travail, un individu curieux, inventif et audacieux, d’expression originale. Il devient intéressant pour les autres. Il perturbe, bouleverse, éclaire, et ouvre des voies nouvelles vers une compréhension plus juste. Là où ceux qui ne sont pas des artistes essaient de fermer le livre, il l’ouvre et montre qu’il est encore possible d’écrire de nouvelles pages. » Robert Henri, The Art Spirit « Etre secoué hors des ornières de la perception ordinaire, avoir l’occasion de voir pendant quelques heures intemporelles le monde extérieur et intérieur. non pas tels qu’ils apparaissent à un animal obsédé par la survie ou à un être humain obsédé par les mots et les idées, mais tels qu’ils sont appréhendés, directement et inconditionnellement par l’Esprit en général — c’est là une expérience d’une valeur inestimable pour chacun... « Abdou Huxley, Les Portes de la Perception
les méthodes décrites ici. Cette théorie et les exercices qui en découlent aideront les professeurs et les parents à promouvoir le développement des facultés créatives des enfants. A la fin de l’ouvrage, j’ai brièvement rédigé une postface dans laquelle je suggère différentes manières d’adapter mes méthodes et mes matériaux de base à l’enseignement des enfants. Une seconde postface s’adresse aux élèves des beaux-arts. Ce livre est un cours de neuf leçons que j’ai données pendant près de cinq ans à des personnes d’âges et d’occupations divers. Presque tous les élèves commencent le cours avec des techniques de dessin très médiocres et avec une anxiété profonde quant à leurs aptitudes potentielles pour le dessin. Tous les élèves, sans exception ou presque, atteignent un niveau élevé de connaissances techniques et acquièrent la confiance nécessaire pour continuer de développer leurs facultés d’expression par le dessin en suivant d’autres cours ou en s’exerçant à titre personnel. Lorsqu’on considère l’acquis de la plupart des élèves, le plus étonnant est de constater la rapidité avec laquelle ils améliorent leurs techniques de dessin. Je crois fermement que les personnes qui, tout en étant dépourvues de toute pratique artistique, arrivent néanmoins à
10 effectuer la conversion vers un mode de vision artistique — c’est-à-dire le mode propre à l’hémisphère droit — ces personnes n’ont pas besoin d’autres conseils pour pouvoir dessiner. Autrement dit, vous savez déjà dessiner, mais les vieilles habitudes de perception visuelle interfèrent avec cette aptitude et l’inhibent. Les exercices de ce manuel sont conçus pour lever ces inhibitions et libérer vos aptitudes réelles. Même s’il n’est pas dans vos intentions de vivre uniquement de votre travail artistique, ces exercices vous permettront de comprendre la manière dont votre cerveau ou vos deux cerveaux travaillent — individuellement, coopérativement, ou conflictuellement. Et, comme me l’ont dit de nombreux élèves, leur vie leur semble plus riche à présent qu’ils voient plus et mieux.
LE REALISME, UN MOYEN POUR UNE FIN La plupart des exercices de ce manuel sont conçus pour vous permettre de dessiner avec réalisme, c’est-à-dire pour vous permettre de voir et de dessiner un objet ou une personne du monde réel avec un degré appréciable de ressemblance. Cela ne signifie nullement que le dessin réaliste soit préférable à tout autre genre artistique. D’une certaine façon. le dessin réaliste est une étape qui doit être dépassée normalement vers l’âge de dix ou douze ans. Dessiner avec réalisme est une faculté triplement importante. Tout d’abord, le réalisme vous permet de voir « en profondeur », au sens propre comme au sens figuré. Ensuite, il vous donne une forme de confiance en vos aptitudes créatives qui, pour les non-artistes,ne peut être acquise d’aucune autre manière. Des artistes professionnels — des personnes qui, de leur métier, sont professeurs d’art, décorateurs, artistes
« Pour moi, tendre à plus de naturalisme constituait une liberté. Je me disais que si je le voulais, j’étais capable de peindre un portrait; c’est cela que j’entends par liberté. Demain, si je le voulais, je pourrais me lever, je pourrais faire le dessin de quelqu’un, je pourrais dessiner ma mère de mémoire, je pourrais même faire une étrange petite peinture abstraite. Tout cela s’accommoderait de ma conception de peinture en tant qu’art. Beaucoup de peintres n’en sont pas capables. Leur conception est radicalement différente. C’est une conception trop étroite; ils la restreignent beaucoup trop. Bon nombre d’entre eux, comme Frank Stella qui me l’a avoué, ne savent pas dessiner. Mais il existe probablement des peintres plus anciens, des peintres abstraits anglais, qui ont appris à dessiner. Tout qui a fréquenté une école des Beaux-Arts avant moi a certainement dû accomplir un nombre considérable de dessins. A mon avis, beaucoup de peintres se sont pris à leur propre piège; ils ont choisi un aspect excessivement restreint de la peinture et se sont spécialisés. Et c’est un piège. Evidemment. un piège ce n'est pas grave quand vous avez le courage de vous en sortir, mais cela demande énormément de volonté ». David Hockney
industriels, peintres, ou sculpteurs — se sont même inscrits à mes cours et m’ont avoué avec une véritable détresse un coupable secret: ils ne savaient pas dessiner. Pour garder secrète leur inaptitude, ils se livrent parfois à des stratégies et à des subterfuges compliqués et ridicules, toujours pitoyables. Pour les sauver de leur détresse, il suffit de débloquer leurs aptitudes potentielles pour le dessin réaliste. L’application des méthodes de ce manuel aide les élèves — les non-artistes autant que les artistes — à se libérer, et les incite à explorer d’autres domaines artistiques qui font appel aux puissantes fonctions du cerveau dans son intégralité. Enfin, vous apprendrez à faire la conversion vers un nouveau mode de pensée dont vous apprécierez le vaste potentiel de solutions instantanées et créatives.
11 Pourquoi des visages ? Un certain nombre d’exercices et d’instructions sont conçus pour vous permettre de réaliser des portraits ressemblants. J’aimerais expliquer pourquoi le portrait est, à mes yeux, un sujet intéressant pour les débutants. En gros, tous les dessins se résument à une même opération. Il n’y a pas de sujet plus difficile que les autres. Les natures mortes, les paysages, les personnages, les objets, même les sujets imaginaires et les portraits font tous appel aux mêmes techniques et à la même manière de voir. Il s’agir d’une seule et même démarche : vous regardez ce que vous avez en face de vous (les sujets imaginaires sont vus par l’oeil de l’esprit) et vous dessinez ce que vous voyez. Pourquoi, dans ces conditions, ai-je choisi le portrait comme sujet de plusieurs exercices ? Tout d’abord parce que les élèves débutants s’imaginent que le visage humain est le sujet le plus difficile. Quand ils se rendent compte qu’ils sont capables de dessiner un portrait, ils prennent confiance et commencent à progresser. Ensuite parce que l’hémisphère droit est spécialisé dans l’identification des visages, et cette raison est plus importante encore que la première. Etant donné que c’est aux fonctions du cerveau droit que nous tentons d’accéder, il est logique de choisir un sujet que cet hémisphère a coutume de traiter. Et puis, les visages sont fascinants! Lorsque vous dessinez une personne. vous voyez son vrai visage. Comme le disait l’un de mes élèves : « Je crois que je n’avais jamais vraiment regardé le visage de quelqu’un avant de dessiner. C’est étrange, aujourd’hui tous me semblent plus merveilleux ».
Le matériel Le matériel nécessaire pour les exercices de ce manuel est assez simple. Vous aurez besoin d’un papier machine bon marché (pas du type effaçable parce que le crayon y fait tache) ou de quelques feuilles à dessin ordinaires, Il vous faudra aussi un crayon et une gomme. Les crayons noirs 4B sont agréables parce que la mine est tendre et trace des lignes nettes et foncées, mais un crayon ordinaire numéro 2 fera presque aussi bien l’affaire. Plus tard vous souhaiterez peut-être compléter votre matériel — par un bâtonnet de charbon de bois, par exemple, ou un crayon-feutre, des crayons aux mines de teintes grises, brunes, etc. Pour la plupart des exercices cependant, le papier, un crayon et une gomme suffisent.
Les exercices : un pas et puis l’autre Pendant les dix années où j’ai enseigné le dessin,j’ai tenté diverses manières de graduer, de sérier et de combiner les exercices. La progression suivie dans ce manuel est celle qui a permis aux élèves de réaliser les plus grands progrès. Les trois premiers chapitres présentent brièvement la théorie dont s’inspirent les exercices et donnent un aperçu des recherches récentes sur les fonctions des deux hémisphères cérébraux chez l’homme, études dont j’ai retiré certaines applications pour l’enseignement du dessin. Avant de commencer les exercices du chapitre 4, vous trouverez quelques explications quant à la manière dont ces exercices ont été conçus et quant à leur efficacité. Le cours complet est conçu de façon à ce que l’élève franchisse chaque étape avec succès et qu’il accède à un nouveau mode de traitement des informations qui présente un minimum de bouleversements par rapport au mode habituel. C’est pourquoi j’insiste pour que vous lisiez les chapitres dans l’ordre donné et pour que vous fassiez les exercices comme ils se présentent.
12 J’ai limité autant que possible le nombre d’exercices recommandés; mais si vous avez le temps, faites plus de dessins qu’il est conseillé : recherchez vos propres sujets et inventez vos propres exercices. Plus vous pratiquerez et plus vous progresserez. Pour cette raison, en plus des exercices qui se présentent dans le texte proprement dit, vous trouverez souvent dans la marge des exercices supplémentaires. En faisant ces exercices, vous améliorerez votre technique et vous prendrez plus d’assurance. Pour la plupart des exercices, je vous conseille de lire toutes les instructions avant de vous mettre à dessiner et, lorsque le cas se présente, observez les dessins d’élèves avant de commencer. Conservez tous vos dessins dans une chemise ou dans une grande enveloppe afin de pouvoir constater vos progrès lorsque vous arriverez à la fin du cours.
Définitions terminologiques Un glossaire se trouve à la fin du livre. Certains termes sont amplement définis dans le corps du texte, et le glossaire reprend d’autres termes qui sont définis avec moins de précision. Certains mots qui sont couramment utilisés dans le langage quotidien, tels que « valeur » ou « composition » présentent un sens très spécifique et souvent différent dans la terminologie artistique. Je vous conseille donc de jeter un coup d’oeil au glossaire avant de commencer à lire les différents chapitres.
LES DESSINS PRELIMINAIRES : UN TEMOIN PRECIEUX DE VOS TALENTS ARTISTIQUES A présent, et avant que vous poursuiviez votre lecture, j’aimerais que vous réalisiez quatre dessins préliminaires afin de conserver un témoin de vos aptitudes au dessin, avant que vous soyiez « contaminés » par la théorie qui suit. Cette proposition est généralement accueillie avec inquiétude par les élèves; l’anxiété les envahit et la tension monte. Mais si vous les faites maintenant, lorsque vous arriverez au premier exercice dirigé du chapitre 4, vous serez certain d’être capable d’apprendre à dessiner et vous serez disposé à essayer. Ces dessins, qui permettent aux élèves de constater et de reconnaître leurs progrès, sont d’une utilité inestimable. Une sorte d’amnésie semble s’installer au fur et à mesure que la technique du dessin s’affine. Les élèves oublient la manière dont ils dessinaient avant de suivre le cours. De plus, leur esprit critique s’aiguise à mesure qu’ils progressent. Même après une amélioration sensible, certains élèves jugent sévèrement leurs derniers dessins parce qu’ils « ne valent pas ceux de de Vinci ». Les dessins préliminaires sont les indicateurs réalistes du progrès réalisé. Après avoir fait ces dessins, rangez-les et nous les examinerons plus tard à la lueur de vos nouveaux acquis.
Dessins préliminaires Avant de commencer : Utilisez un crayon et du papier bon marché. Chaque dessin peut prendre dix, quinze, vingt minutes, ou plus si vous le voulez. N’oubliez pas de dater vos dessins puisqu’ils sont destinés à témoigner de votre niveau actuel de savoir-faire en matière de dessin.
13 Premier dessin : Dessinez une personne sans regarder de modèle. Il n’y a aucune instruction spécifique pour ce dessin, la seule directive étant de « dessiner une personne ». Deuxième dessin : Dessinez une personne — la tête seulement. Dessinez quelqu’un qui regarde la télévision ou qui dort, ou dessinez-vous en vous regardant dans un miroir. N’utilisez pas de photographie. Troisième dessin : Dessinez votre propre main. Si vous êtes droitier, dessinez votre main gauche dans la position que vous choisirez. Si vous êtes gaucher. dessinez votre main droite. Quatrième dessin : Dessinez une chaise en regardant une vraie chaise, pas une photographie. Quand vous aurez terminé: Au dos de chaque dessin, écrivez votre appréciation personnelle: ce qui vous plaît ou vous déplaît dans chaque dessin. Ces commentaires vous sembleront intéressants à la fin des leçons.
TRAVAUX D’ELEVES Avant et après J’aimerais à présent vous montrer certains dessins réalisés par mes élèves. Ces dessins témoignent d’une évolution technique typique entre la première leçon (précédant l’instruction) et la dernière, environ deux mois plus tard. La plupart des élèves dont les dessins sont reproduits ici ont suivi un cours de trois heures par semaine pendant neuf semaines et ont reçu approximativement les mêmes instructions que celles contenues dans ce manuel. Comme vous pouvez le constater, les dessins « avant » et « après » montrent que les élèves ont totalement changé leur manière de voir et de dessiner. La transformation est tellement radicale que les dessins semblent presque appartenir à des personnes différentes. Apprendre à percevoir, telle est la technique fondamentale que les élèves ont acquise au cours de ces neuf leçons. Le progrès dont témoignent ces dessins est probablement le reflet d’un progrès tout aussi considérable dans la manière de voir. C’est ainsi qu’il faut considérer ces dessins: comme les témoins sensibles de l’amélioration des facultés perceptives des élèves. Tous mes élèves, ou presque tous, ont tiré profit de ces leçons qui vous seront certainement bénéfiques aussi. De fait, les dessins reproduits ici, tout comme les travaux d’élèves suivants, sont le reflet typique du progrès réalisé par la plupart des élèves.
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John Boomer, le 3 janvier 1978
Gerardo Campos, le 2 septembre 1973
John Boomer, le 5 mars 1978
Gerardo Campos, le 10 novembre 1973
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Alice Abel, le 28 septembre 1976
Lyman Evans, le 2 avril 1978
Alice Abel, le 168 novembre 1976
Lyman Evans, le 8 mai 1978
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Tom Nelson, le 8 août 1978
Ken Danell, le 5 février 1974
Tom Nelson, le 3 septembre 1978
Une fois terminé le cours dans sa forme première, Ken a réalisé ce dessin un an plus tard.
17 L’IDENTIFICATION DE LA FEUILLE A DESSIN En guise d’antidote contre l’anxiété que suscitent ces dessins préliminaires, essayez les exercices suivants, afin de vous délier la main. Il n’y a rien de plus intimidant pour un élève débutant — et même pour un artiste chevronné — qu’une page blanche, nette et immaculée. Pour surmonter cette gêne, il suffit de se mettre à dessiner — librement, hardiment, avec assurance. Pour vous familiariser avec le matériel de dessin et pour vaincre l’intimidation que suscite une page vierge, prenez une feuille d’une blancheur intacte et saisissez votre crayon. Sans hésitation ni retenue, faites un trait le long des bords de la feuille, d’un coin à l’autre de la page, en arrondissant les angles et sans jamais lever la main (figure l-2). A présent, traversez la feuille d’abord par des traits verticaux, ensuite par Fig. 1-2 des traits horizontaux bien parallèles aux bords de la feuille. Revenez sur certains traits pour les épaissir, les accentuer, en jouant avec les formes. Inventez les mouvements à mesure que vous avancez, sachant que vous créez la ligne et que la ligne, le papier et les formes vous conduiront naturellement à votre prochain mouvement. Essayez sur une autre feuille en ajoutant cette fois des diagonales aux traits qui longent les bords (figure l-3). Puis sur une autre, ajoutez des cercles. Sur une autre encore, des losanges. Et sur une autre toutes les lignes que vous voulez. Le dessin d’Eugène Delacroix reproduit à la figure 1-4 illustre la puissance que peuvent produire des lignes fantaisistes.
Fig. 1-3
EN RESUME Je vous ai énoncé le principe fondamental à la base de ce manuel — à savoir que le dessin est une technique qui s’acquiert, et dont on peut retirer un double avantage. En accédant à la partie de votre esprit dont le fonctionnement favorise la pensée intuitive et créative, vous vous initierez à une technique essentielle dans les arts graphiques: vous apprendrez à mettre sur papier ce que vous avez en face des yeux. Ensuite, en apprenant le dessin par la méthode prescrite dans ce livre, vous adopterez un mode de pensée plus créatif, utile dans tous les domaines de la vie.
« Il y a quelque chose de dérisoire dans le fait de créer bien que l’entreprise soit sérieuse. Et parallèlement, il existe un esprit de dérision dans la littérature à ce sujet car s’il existe une seule démarche silencieuse, c’est bien la démarche créative, Dérisoire et sérieuse et silencieuse. » Jerome Bruner On Knowing: Essays for the Left Hand
18 Les progrès que vous aurez réalisés une fois le cours terminé dépendront des autres traits de votre personnalité, comme l’énergie ou la curiosité. Mais chaque chose en son temps! Le potentiel existe. Il est parfois bon de se rappeler qu'un jour Shakespeare a dû apprendre à écrire en prose, que Beethoven a pratiqué les gammes et que, comme vous pouvez le constater aux figures 1-5 et l-6, Van Gogh a dû apprendre à dessiner.
« Vider son esprit de toute pensée et combler le vide d’une âme plus grande que soi permet à l’esprit de pénétrer dans un royaume inaccessible aux démarches conventionnelles de la raison. » Edward Drawing
Hill
The
Language
of
Fig. l-4. Dans une lithographie qui reflète l’ « esprit de dérision » de l’acte créatif, Eugène Delacroix joue avec les lignes pour construire son dessin. Avec l’aimable autorisation du Metropolitan Museum of Art, Fonds Harris Brisbane Dick, 1928.
19 Fig. l-5. Vincent Van Gogh (1853-1890). Menuisier (1980). Avec l’autorisation du Rijksmuseum Kröller-Müller, Otterlo.
La carrière artistique de Van Gogh ne s’étend que sur les dix dernières années de sa vie, depuis l’âge de 28 ans jusqu’au moment de sa mort à 37 ans. Durant les deux premières années de cette période, Van Gogh n’a réalisé que des dessins, apprenant lui-même à dessiner. Comme le montre le dessin du Menuisier, il connaissait des problèmes de proportions et d’emplacement des formes. En 1882 cependant — deux ans plus tard—, dans sa Femme Pleurant, Van Gogh a surmonté ces difficultés de dessin et a pu améliorer la qualité expressive de ses oeuvres.
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21 Le but de cet ouvrage est de vous enseigner la technique élémentaire qui permet de voir et de dessiner. Mon intention n’est pas de vous apprendre à vous exprimer mais bien de vous enseigner les techniques qui vous libéreront de l’expression stéréotypée. Vous serez alors en mesure d’exprimer votre individualité — votre singularité essentielle — à votre façon, en adoptant un style de dessin personnel. Considérons un instant votre signature comme une forme de dessin expressif; en effet, vous vous exprimez à travers votre signature au moyen d’un élément artistique élémentaire : la ligne. Au beau milieu d’une feuille de papier, apposez votre signature. Cette signature, vous pouvez la considérer comme un dessin qui serait votre création personnelle, modelée il est vrai par les influences culturelles de votre vie, mais n’en va-t-il pas de même pour les créations de chaque artiste ? Chaque fois que vous écrivez votre nom, vous vous exprimez en utilisant l’élément ligne. La ligne que vous employez pour votre signature est le même élément de base que Picasso a utilisé pour « écrire » le dessin reproduit à la figure 2-1. Votre signature « dessinée » quantité de fois est l’expression de votre personnalité, au même titre que le trait utilisé par Picasso est l’expression de sa personnalité. Il est possible de « lire » ce trait parce qu’en écrivant votre nom, vous avez utilisé le langage non verbal de l’art. Essayons de lire une autre ligne. Ditesmoi à quoi peut ressembler cette personne ?
Vous serez probablement tenté de dire que Dale G. Smith est une personne plutôt extravertie qu’introvertie, une personne qui s’habille de couleurs vives plutôt que de couleurs ternes et qui, du moins superficiellement, adopte une attitude directe, voire théâtrale. Bien sûr, ces suppositions peuvent ou non se confirmer, l’important est que la plupart des gens interpréteraient l’expression non verbale de sa signature de cette façon, parce que c’est ce que Dale G. Smith affirme (de manière non verbale). Voyons à présent un autre Dale G. Smith.
Si l’on vous demandait à quoi ressemble cette personne, vous répondriez certainement qu’elle est conservatrice, tranquille, digne de confiance, peut-être timorée. Et cet autre Dale G. Smith ? Cette fois réagissez sans recourir aux mots.
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Et celui-ci
et celui-là
Regardez à présent votre propre signature et répondez au message non verbal que communique la ligne. Ecrivez votre nom de trois manières différentes et répondez chaque fois au message. Repensez ensuite aux différentes impressions qu’ont suscitées ces trois signatures; rappelez-vous que le nom formé par les « dessins » n’a pas changé. A quoi devons-nous alors ces différentes réactions ?
Torii Kiyotada (actif 1723-1750), Acteur dansant, et Torii Kiyonobu I (1664-1729), Danseuse (c. 1708). Avec l’aimable autorisation du Metropolitan Museum of Art, Fonds Harris Brisbane Dick, 1949. Le trait exprime deux types de danses différentes dans ces deux estampes japonaises. Essayez de visualiser chaque danse. Entendezvous la musique? Tâchez de comprendre en quoi le caractère du trait crée une qualité de musique et détermine votre réaction au dessin.
En réalité, ce que vous avez vu, et ce qui vous a fait réagir, ce sont les qualités individuelles pressenties de chaque trait ou de chaque ensemble de traits « dessinés ». Vous avez réagi à la rapidité pressentie du trait, à la taille et à l’espacement des caractères, à la tension musculaire de l’artiste, ou à l’absence de tension, qui se révèle précisément par le trait, à l’orientation
23 structurée ou non des caractères — en d’autres mots, vous avez répondu à la signature dans son ensemble et à tous ses éléments à la fois. La signature d’une personne est l’expression originale de sa personnalité, à tel point qu’elle est légalement considérée comme la propriété exclusive de cette personne et permet de l’identifier aux yeux de la loi. Votre signature, cependant, fait plus que vous identifier. Elle est aussi l’expression de vous-même et de votre personnalité, de votre créativité. Votre signature est votre reflet fidèle. A cet égard, vous parlez déjà le langage non verbal de l’art: vous utilisez l’élément de base du dessin, la ligne, d’une manière expressive et personnelle. Dès lors, nous ne nous attarderons pas dans les chapitres qui suivent sur ce que vous savez déjà. Notre objectif est plutôt de vous apprendre à voir afin que vous puissiez utiliser votre trait expressif et personnel pour dessiner ce que vous percevez.
Fig. 2-1. Pablo Picasso (1881-1973), Etudes. Avec l’aimable autorisation du Musée des Beaux-Arts, Boston, Fonds Arthur Mason Knapp.
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Fig. 2-2. Rembrandt Van Rijn (1606-1669), Paysage d’Hiver (c. 1649), Avec l’aimable autorisation du Fogg Art Museum, Université de Harvard. Rembrandt a dessiné ce petit paysage d’un trait calligraphique rapide. Ce trait nous fait partager la réaction visuelle et émotive de l’artiste face au profond silence de cette scène hivernale. Dès lors, ce n’est pas seulement le paysage que nous voyons, mais à travers lui Rembrandt lui-même.
LE DESSIN: UN MIROIR ET UNE METAPHORE POUR L’ARTISTE La raison d’être d’un dessin n’est pas uniquement de montrer ce que vous désirez représenter mais aussi de vous montrer vous. Paradoxalement, plus vous percevez clairement le monde extérieur et plus vous le dessinez fidèlement, et plus le spectateur vous voit clairement vous-même et mieux vous apprenez à vous connaître. C’est ainsi que le dessin repris à la figure 2-2 constitue une véritable métaphore de l’artiste. « L’art du tir à l’arc ne relève pas d’une Etant donné que les exercices visent à rehausser vos facultés perceptives, votre style personnel et votre manière unique et précieuse de dessiner émergeront intacts. A mesure que vous apprendrez à voir, votre technique de dessin s’améliorera et vous constaterez que votre style personnel s’ébauche. Gardez-le, soignez-le, chérissez-le, car votre style c’est votre expression personnelle. Comme pour le grand maître du Zen, l’objectif, c’est vous.
aptitude athlétique maîtrisée dans une certaine mesure grâce à une pratique essentiellement physique, mais plutôt d’une technique qui trouve son origine dans l’exercice mental et dont l’objectif consiste à atteindre psychiquement la cible. « C’est pourquoi l’archer se vise fondamentalement lui-même. De cette manière peut-être arrivera-t-il à atteindre la cible — son moi essentiel ». Herrigel
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26 « Tout acte créatif implique… une innocence nouvelle de la perception, libérée de la cataracte des idées reçues ».
Une personne créative est une personne capable de traiter de manière originale l’information directement disponible — les données sensorielles ordinaires accessibles à chacun de nous. Un écrivain a besoin de Arthur Koestler The Sleepwalkers mots, un musicien de notes, un peintre de perceptions visuelles, et tous doivent connaître les techniques propres à leur métier. Mais une personne créative perçoit intuitivement la manière de transformer les données ordinaires en une création nouvelle transcendant le matériau brut. De tout temps, les individus créatifs ont distingué la démarche qui consiste à recueillir les données, de celle qui consiste à les transformer de manière originale. Des découvertes récentes sur le fonctionnement du cerveau commencent à éclairer quelque peu ce double processus. En apprenant à connaître les deux côtés de votre cerveau, vous franchirez un pas important vers la libération de votre potentiel créatif. Fig. 3-l
Ce chapitre vous donnera un bref aperçu de certaines recherches récentes sur le cerveau humain, qui ont permis d’étendre considérablement les théories existantes sur la nature de la conscience humaine. Ces nouvelles découvertes pourraient trouver une application directe dans un système d’éducation nouveau s’efforçant de libérer la capacité créative de l’homme.
APPRENDRE A CONNAITRE LES DEUX COTES DE SON CERVEAU Vu du dessus, le cerveau de l’homme ressemble aux deux moitiés d’une noix — deux moitiés d’apparence semblable, circonvoluées, arrondies et communiquant par le centre (figure 3-l). Ces deux moitiés s’appellent « hémisphère gauche » et « hémisphère droit ». Le système nerveux chez l’homme est relié au cerveau de manière croisée. L’hémisphère gauche contrôle le côté droit du corps et l’hémisphère droit contrôle le côté gauche. Si votre cerveau gauche, par exemple, subit un traumatisme accidentel, la partie droite de votre corps sera plus gravement affectée, et inversement. En raison de ce croisement des trajets nerveux, la main gauche est reliée à l’hémisphère droit et la main droite à l’hémisphère gauche, comme le montre la figure 3-2.
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Fig. 3-2. Les connections croisées entre la main gauche et l’hémisphère droit. entre la main droite et l’hémisphère gauche.
LE DOUBLE CERVEAU Chez les animaux, les deux hémisphères cérébraux (les deux moitiés du cerveau) sont essentiellement semblables, ou symétriques, dans leurs fonctions. Les hémisphères cérébraux de l’homme, par contre, se développent asymétriquement au niveau de leurs fonctions. Le signe extérieur le plus remarquable de l’asymétrie cérébrale chez l’homme est l’utilisation préférentielle de la main droite, ou de la main gauche pour une minorité. Depuis cent cinquante ans environ, les chercheurs savent que la fonction du langage et les facultés qui y sont liées sont principalement localisées dans l’hémisphère gauche chez la plupart des individus, environ 98 pour cent des droitiers et les deux tiers des gauchers. La spécialisation de la partie gauche du cerveau pour les fonctions du langage est principalement connue grâce aux observations sur les effets des traumatismes cérébraux. Il est apparu, par exemple, qu’un traumatisme au côté gauche du cerveau avait plus de chances de provoquer des troubles de la parole qu’un traumatisme de même gravité au côté droit. Etant donné les liens étroits qui unissent la parole et le langage à la pensée, au raisonnement et aux fonctions mentales supérieures qui distinguent l’homme des autres créatures du monde, les savants du dix-neuvième siècle ont appelé l’hémisphère gauche hémisphère dominant et l’hémisphère droit hémisphère dominé. On a longtemps cru que le côté droit du cerveau était moins avancé, moins évolué que le côté gauche, — un jumeau muet, de moindres facultés, contrôlé et entraîné par l’hémisphère gauche, siège du langage. Les études de neurologie ont longtemps cherché à déterminer les fonctions, connues depuis peu, d’un large câble nerveux composé de millions de fibres qui mettent en communication les deux hémisphères cérébraux. Il s’agit du corps calleux, repris dans la représentation
28 schématique d’une moitié de cerveau humain à la figure 3-3. Etant donné l’importance de son volume, le nombre considérable de fibres qui le composent et sa position stratégique en tant qu’agent de connexion entre les deux hémisphères, le corps calleux devait, selon toute apparence, constituer une structure importante. Et pourtant, inexplicablement, il s’est avéré que le corps calleux pouvait être complètement sectionné sans conséquence significative apparente. Grâce à une série d’expériences sur les animaux, principalement réalisées pendant les années cinquante au California Institute of Technology par Roger W. Sperry et ses étudiants, Ronald Myers, Colwyn Trevarthen et d’autres, il a été démontré que l’une des fonctions principales du corps calleux était d’assurer la communication entre les deux hémisphères et de permettre la transmission de la mémoire et de l’apprentissage. De plus, on a montré qu’en cas de section du corps calleux les deux moitiés du cerveau continuaient de fonctionner indépendamment, ce qui explique l’absence apparente de conséquences sur le comportement et l’organisme.
Fig. 3-3. Schéma les commissures.
d’une
moitié
du
cerveau
humain,
montrant
le
corps
calleux
et
Plus tard, pendant les années soixante, on a fait des observations semblables sur des sujets humains, patients de neurochirurgie, et on a découvert de nouvelles données sur les fonctions du corps calleux qui ont amené les chercheurs à réviser leurs conceptions quant aux fonctions relatives des deux parties du cerveau humain: les deux hémisphères seraient impliqués dans des fonctions cognitives supérieures, chaque moitié étant spécialisée de manière complémentaire dans un mode de pensée particulier d’une grande complexité. Etant donné les implications considérables de cette nouvelle conception du fonctionnement cérébral pour l’éducation en général et l’enseignement du dessin en particulier, je décrirai brièvement certaines de ces recherches menées sur des commissurotomisés. Ces recherches ont été menées au Cal Tec par Sperry et ses étudiants Michael Gazzaniga, Jerre Levy, Colwyn Trevarther, Robert Nebes et d’autres. Leurs observations se sont centrées sur un petit groupe de sujets qui prirent le nom de « commissurotomisés ». Ces personnes avaient été gravement handicapées par des crises
29 d’épilepsie affectant les deux hémisphères. En dernier ressort, comme tous les autres traitements avaient échoué, il fallut maîtriser l’extension des crises aux deux hémisphères au moyen d’une opération, réalisée par Phillip Vogel et Joseph Bogen, au cours de laquelle ils sectionnèrent le corps calleux et les commissures correspondantes, ou connections croisées, pour isoler les deux hémisphères. L’opération porta ses fruits: les crises étaient maîtrisées et les patients recouvraient la santé. En dépit du caractère radical de cette opération, l’apparence extérieure, l’attitude et la coordination motrice des patients étaient peu affectées ; et pour un observateur non avisé, leur comportement quotidien semblait très peu modifié. Par la suite, le Cal Tec a fait passer à ces patients une série de tests subtils et ingénieux qui ont permis de mettre en évidence les fonctions distinctes des deux hémisphères. Le résultat surprenant de ces tests fut de montrer que chaque hémisphère perçoit dans un sens sa propre réalité, ou mieux dit, que chaque hémisphère perçoit la réalité à sa façon. La partie gauche du D’après le journaliste Maya Pines, les théologiens et autres théoriciens s’intéressant au cerveau, siège de la parole, domine le plus problème de l’identité humaine ont suivi avec souvent chez les individus dont le cerveau est beaucoup d’attention les recherches intact de même que chez les scientifiques sur les deux moitiés du cerveau. commissurotomisés. Grâce à des procédés Comme Pines le fait observer, ils se sont vite ingénieux, cependant, le groupe du Cal Tec a pu rendu compte que tous les chemins mènent au Dr. Roger Sperry, professeur de psychobiologie tester isolément l’hémisphère droit de ces au California Institute of Technology, qui a le patients et s’est aperçu que la partie droite du talent de faire — ou de provoquer — cerveau, qui ne parle pas, est elle-même capable d’importantes découvertes. de percevoir, de réagir, d’éprouver des Maya Pines, The Brain Changers sentiments, et de traiter des informations de « Le thème principal qui émerge... est qu’il manière indépendante. Dans notre propre semble exister deux modes de pensée, l’un cerveau, dont le corps calleux est intact, la verbal et l’autre non verbal, représentés assez communication entre les deux hémisphères distinctement dans les hémisphères gauche et fusionne ou concilie les deux types de droit, respectivement, et que notre système perception, préservant ainsi la conscience que d’enseignement, comme la science en général, tend à négliger la forme non verbale de nous avons de ne former qu’une seule personne, l’intellect. Ceci revient à dire que la société un être unique. exerce une discrimination à l’égard de l’hémisphère droit » Roger W. Sperry
Les chercheurs ne se sont pas contentés d’étudier la séparation gauche/droite de « Lateral Specialization of Cerebral Functions l’expérience mentale vécue à la suite de in the Surgically Separated Hemisphers », 1973 l’intervention chirurgicale; ils ont observé les « Les données montrent que l’hémisphère différentes manières dont les deux hémisphères dominé, muet, est spécialisé pour la perception traitent les informations. Il devenait de plus en Gestalt, opérant principalement de manière plus manifeste que le mode de fonctionnement synthétique sur les informations données. L’hémisphère dominant, qui parle, semble au de l’hémisphère gauche est de type verbal et contraire fonctionner de manière plus logique, analytique, tandis que le mode de analytique, à la façon d’un ordinateur. Son fonctionnement de l’hémisphère droit est non langage est inadéquat pour les synthèses rapides verbal et global. Dans son travail de doctorat, et complexes que réalise l’hémisphère dominé ». Jerre Levy a montré par ailleurs que le mode de Jerre Levy R.W. Sperry traitement des informations dans le cerveau droit est rapide, complexe, total, spatial et perceptif — mode d’opération qui, tout en étant très différent du mode verbal et analytique du cerveau gauche, se caractérise néanmoins par une complexité aussi grande. De plus, certaines observations faites par Levy semblent indiquer que les deux modes de fonctionnement tendent à interférer mutuellement, empêchant ainsi la totale exploitation de leur potentiel ; pour Levy, cette interférence expliquerait peut-être le développement progressif d’une asymétrie dans le cerveau humain — comme moyen de garder chaque mode de fonctionnement dans l’hémisphère qui lui correspond.
30 Les observations faites sur les commissurotomisés ont progressivement amené les chercheurs à considérer que les deux hémisphères se caractérisent par des modes cognitifs supérieurs qui, tout en étant différents, font néanmoins appel à la réflexion, au raisonnement et à un fonctionnement mental complexe. Au cours des dix dernières années, depuis la première hypothèse formulée par Levy et Sperry, les chercheurs ont accumulé les preuves en ce sens grâce à leurs observations sur les commissurotomisés autant que sur des sujets dont le cerveau était intact. Quelques exemples de tests spécialement conçus pour l’observation des commissurotomisés permettront peut-être de comprendre la réalité distincte perçue par chaque hémisphère et les modes particuliers de fonctionnement qui sont utilisés. Dans l’un de ces tests, on a fait apparaître pendant un instant deux images différentes sur un écran. Les yeux du commissurotomisé étaient fixés sur un point à mi-distance de sorte qu’il était impossible d’examiner les deux images à la fois. Chaque hémisphère percevait donc une image différente. L’image d’une cuillère sur le côté gauche de l’écran allait au cerveau droit, et l’image d’un couteau sur le côté droit de l’écran allait au cerveau gauche, siège de la parole, comme le montre la figure 3-4. Lorsqu’on le questionnait, le patient donnait des réponses différentes. Lorsqu’on lui demandait de nommer ce qu’il avait vu sur l’écran, son hémisphère gauche, où se trouve le centre « dominant » de la parole lui faisait répondre: «un couteau ». Quand on lui demandait de glisser la main gauche (hémisphère droit) derrière un rideau et de prendre l’objet qu’il avait vu sur l’écran, le patient choisissait alors une cuillère parmi tout un groupe d’objets comprenant notamment une cuillère et un couteau. Lorsque l’expérimentateur lui demandait d’identifier ce qu’il avait en main derrière le rideau, il semblait un moment désorienté puis finissait par dire: «un couteau». L’hémisphère droit, sachant que la réponse était fausse mais ne possédant pas les mots nécessaires pour corriger le cerveau gauche détenteur de la parole, poursuivait le dialogue en poussant le patient à hocher la tête en signe de dénégation. A quoi l’hémisphère gauche répondait à voix haute: «Pourquoi donc suis-je en train de remuer la tête ? ».
Fig. 3-4. Dispositif utilisé pour tester les associations visuo-tactiles chez les commissurotomisés. D'après Michael S. Gazzaniga, « The Split-Brain in Man ».
Dans un autre test montrant que le cerveau droit est plus apte aux problèmes de spatialité, on donnait au patient plusieurs formes de bois qu’il devait disposer pour former un dessin. Les tentatives de la main droite (hémisphère gauche) échouaient sans cesse. Le cerveau droit essayait d’intervenir mais la main droite écartait sans cesse la gauche: finalement l’homme
31 dut s’asseoir sur sa main gauche pour la tenir à l’écart du puzzle. Lorsque les expérimentateurs lui conseillèrent finalement d’utiliser ses deux mains, la main gauche spatialement « intelligente » dut repousser la main droite spatialement « faible » afin de l’empêcher d’intervenir. Grâce aux découvertes extraordinaires des quinze dernières années, nous savons à présent que malgré notre sentiment normal de ne former qu’une seule personne — un être unique —, notre cerveau est double, chaque partie se caractérisant par un mode particulier de connaissance et de perception de la réalité extérieure. D’une certaine manière, nous avons chacun deux esprits, deux consciences, unis et intégrés par le biais du câble de fibres nerveuses qui relie les deux hémisphères. Nous savons que les deux hémisphères peuvent travailler ensemble d’un bon nombre de manières. Parfois ils coopèrent, chacun contribuant selon ses propres aptitudes et assumant les tâches qui correspondent à son mode de traitement des informations. A d’autres moments, les deux hémisphères peuvent fonctionner indépendamment, l’un étant « branché » et l’autre plus ou moins « débranché ». Et il semble également que les hémisphères puissent entrer en conflit, l’un d’eux essayant de faire ce que l’autre se sent mieux à même de réussir. De plus, il semblerait que chaque hémisphère ait sa propre manière de garder certaines informations à l’insu de l’autre. A la limite, il est peut-être vrai que, dans certains cas, la main droite ignore ce que fait la gauche.
La double réalité des commissurotomisés Vous vous demandez peut-être ce que tout cela a à voir avec l’apprentissage du dessin. Les recherches récentes sur les fonctions des hémisphères cérébraux chez l’homme et sur le traitement des informations visuelles montrent que l’aptitude au dessin dépend de l’accès que l’on peut avoir au potentiel de l’hémisphère droit, l’hémisphère dominé — de la faculté que l’on a de «débrancher» son cerveau gauche et de « brancher » le droit. En quoi cela aide-t-il une personne à dessiner ? Il apparaît que le cerveau droit perçoit la réalité —traite les informations visuelles— de la manière appropriée pour le dessin, et que le cerveau gauche la perçoit d’une manière qui semble interférer avec cette activité.
LE TEMOIGNAGE DE LA LANGUE Nous nous apercevons après coup que les hommes ont de tout temps pressenti l’existence de deux parties distinctes dans le cerveau ; en effet, les langues regorgent de mots et d’expressions suggérant que le côté gauche d’une personne se distingue de son côté droit par des caractéristiques différentes. Ces mots n’indiquent pas seulement une différence de position mais aussi des différences de qualité ou de caractères essentiels. En anglais, par exemple, pour comparer des idées dissemblables, on dit On the one hand ... on the other hand. L’expression A left-handed compliment, un compliment maladroit, signifie que nous attribuons à la droite et à la gauche des qualités différentes. Bien que ces expressions aient généralement trait aux mains, nous sommes en droit de déduire qu’elles font également allusion aux hémisphères qui contrôlent les mains, en raison des connections croisées qui existent entre les mains et les hémisphères cérébraux. Dès lors, les expressions familières reprises au paragraphe suivant, bien qu’elles se réfèrent spécifiquement
32 aux mains gauche et droite, doivent être comprises comme désignant les hémisphères opposés — le cerveau droit relié à la main gauche et le cerveau gauche relié à la main droite.
Les préjugés de la langue et des coutumes Les mots et expressions relatifs aux concepts de gauche et de droite imprègnent la langue et la pensée. La main droite (autrement dit, l’hémisphère gauche) est fortement liée à l’idée de ce qui est bon, juste, moral, approprié. La main gauche (par conséquent l’hémisphère droit) est étroitement assimilée aux concepts d’anarchie et aux sentiments vils, immoraux, dangereux ou qui échappent au contrôle de la volonté.
Nasrudin était assis avec un ami alors que le soir tombait. « Allume une chandelle », dit l’homme, « car il fait noir à présent. Il y en a une juste à ta gauche ». « Comment veux-tu que je distingue ma gauche de ma droite dans l’obscurité, idiot? » demanda le Mulla. Indries Shah, The Exploits Incomparable Mulla Nasrudin
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Jusqu’il y a peu, se prévalant de l’ancien préjugé contre la main gauche et l’hémisphère droit, les parents et les professeurs obligeaient parfois les enfants gauchers à utiliser la main droite pour écrire, manger, etc. — cette pratique entraînant souvent des troubles persistant jusqu’à l’âge adulte. Depuis que l’homme existe, les connotations positives pour la main droite et l’hémisphère gauche, et les connotations négatives pour la main gauche et l’hémisphère droit se retrouvent dans presque toutes les langues du monde. En latin, le mot pour gauche est sinister qui signifie aussi « maladroit », « de mauvais augure », « sinistre ». En latin toujours, le mot pour droite est dexter d’où vient notre mot « dextérité » qui signifie « habileté » ou « adresse ». Modes de connaissance parallèles intellect convergent digital secondaire abstrait orienté propositionnel analytique linéaire rationnel séquentiel analytique objectif successif J.R. Bogen
intuition divergent analogique primaire concret libre imaginatif relationnel non linéaire intuitif multiple global subjectif simultané
« Some Eucational Aspects of Hemispher Specialization »
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Yin féminin négatif lune obscurité soumis gauche Chaleur Automne hiver Inconscient cerveau droit émotion
Yang masculin positif soleil lumière agressif droite froid printemps été conscient cerveau gauche raison
Yi-King ou Le Livre des Mutations Ouvrage chinois taoïste
Sous le terme « gauche », le dictionnaire reprend comme synonymes les mots « dévié », « tordu » et « maladroit ». Les synonymes de « droit », par contre, sont « judicieux », « sensé », « loyal ». Or il ne faut pas oublier que tous ces mots ont été forgés, quand les langues sont nées, par l’hémisphère gauche de certaines personnes — le cerveau gauche
33 adressant au droit les qualificatifs les plus blessants. Et le cerveau droit, étiqueté, montré du doigt, et agressé, était dépourvu d’un langage qui lui eût permis de se défendre.
DEUX MODES DE CONNAISSANCE Parallèlement aux différentes connotations qui opposent la droite et la gauche dans la langue, les philosophes, les professeurs et les scientifiques d’époques et de cultures très variées ont postulé l’existence d’une dualité ou « bilatéralité » dans la nature et la pensée humaines. L’idée fondamentale est qu’il existe parallèlement deux « modes de pensée ». Ces conceptions vous sont probablement familières. Tout comme les expressions relatives à la gauche et à la droite, elles imprègnent notre culture. Les principales distinctions sont établies, notamment entre réflexion et sensation, entre raisonnement et intuition, et entre analyse objective et impression subjective. D’après les observateurs politiques, les gens analysent généralement les aspects positifs et négatifs d’une question puis votent ensuite selon leurs préférences épidermiques. L’histoire de la science regorge d’anecdotes où le chercheur obsédé par un problème fait un rêve dans lequel la réponse se présente d’elle-même, comme une métaphore intuitivement appréhendée. La phrase d’Henri Poincarré en est un exemple marquant. Dans un tout autre contexte, les gens disent parfois d’une autre personne : « Ce qu’il (ou elle) dit semble juste, mais quelque chose me dit de nous en méfier ». Ou bien : « Je ne peux vous l’expliquer précisément avec des mots, mais quelque chose chez cette personne me déplaît ». Ces réflexions relèvent de l’observation intuitive que, dans le cerveau, deux parties sont en jeu, traitant les mêmes informations de deux manières différentes.
DEUX MODES DE TRAITEMENT DES INFORMATIONS Sous notre crâne, donc, se trouve un double cerveau, doté de deux modes de connaissance. La bilatéralité de notre cerveau et de notre corps et les caractéristiques distinctes attribuées à chaque côté, qui trouvent une expression intuitive dans la langue, possèdent donc une justification physiologique. Etant donné que chez la plupart des individus les fibres nerveuses de connexion sont intactes, nous ne percevons que rarement à un niveau conscient les conflits qui furent mis en évidence lors des tests sur les commissurotomisés. Néanmoins, comme chacun de nos hémisphères recueille les mêmes données sensorielles, chaque moitié de notre cerveau peut gérer les informations à sa façon: la tâche peut être répartie entre les deux hémisphères, chacun s’occupant de la partie qui correspond le mieux à son mode d’opération, ou bien l’un des hémisphères, généralement le gauche, l’hémisphère dominant, l’emporte, inhibant son concurrent. L’hémisphère gauche analyse, abstrait, compte, marque le temps, programme ses opérations par étapes, verbalise et rationalise conformément à la logique. Par exemple : « Etant donné les nombres a, b et c, nous pouvons dire que si a est plus grand que b et que b est plus grand que c, a est nécessairement plus grand que c ». Cet énoncé illustre le mode de connaissance de l’hémisphère gauche: un mode analytique, verbal, déductif, séquentiel, symbolique, linéaire et objectif.
34 Par contre, nous avons un second mode de connaissance: le mode de l’hémisphère droit. Grâce à lui, nous voyons les choses imaginaires — seulement perceptibles à l’oeil de l’esprit—ou nous nous rappelons de choses qui peuvent être réelles (pouvez-vous vous représenter la porte d’entrée de votre maison, par exemple ?). Nous voyons comment les choses se présentent dans l’espace, et comment les parties s’assemblent pour former un tout. Grâce à notre hémisphère droit, nous comprenons les métaphores, nous rêvons, nous créons de nouvelles combinaisons d’idées. Quand quelque chose nous semble trop compliqué à décrire, nous sommes capables de l’expliquer par gestes. Le psychologue David Galin nous donne son exemple favori : essayez de décrire un escalier en spirales ans faire le geste d’une spirale. Grâce à notre hémisphère droit toujours, nous sommes capables de dessiner l’image de nos perceptions.
L’eurêka Le mode de traitement des informations propre à l’hémisphère droit relève de l’intuition et nous lui devons nos sursauts de clairvoyance — ces instants privilégiés où chaque chose semble trouver sa place sans que nous ayions à les considérer dans leur ordre logique. A ce moment, la plupart des gens s’exclament spontanément : « Ça y est. Je Vois» ou «Ah, oui, maintenant je vois comment ça se profile». L’exemple classique est le cri d’exultation « Eurêka ! » (J’ai trouvé !) qu’on attribue à Archimède. Si on en croit l’histoire, Archimède aurait été saisi, alors qu’il prenait un bain, d’une inspiration soudaine qui l’aurait mené à formuler son fameux principe selon lequel le poids d’eau déplacée permet de déterminer le poids d’un solide immergé. Tel est donc le mode de connaissance de l’hémisphère droit : intuitif, subjectif, relationnel, global et intemporel. Il s’agit aussi d’un mode « gaucher » infirme, ignoré, que de tout temps notre civilisation a méprisé. Notre système d’éducation, par exemple, est conçu en grande partie pour valoriser l’hémisphère gauche verbal, rationnel et chronologique, alors que la moitié droite du cerveau de chaque étudiant est totalement négligée.
Le mathématicien du dix-neuvième siècle Henri Poincarré décrit ainsi l’intuition soudaine qui lui permit de résoudre un problème difficile : « Un soir, je pris du café noir, contrairement à mon habitude, je ne pus m’endormir: les idées surgissaient en foule; je les sentais comme se heurter, jusqu’à ce que deux d’entre elles s’accrochassent, pour ainsi dire, pour former une combinaison stable. (...) il semble que, dans ces cas, on assiste soi-même à son propre travail inconscient, qui est devenu partiellement perceptible à la conscience surexcitée et qui n’a pas pour cela changé de nature. On se rend alors vaguement compte de ce qui distingue les deux mécanismes ou. si l’on veut, les méthodes de travail des deux moi ». Le Dr. J. William Bergquist, mathématicien et spécialiste du langage d’informatique connu sous le sigle APL, a suggéré dans un article publié à Snowmass, Colorado. en 1977. que seraient probablement bientôt mis au point des ordinateurs qui combineraient en une seule machine les fonctions digitales et analogiques. Le Dr. Bergquist a baptisé sa machine « The Bifurcated Computer »*. Selon lui, cet ordinateur fonctionnerait de manière comparable aux deux moitiés du cerveau humain. N.d.T.: L’Ordinateur hybride.
« L’hémisphère gauche analyse dans le temps, tandis que l’hémisphère droit synthétise dans l’espace ». Jerre,Levy, « Psychobiological Implications of Bilateral Asymmetry »
35 MIEUX VAUT UN DEMI-CERVEAU QUE PAS DE CERVEAU DU TOUT : MIEUX VAUDRAIT UN CERVEAU TOUT ENTIER Avec leur enseignement verbal et numérique séquentiel, les écoles que vous et moi avons fréquentées n’étaient pas en mesure de développer le mode de connaissance propre à l’hémisphère droit. Après tout, l’hémisphère droit ne répond pas à un contrôle verbal très précis. Il est impossible de le raisonner. Il est impossible de lui faire énoncer des propositions logiques telles que : « Ceci est juste ou cela est faux pour les raisons a, b et c. ». Cet hémisphère droit est métaphoriquement « gauche » avec toutes les connotations traditionnelles que ce terme implique. L’hémisphère droit ne permet pas précisément de sérier, c’est-à-dire de franchir la première étape en premier lieu, puis de franchir la suivante, puis encore la suivante. Il peut commencer n’importe où ou prendre tout à la fois. De plus, l’hémisphère droit n’a pas une claire notion du temps et ne semble pas comprendre ce que veut dire « perdre son temps », à l’inverse de l’hémisphère gauche, sage et méritant. Le cerveau droit ne convient pas pour les classifications et les définitions. Il semble considérer les choses telles qu’elles sont à l’instant présent; il prend les choses comme elles se présentent, dans leur étrange et fascinante complexité. Il ne convient pas non plus pour l’analyse et l’abstraction de caractéristiques dominantes.
Les personnes de créativité semblent souvent avoir intuitivement conscience de l’existence de deux côtés distincts dans le cerveau. Kipling, par exemple, a écrit ce poème intitulé « The Two sided Man », il y a plus de cinquante ans. Je dois beaucoup aux terres qui m’ont fait grandir — Plus encore aux Vies qui m’ont nourri — Mais je dois tout à Allah Qui a doté ma tête de Deux Côtés distincts Je médite beaucoup sur le Bien et sur le Vrai Dans toutes les religions sous le soleil Mais surtout sur Allah Qui a doté ma tête de deux Côtés, au lieu d’un J’irais sans chemise ni souliers, Sans ami, sans tabac ou sans pain, Plutôt que perdre une minute les deux Côtés distincts de ma tête! Rudyard Kipling « Approchant la quarantaine, j’ai fait un rêve singulier dans lequel j’ai presque saisi le sens et compris la nature de ce qui se perd dans le temps perdu ».
Aujourd’hui encore, bien que les enseignants soient de plus en plus conscients de l’importance de la pensée Cyril Connolly, The Unquiet Grave: A intuitive et créative, les systèmes d’enseignement en Word Cycle by Palinuris général sont toujours structurés en fonction du mode d’opération de l’hémisphère gauche. L’enseignement est sérié ; les élèves passent de première en deuxième année, puis en troisième, etc., suivant une progression linéaire. Les matières qu’ils étudient sont de nature verbale et numérique: la lecture, l’écriture, l’arithmétique. Ils suivent des horaires. Tous doivent donner une même réponse à une même question. Les bancs sont disposés en rangs. Les professeurs distribuent des notes. Et chacun a l’impression que quelque chose ne va pas. Le cerveau droit — le rêveur, l’artisan, l’artiste — est perdu dans notre système scolaire dont il est largement écarté. Aujourd’hui peut-être, grâce aux contributions théoriques des neurologues démontrant la nécessité de développer les facultés du cerveau droit, sommes-nous en mesure d’édifier un nouveau système d’enseignement qui s’applique au cerveau tout entier. Un tel système s’attacherait certainement à cultiver les aptitudes au dessin — une manière efficace et active d’accéder au potentiel du cerveau droit.
36 LE MODE DE L’IMAGINATION L’un des merveilleux talents du cerveau droit est de se représenter les choses imaginaires, uniquement perceptibles à l’oeil de l’esprit. Le cerveau droit est capable d’évoquer une image puis de la « regarder », de la « voir » comme si elle était « vraiment là ». Les termes visualiser ou imaginer sont presque utilisés indifféremment mais, à mon avis, le terme « visualiser » donne l’idée d’une image en mouvement, alors qu’imaginer semble plutôt dénoter une image immobile.
« Afin de rendre possible la survie biologique, il faut que l’Esprit en général soit creusé d’une tuyauterie passant par la valve de réduction constituée par le cerveau et le système nerveux. Ce qui sort à l’autre extrémité, c’est un égouttement parcimonieux de ce genre de conscience qui nous aidera à rester vivants à la surface de cette planète particulière. Afin de formuler et exprimer le contenu de ce conscient réduit, l’homme a inventé et perfectionné sans fin ces systèmes de symboles et de philosophies implicites que nous appelons les langues ». Aldous Huxley, Les Portes de la Perception
La visualisation et l’imagination sont des composantes importantes de la technique du dessin. L’artiste regarde l’objet ou la personne qu’il veut dessiner et prend mentalement le cliché de son sujet. Il garde cette image en mémoire et se penche ensuite sur le papier pour la dessiner. Un autre coup d’oeil, une nouvelle image retenue, puis le dessin de cette image, et ainsi de suite. Afin d’illustrer les aptitudes particulières du cerveau droit, j’ai mis au point quelques exercices préliminaires qui montrent l’efficacité de la visualisation en tant que procédé permettant de comprendre et de garder en mémoire des informations complexes. Pour simplifier la terminologie relative aux informations des hémisphères cérébraux, j’utiliserai les notations « mode-G » ou « mode-D » tout au long de cet ouvrage. Une visualisation de ces termes en facilitera la mémorisation. Prenez d’abord un « cliché mental » (une photographie de l’esprit) de chacune de ces représentations graphiques:
Le mode-G est « droitier » et relève de l’hémisphère gauche. Le G est vigoureux, droit, sage, direct, fidèle, coupant, sans fantaisie, puissant.
Le mode-D est « gaucher » et relève de l’hémisphère droit. Le D est arrondi, flexible, plus enjoué dans ses courbes et ses tournures inattendues, plus complexe, détourné, fantaisiste.
Ces deux représentations me serviront à désigner les deux modes de conscience distincts dans lesquels prédomine l’un ou l’autre type de traitement des informations. Pour toutes ses opérations, quelles qu’elles soient, le cerveau utilise ses deux hémisphères, l’un d’eux prédominant peut-être à certains moments, les deux se partageant équitablement les tâches à d’autres moments. Le mode-G est considéré comme linéaire, verbal, symbolique et analytique, comme il est défini dans la première colonne de la liste reprise plus loin. Le modeD est défini comme spatial, global, non verbal et intuitif, comme dans la seconde colonne (voir page ). Une claire représentation de ces deux modes vous permettra de mieux comprendre les instructions relatives aux exercices de dessin.
37 C’est pourquoi il serait bon de faire les exercices de visualisation suivants : 1. Représentez-vous le G, vigoureux et arrogant. Voyez-le avec l’oeil de l’esprit, avec ses côtés rectilignes et ses angles droits. Agrandissez maintenant cette image et juxtaposez-la à une autre forme afin de comparer les dimensions : figurez-vous le G de la taille d’une pyramide ou de l’Empire State Building. A présent, imaginez le G en couleur, de n’importe quelle couleur. Maintenant rattachez au G des symboles convenant à son style : des mots, des nombres, le temps, des équations mathématiques, des graphiques, des cartes, des livres, peut-être l’image d’un mathématicien, d’un avocat, d’un savant, d’un comptable. Vous pouvez choisir la représentation que vous préférez. Vous vous rappellerez plus longtemps et plus clairement ces représentations si vous les composez vous-même. Plus important encore, localisez le mode-G dans votre propre cerveau en plaçant votre main (la gauche ou la droite, peu importe) sur le côté gauche de votre tête : réduisez la taille de l’image et imaginez que vous êtes en train de placer l’image du mode-G dans la moitié gauche de votre cerveau.
Le savant russe Leonid Ponomarev décrit avec éloquence nos deux modes de connaissance: « On sait depuis longtemps que la science n’est qu’une méthode parmi d’autres pour étudier le monde qui nous entoure. Une autre méthode — complémentaire — se pratique dans l’art. L’existence conjointe de l’art et de la science, en elle-même, illustre bien le principe de la complémentarité. Vous pouvez vous consacrer entièrement à la science ou vivre exclusivement de votre art. Les deux points de vue se justifient également mais, pris séparément, ils sont incomplets. L’épine dorsale de la science est la logique et l’expérimentation. L’art trouve ses fondements dans l’intuition et l’illumination. Mais l’art du ballet exige une exactitude mathématique et, comme l’a dit Pouchkine, ‘L’inspiration en géométrie est tout aussi nécessaire qu’en poésie’. L’art et la science sont complémentaires plutôt que contradictoires. La science vraie est semblable à l’art de la même manière que l’art véritable comporte des éléments scientifiques. Ils reflètent des aspects différents, complémentaires, de l’expérience humaine et ne nous donnent une idée complète du monde que lorsqu’ils sont pris ensemble. Malheureusement, nous ne connaissons pas la ‘relation d’incertitude’ pour la paire combinée des concepts ‘science et art’. C’est pourquoi nous ne pouvons évaluer les pertes que nous inflige une perception unilatérale de la vie ». Leonid Ponomarev, In Quest of the Quantum
2. Maintenant, représentez-vous le D arrondi. Voyez-le avec l’oeil de l’esprit, avec ses courbes complexes. Agrandissez-le ou réduisez-le si vous voulez. Ajoutez d’autres formes afin de voir leurs dimensions relatives. Attachez-lui ensuite les caractéristiques propres au style de l’hémisphère droit: peut-être l’image de quelqu’un en train de peindre, de dessiner, de jouer de la musique, de sculpter, de rêver en parfaite ignorance du temps qui passe. Etant donné que ces fonctions sont moins nettement définies (ce qui ressemble bien à l’hémisphère droit) que les fonctions de l’hémisphère gauche, ce sera l’occasion d’éprouver votre capacité imaginative. Comment vous représentez-vous l’intemporalité ? Peut-être à la manière d’un surréaliste comme Dali, comme une montre sans cadran. Comment vous figurez-vous des analogues, des choses qui sont semblables ? Comment vous représentez-vous le cri « Eurêka » ? Prenez votre temps, jusqu’à ce que vous puissiez évoquer mentalement une image sur le mode-D. Placez alors votre main sur le côté droit de votre tête et imaginez de nouveau le mode-D à l’intérieur de la moitié droite de votre cerveau. A présent, faites passez les images au côté opposé : le mathématicien, le savant, etc. traversent le corps calleux en direction du mode-D pour rêver et imaginer des inventions nouvelles ; l’artiste et le musicien passent au mode-G pour analyser des problèmes d’esthétique. 3. Répétez cet exercice jusqu’à ce que vous puissiez vous sentir passer d’une image à l’autre, d’abord vers le côté gauche de votre cerveau avec votre représentation du G et ensuite vers le côté droit avec votre représentation du D. Cet exercice mental de transition de G vers D vous
38 aidera pendant les travaux de dessin à effectuer la conversion mentale vers le mode propre au dessin (mode-D). Comparaison des caractéristiques du mode gauche et du mode droit
Verbal : Utilise les mots pour désigner, décrire, définir.
Non verbal : Conscient des choses mais correspondance minimale avec les mots.
Analytique : Considère les choses petit à petit et une partie après l’autre.
Synthétique : Met les choses ensemble pour former un tout.
Symbolique : Utilise les symboles pour désigner les choses. Par exemple, le graphisme signifie oeil, le signe + représente l’opération de l’addition.
Concret : Se réfère aux choses telles qu’elles sont, au moment présent.
Abstrait : Relève une petite partie de l’information et l’utilise pour représenter la chose dans son ensemble.
Analogique : Perçoit les ressemblances entre les choses; comprend les relations métaphoriques.
Temporel : Conscient du temps, envisage les choses dans leur ordre de succession: la première chose en premier lieu, la deuxième chose en deuxième lieu, etc.
Intemporel : N’a pas la notion du temps.
Rationnel : Tire des conclusions fondées sur la raison et sur les faits.
Irrationnel : N’exige pas de justification par la raison ou parles faits; désireux de surseoir aux jugements.
Digital : Utilise les nombres, par exemple pour compter.
Spatial : Perçoit les relations entre les choses et les rapports qui unissent les parties d’un tout.
Logique : Tire des conclusions conformément à la logique: une chose suivant l’autre dans un ordre logique — par exemple, un théorème en mathématiques ou un argument bien formulé.
Intuitif : Appréhension instantanée de la réalité, souvent basée sur des données incomplètes, des intuitions, des sentiments, ou des images visuelles.
Linéaire : Pense sous forme d’idées suivies, une pensée succédant directement à l’autre, menant souvent à des conclusions convergentes.
Global : Perçoit de suite les choses dans leur ensemble; appréhende les structures et les schémas généraux, menant souvent à des conclusions divergentes.
VISUALISATION DES CONNECTIONS CROISEES : LE CERVEAU ET LE CORPS
39 En réponse à une enquête de Jacques Hadamard sur les méthodes de travail des mathématiciens, Albert Einstein lui a écrit une lettre dans laquelle il dit : « Les mots, ou la langue, tels qu’ils sont écrits ou parlés, ne semblent jouer aucun rôle dans mon mécanisme de pensée. Les entités psychiques qui semblent servir d’éléments dans la pensée sont certains signes et des images plus ou moins claires qui peuvent être ‘volontairement’ reproduits ou combinés ».
Les exercices de dessin qui suivent, conçus pour vous permettre d’accéder au mode-D, seront plus efficaces si vous vous représentez clairement les connections croisées qui unissent les deux moitiés du cerveau aux deux moitiés du corps. Après ces exercices, vous serez capables d’évoquer facilement l’image de ces connections, ce qui vous dispensera de les désigner par des mots. 1. Imaginez les connections entre votre Jacques Hadamard, The Psychology of cerveau gauche et le côté droit de votre corps. Invention in the Mathematical Field Voyez-les à votre manière — sous forme de tubes, de courants électriques, de fils, peu importe. Imaginez à présent les trajets en couleur, disons en bleu ou en rouge, allant du cerveau gauche à chaque partie du côté droit de votre corps. 2. Maintenant, changez de côté. Représentez-vous les connections entre votre cerveau droit et le côté gauche de votre corps dans une couleur différente, disons en vert ou en jaune. 3. Figurez-vous à présent le système au complet avec ses connections croisées.
LE TISSAGE ENCHANTE Nous devons au chercheur anglais Sir Charles Sharrington la métaphore la plus célèbre sur le cerveau. Ce savant a décrit le cerveau comme « un tissage enchanté que des millions de navettes traversent comme des éclairs, formant un motif qui disparaît aussitôt, un motif toujours significatif mais jamais permanent ... ». 1. Visualisez mentalement, avec l’oeil de l’esprit, le tissage enchanté avec sa myriade de navettes-éclairs se groupant un instant dans un coin de votre cerveau — disparaissant, s’assombrissant, puis striant l’espace vers une autre région en un motif changeant; un motif qui rayonne puis s’éteint, qui rayonne puis s’éteint.
Bob Samples, professeur, auteur, et philosophe humaniste présente un exercice de visualisation dans son ouvrage sur l’enseignement, The Wholeschool Book : « Imaginons un instant que chacun de nous ait dans la tête non pas une prairie mais deux. Deux prairies distinctes. Etant donné qu’il s'agit de deux prairies, elles ont certainement des qualités communes. Mais il y a tout de même certaines différences. Afin de vous imaginer qu’elles sont bien distinctes, visualisez une large rivière s’écoulant rapidement entre elles. C’est cela — une rivière entre elles coulant d’un hémisphère vers l’autre. Un aspect étrange de cette rivière est qu’elle coule dans les deux sens à la fois. La substance d’une prairie peut à tout instant s’écouler dans l’autre. Cependant, dès qu’elle arrive, elle est transformée selon l’écologie de cette nouvelle prairie ».
2. Imaginez à présent que vous pouvez contrôler le motif et que vous pouvez rassembler toutes les navettes au même endroit, ensuite les faire disparaître, puis les rassembler à nouveau autre part. Imaginez-les s’assembler d’abord d’un côté puis de l’autre. Imaginez que ces regroupements suscitent une véritable sensation physique dans votre cerveau, une légère modification de tension, une variation infime de poids, un faible réchauffement ou un refroidissement, un bourdonnement étouffé.
40 L’observateur caché D’après les psychologues, beaucoup de personnes seraient capables de se distancier d’elles-mêmes et de prendre conscience des variations de leur état mental comme si elles observaient le fonctionnement de leur propre cerveau. Les exercices de visualisation suivants et certains exercices ultérieurs vous aideront à cultiver l’ « observateur caché » qui est en vous, pour reprendre l’expression du psychologue Charles Tart, et à percevoir, à un niveau conscient, les légères modifications de votre état mental. Vous serez ainsi capable de vous « brancher » sur le mode-D, le mode qui permet aux artistes de voir et de dessiner.
Le psychologue Charles T. Tart, à propos des différents états de conscience a dit: « De nombreuses disciplines méditatives partent du principe que chacun possède (ou peut développer) un observateur particulièrement objectif à l’égard de la personnalité ordinaire. Etant donné que cet observateur est essentiellement de l’attention — de la conscience — pure, il ne possède pas de particularités propres ». Le Professeur Tart poursuit en expliquant que certaines personnes ayant l’impression de posséder un observateur particulièrement bien développé « pressentent que cet observateur peut procéder à des observations essentiellement continues non seulement dans un état de conscience discret déterminé (d-SoC) mais encore pendant la transition entre deux états discrets différents ou plus ». Charles T. Tart, « Putting the Pieces Together »
CREATION DES CONDITIONS FAVORABLES A LA CONVERSION G – D Les exercices du chapitre suivant sont spécialement conçus pour provoquer la conversion mentale du mode-G vers le mode-D. On pense aujourd’hui que la nature de la tâche à accomplir peut déterminer l’hémisphère qui prendra la direction des opérations en inhibant l’autre, et c’est précisément à partir de cette hypothèse que furent établis les exercices suivants. Comme je l’ai dit déjà, les chercheurs pensent que les hémisphères peuvent être soit alternativement « branchés » — une condition de fonctionnement pour un hémisphère constituant une condition de non-fonctionnement pour l’autre—, soit « branchés » simultanément, l’un des deux assurant le contrôle des opérations (le comportement manifeste). Reste à savoir quels sont les facteurs qui déterminent l’hémisphère fonctionnel et/ou dominant.
D’après des études faites sur des animaux, des commissurotomisés et des individus dont le cerveau était intact, les chercheurs estiment que la dominance de l’un des deux hémisphères peut être déterminée de deux manières. L’un des critères est la rapidité : quel hémisphère se met au travail le plus rapidement ? Un second critère est la motivation : quel hémisphère se
En prose, la pire des choses qu’on puisse faire avec des mots est de se soumettre à eux. Quand vous pensez à un objet concret. vous pensez sans user des mots, et si. par la suite, vous voulez décrire la chose que vous avez visualisée, il vous faut probablement faire un effort pour trouver les mots exacts qui vous semblent convenir. Quand vous pensez à une chose abstraite, vous êtes plus enclin, dès le départ, à faire appel aux mots et, à moins que
41 sent le plus compétent ou apprécie le mieux le travail donné? Et inversement, quel hémisphère se sent le moins compétent ou apprécie le moins le travail ?
vous vous efforciez délibérément de les éviter, vos tours de langage s’imposeront et feront le travail pour vous, dussent-ils pour cela brouiller, ou même modifier, votre pensée. Il est probablement préférable de se passer des mots aussi longtemps que c’est possible et préciser ses conceptions aussi clairement que le permettent les images et les sensations.
Le dessin d’une forme perçue relevant largement des fonctions du cerveau droit, il nous faut garder le cerveau gauche à l’écart des George Orwell , « Politics and the English opérations. Malheureusement, l’hémisphère Language » gauche est dominant et rapide et il est toujours prêt à intervenir avec des mots et des symboles, s’attribuant même les tâches pour lesquelles il n’est pas compétent.
Les études sur les commissurotomisés ont montré que le cerveau gauche aime « jouer au patron », pour ainsi s’exprimer, et hésite à reléguer la moindre tâche à son partenaire stupide, à moins que cette tâche lui déplaise vraiment — soit parce qu’elle demande trop de temps, parce qu’elle est trop détaillée ou trop lente, soit parce que lui-même est simplement incapable d’y faire face. C’est exactement ce qu’il nous faut — des tâches que le cerveau gauche refusera d’accomplir. Dans les exercices suivants, nous proposerons au cerveau des opérations que l’hémisphère gauche ne pourra pas ou ne souhaitera pas exécuter.
Gaucher ou droitier ? Avant d’entreprendre le cours proprement dit, il serait utile de revoir la question des relations entre le fait d’être gaucher et, d’autre part, le dessin et les fonctions spécifiques des deux hémisphères cérébraux. Les élèves m’interrogent souvent à ce sujet. Je tenterai donc de répondre aux questions les plus importantes, bien que les nombreuses recherches en la matière paraissent encore peu satisfaisantes, parfois contradictoires. En dépit de ces incertitudes, il semble évident que, dans la civilisation occidentale, 5 à 12 pour cent de la population soient largement ou significativement gauchers. Cela semble également vrai dans les autres civilisations mais certaines découvertes tendent à montrer que les hommes de la préhistoire et des premiers temps de l’histoire étaient moins manifestement droitiers. Jadis on pensait que les gauchers avaient une organisation cérébrale inverse de celle des droitiers; les fonctions du langage (la parole, l’écriture...) étant localisées dans le cerveau gauche chez les droitiers, on pensait que chez les gauchers, ces fonctions se situaient dans l’hémisphère droit. Mais les dernières recherches ont montré que chez la plupart des gauchers, comme chez les droitiers, le centre du langage se situe dans l’hémisphère gauche. Cependant, font parfois exception à la règle les gauchers dont la mère elle-même est gauchère ; chez ces personnes en effet, les fonctions du langage peuvent se situer dans le cerveau droit. Il n’est toujours pas certain que le fait d’être gaucher augmente les possibilités d’accès aux fonctions de l’hémisphère droit telles que l’aptitude au dessin. Un point cependant semble clair — et c’est une question qu’on me pose souvent pendant les cours: le fait de dessiner avec la main gauche assure-t-elle au droitier un meilleur contrôle de son cerveau droit ? La réponse est non. Les obstacles qui empêchent les gens de bien dessiner relèvent de leur vision des choses et ne disparaissent pas du simple fait d’un changement de main; cela ne sert en réalité qu’à rendre les dessins plus grossiers. Et une personne capable de dessiner peut dessiner de la
42 main droite, de la main gauche, ou apprendre à dessiner avec les dents ou les pieds s’il le faut, simplement parce qu’elle a appris à voir. Dans les chapitres qui suivent, les instructions s’adresseront aux droitiers mais elles conviendront aussi bien aux gauchers, à l’exception des gauchers dont la mère elle-même est gauchère. Pour ces quelques personnes, les instructions relatives au fonctionnement du cerveau devront être inversées.
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44 Une première expérience de la conversion cognitive gauche-droite Le dessin d’une forme perçue dépend largement des fonctions de l’hémisphère droit. Ce fait a été éprouvé et démontré expérimentalement. Comme je l’ai expliqué, pour dessiner une forme perçue, il faut « débrancher » autant que possible le cerveau gauche et « brancher » le droit, opération qui suscite une légère modification de l’état de conscience qui passe alors sous le contrôle de l’hémisphère droit. Les caractéristiques de cet état de conscience sont celles auxquelles de nombreux artistes ont fait allusion : une sensation d’intemporalité et de « communion » avec l’oeuvre, une difficulté pour trouver les mots et comprendre ce qui se dit, un sentiment de confiance et l’absence d’anxiété, une impression d’attention profonde pour les lignes et les surfaces, et pour les formes qui restent sans dénomination.
« Notre conscience normale, à l’état de veille, notre conscience rationnelle comme nous l’appelons, n’est qu’un type particulier de conscience autour de laquelle, et séparée d’elle par le plus fin des écrans, sommeillent d’autres formes potentielles de consciences entièrement différentes. Nous pouvons traverser la vie sans soupçonner leur existence; mais que se produise le stimulus nécessaire et elles sont là, à notre portée, dans leur intégralité; des types définis de mentalité qui, probablement, trouvent quelque part leur champ d’application et d’adaptation. » William James The Varieties of Religious Experience
Fig. 4-l.
Il est important que vous éprouviez vousmême la sensation que suscite le passage d’un mode à l’autre — conversion de l’état verbal et analytique à l’état spatial et non verbal. En créant les conditions favorables à cette conversion et en éprouvant la légère différence de sensation qu’elle produit, vous serez en mesure de reconnaître et de provoquer cet état mental particulier qui vous permettra de dessiner.
LE VASE ET LES VISAGES : UN EXERCICE EN DUO POUR LES DEUX EMISPHERES Les exercices suivants sont spécialement conçus pour vous permettre d’effectuer la conversion ce votre hémisphère gauche dominant à votre hémisphère droit dominé. Je pourrais continuer de décrire cette démarche avec d’autres mots mais vous seul pouvez ressentir cette conversion de vos facultés cognitives, cette légère modification de votre état de conscience. Comme l’a dit un jour Fats Waller : « Si vous vous demandez ce qu’est le jazz, alors vous ne le saurez jamais ». Il en va de même pour le mode-D: il faut d’abord faire l’expérience de la conversion du mode-G au mode-D, observer l’état de conscience que suscite le mode-D, avant de pouvoir connaître ce mode de fonctionnement cérébral.
45 VASE ET VISAGES : DESSIN 1 Vous connaissez probablement l’illusion d’optique du vase et des visages. Vu d’une certaine manière, le dessin représente deux visages de profil. Mais comme vous continuez à le regarder, le dessin se modifie pour former un vase. La figure 4-l donne une version de ce dessin. Avant de commencer : Lisez d’abord toutes les instructions relatives à cet exercice. 1. Du côté gauche de la feuille, dessinez le profil d’un visage qui regarde vers le centre. (Si vous êtes gaucher, dessinez le profil du côté droit, regardant vers le centre). Vous trouverez des exemples de dessin pour droitiers et pour gauchers aux figures 4-3 et 4-4. Inventez votre propre version du profil si vous le voulez. N’hésitez pas à utiliser les symboles que vous avez mémorisés pour figurer un profil humain.
Fig. 4-2. Pour les gauchers.
Fig. 4-3. Pour les droitiers.
2. Tracez ensuite des lignes horizontales pour former le dessus et le dessous du vase (figures 4-2 et 4-3). 3. A présent, revenez sur le dessin du premier profil avec votre crayon. Tandis que le crayon repasse les traits, nommez-les mentalement : front, nez, lèvre supérieure, lèvre inférieure, menton, cou. Répétez au moins une fois cette partie de l’exercice. Il s’agit d’une tâche propre au mode-G : nommer des formes symboliques. 4. Ensuite, en reprenant par le dessus, vous compléterez le vase. Le second profil devrait être l’inverse du premier, de sorte que le vase soit symétrique. (Regardez une fois encore l’exemple de la figure 4-1). Soyez attentif aux moindres signes de votre cerveau indiquant que vous êtes en train de changer de mode de traitement des informations. Il se peut qu’à un moment donné vous éprouviez la sensation d’un conflit intérieur en dessinant le second profil. Prêtez-y attention et voyez comment vous résolvez le problème. Vous vous apercevrez que vous dessinez le second profil différemment. C’est un dessin au mode de l’hémisphère droit.
46 Avant de continuer votre lecture, faites le dessin. Après avoir terminé : Maintenant que vous avez terminé le dessin du vase et des visages, repensez à la manière dont vous avez procédé. Vous avez probablement dessiné le premier profil plus rapidement et, lorsque vous l’avez redessiné comme il vous l’était demandé, vous vous vous êtes mis à scruter de gauche à droite la surface entre les profils, évaluant les angles, les courbes, les contours concaves ou convexes, et la longueur des traits, par rapport aux formes en vis-à-vis, qu’à ce moment vous étiez incapable de nommer. En d’autres mots, vous avez fait appel aux fonctions du langage, en énonçant les noms des différentes parties que vous repassiez au crayon. Il s’agit d’une démarche caractéristique de l’hémisphère gauche : dessiner des formes symboliques et leur donner un nom.
Thomas Gladwin, un anthropologue, a comparé la manière dont un Européen et un marin des îles Truk manoeuvraient de petits bateaux entre quelques îles minuscules du vaste océan Pacifique. Avant d’appareiller, l’Européen commence par établir un plan, le plus souvent en termes de directions, de degrés de longitude et de latitude, de temps prévu à l’arrivée des différentes escales. Une fois le plan conçu et terminé, il ne reste plus au marin qu’à franchir successivement les différentes étapes, l’une après l’autre, afin d’être certain d’arriver à temps à la destination prévue. Le navigateur utilise tous les instruments disponibles, un compas, un sextant, une carte. etc. et si on le lui demande, il peut expliquer avec exactitude comment il est arrivé là où il souhaitait se rendre. Le navigateur européen utilise le mode de l’hémisphère gauche. Au contraire, le marin des Truk commence son périple en imaginant la position de son point de destination par rapport â la position des autres îles. Il rectifie constamment son cap à mesure de sa progression d’après l’intuition qu’il a de sa position jusque-là. Il improvise continuellement, vérifiant la position relative des amers, la position du soleil, la direction du vent, etc. Il navigue en se référant à son point de départ, son point d’arrivée, et le point où il se trouve au moment même. Si on lui demande comment il arrive à si bien naviguer sans instrument ni plan écrit, il lui est impossible de s’expliquer par des mots, Ce n’est pas que les Trukois n’aient pas coutume de décrire les choses avec des mots, mais la démarche est trop complexe et trop fluide pour être exprimée verbalement. Le navigateur trukois utilise le mode de l’hémisphère droit.
En dessinant le second profil, (c'est-à-dire le profil qui termine le vase)vous avez peutêtre éprouvé une certaine confusion, un conflit intérieur, comme je l’ai dit. Pour continuer le dessin, vous avez dû chercher une nouvelle manière de procéder, une nouvelle démarche. Vous n’aviez probablement plus l’impression de dessiner un profil et vous vous êtes mis à scruter de gauche à droite la surface entre les profils, évaluant les angles, les courbes, les contours concaves ou convexes, et la longueur des J.A. Paredes et M.J. Hepburn, « The Split-Brain traits, par rapport aux formes en vis-à-vis, and the Culture-Cognition Paradox » qu’à ce moment vous étiez incapable de nommer. En d’autres mots, vous procédiez constamment à des ajustements de la ligne que vous traciez, en vérifiant où vous étiez et où vous alliez, scrutant l’espace entre le premier profil et votre copie inversée.
LE DESSIN SUR LE MODE DROIT ET LE NAVIGATEUR TRUKOIS Pour réaliser votre dessin du vase et des visages, vous avez dessiné le premier profil au mode de l’hémisphère gauche, comme le navigateur européen, en considérant une partie à la fois et en nommant ces parties l’une après l’autre. Vous avez dessiné le second profil au mode de l’hémisphère droit, comme le marin des îles Truk, dans les mers du Sud, vous avez constamment scruté vos repères afin d’ajuster l’orientation du trait. Vous avez probablement trouvé que le fait de nommer les parties du visage comme le front, le nez, ou la bouche vous embarrassait d’avantage. Il était plus commode de vous guider d’après la forme de la surface
47 entre les deux profils. En d’autres mots, il était plus facile de ne pas penser du tout—du moins avec des mots. Si vous voulez dessiner au mode de l’hémisphère droit, c’est-à-dire le mode de l’artiste, et si vous éprouvez le besoin de penser avec des mots, posez-vous uniquement des questions comme : « Où cette courbe commence-t-elle ? » « Quelle est la profondeur de cette courbe ? » « Quel angle forme cette ligne par rapport au bord de la feuille ? » « Quelle est la longueur de cette ligne par rapport à celle que je viens de tracer ? » « Où se situe le point que je fixe sur le premier profil par rapport au bord supérieur (ou inférieur) de la feuille ? » Ces questions sont compatibles avec le mode-D ; elles sont d’ordre spatial, relationnel et comparatif. Remarquez qu’aucune partie n’est nommée. On n’énonce aucune proposition, on ne tire aucune conclusion du genre « le menton doit ressortir autant que le nez », ou « les nez sont arrondis ». Pour l’exercice suivant, fixez votre esprit sur des critères non verbaux et relationnels. Si votre cerveau gauche intervient avec des énoncés verbaux à propos de détails précis (visages et vases), tâchez de lui imposer le silence. Votre « observateur caché » le raisonnera peut-être: « Ne vous mêlez pas de cela, s’il vous plaît. L’autre hémisphère peut très bien s’occuper de cette affaire. Un instant, et nous sommes à vous ». Ces procédés peuvent paraître déplacés; ils sont pourtant nécessaires, l’hémisphère gauche n’ayant pas coutume d’être mis à l’écart et devant être, en quelque sorte, « rassuré ».
VASE ET VISAGES : DESSIN 2
Fig. 4-4. Pour les gauchers.
Fig. 4-5. Pour les droitiers.
Faites le second dessin du vase et des visages en vous conformant aux instructions suivantes. Une fois encore, lisez toutes les directives avant de commencer.
48 1. Sur le côté gauche de la feuille si vous êtes droitier, ou sur le côté droit si vous êtes gaucher, dessinez un profil. Dessinez cette fois le visage le plus étrange que vous puissiez imaginer— une sorcière, un vampire, un monstre. Une fois encore, nommez les parties du visage à mesure que vous descendez le long du profil, en n’oubliant pas les embellissements éventuels que vous apporterez, comme les rides, les verrues, les doubles mentons, etc. Les figures 4-4 et 4-5 vous donnent des exemples mais vous pouvez inventer le profil que vous voulez. 2. Après avoir terminé le premier profil, ajoutez les lignes horizontales pour le dessus et le dessous du vase. 3. Dessinez à présent le profil inverse pour achever le vase qui, cette fois, sera un vase baroque. Comme dans l’exercice précédent, le premier profil de monstre est un dessin sur le mode-G dans lequel des formes symboliques représentent les traits d’un visage. Dans cette version plus complexe du vase et des visages, il est particulièrement plus commode — voire nécessaire — de passer au mode caractéristique de l’hémisphère droit. La complexité des formes exige le passage au mode de l’hémisphère droit. Le but de cet exercice n’est pas de réaliser un dessin parfait mais bien d’essayer de ressentir la conversion du mode gauche au mode droit. Tâchez de garder à l’esprit la différence entre les deux modes. A mesure que vous apprendrez à reconnaître l’instant où votre cerveau change de mode cognitif, vous pourrez utiliser délibérément l’hémisphère qui vous semble le plus approprié pour une tâche donnée. Vouloir dessiner une forme perçue en utilisant le mode gauche est comme vouloir enfiler une aiguille avec le pied. Ça ne marche pas. Ce qu’il faut, c’est être capable de « débrancher » l’hémisphère gauche et d’activer le droit. Pour ce faire, il faut débloquer l’hémisphère droit, ou comme l’a dit Aldous Huxley, il faut « ouvrir la porte dans le mur ». L’exercice suivant vous permettra d’effectuer une nouvelle conversion, plus radicale, vers le mode-D.
Charles Tart, Professeur de Psychologie à l’Université de Californie, à Davis, déclare: « Nous partons du concept d’un certain type de conscience fondamentale, une certaine forme d’aptitude élémentaire qui est celle de ‘savoir’, ou de ‘pressentir’ ou de ‘connaître’ ou ‘reconnaître’ que quelque chose est en train de se passer. C’est un donné théorique et expérimental fondamental. Nous ne connaissons pas scientifiquement la nature essentielle de la conscience mais c’est notre point de départ ». Charles T. Tart, Alternative Stores of Consciousness
LE DESSIN A L’ENVERS : CONVERSION VERS LE MODE-D Les objets les plus familiers ont un aspect différent quand ils sont placés à l’envers. Nous assignons automatiquement un haut, un bas, et des côtés gauche et droit aux choses que nous voyons et nous nous attendons toujours à les voir dans leur orientation habituelle — c’est-àdire la tête en haut. En effet, quand elles sont placées à l’endroit, nous reconnaissons les choses familières ; nous pouvons les nommer et les classer en faisant correspondre ce que nous voyons avec les souvenirs et les concepts que nous avons mémorisés.
49 Lorsqu’une image est à l’envers, les données visuelles ne concordent pas. Le message nous est étranger et notre cerveau est perturbé. Nous voyons les contours et les zones sombres et claires. Nous n’avons pas d’objection particulière contre le fait de regarder une image à l’envers pour autant, du moins, qu’on ne nous demande pas de l’identifier. La tâche devient alors exaspérante.
Fig. 4-6.
Vus à l’envers, les visages les plus familiers sont difficiles à reconnaître. La photographie à la figure 4-6, par exemple, est celle d’un Américain célèbre. Le reconnaissez-vous ? Vous avez peut-être dû retourner la photographie pour voir qu’il s’agissait de John Kennedy. Même en sachant de qui il s’agit, l’image à l’envers continue probablement de vous être étrangère. Pour d’autres images également, une orientation inversée pose des problèmes d’identification (voir figure 4-7). Votre propre écriture, lorsqu’elle est retournée de haut en bas, vous semble illisible alors que vous la connaissez depuis toujours. Pour vous en rendre compte, cherchez une vieille liste de commissions ou une lettre écrite de votre main et tâchez de la lire à l’envers. Un dessin compliqué comme celui de Tiepolo à la figure 4-8 est presque indéchiffrable lorsqu’il se trouve à l’envers. L’esprit (le gauche) s’avoue vaincu par la difficulté.
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Fig. 4-7. Pour copier une signature, les faussaires retournent l’original afin de voir plus clairement la forme exacte des caractères — pour voir, en fait, à la manière de l’artiste.
Fig. 4-8. Giambatista Tiepolo (1696-1770), La Mort de Sénèque. Avec l’aimable autorisation de l’Art Institute of Chicago, Collection de Joseph et Helen Regenstein.
LE DESSIN A L’ENVERS Nous allons mettre à profit cette lacune de l’hémisphère gauche pour donner au mode-D une chance de prendre momentanément le dessus. La figure 4-9 montre une reproduction d’un dessin au trait de Picasso représentant le portrait du compositeur Igor Stravinsky. L’image est à l’envers et c’est ainsi que vous la copierez. Votre dessin, par conséquent, sera à l’envers lui aussi. Autrement dit, vous dessinerez simplement le dessin de Picasso comme vous le voyez. 1. Cherchez un endroit tranquille où personne ne vous interrompra. Mettez de la musique si vous le voulez. A mesure que vous effectuerez la conversion vers le mode-D, la musique vous semblera s’éloigner. Faites le dessin en une seule fois, en prenant trente ou quarante minutes — ou plus si c’est possible. Réglez un réveil ou une minuterie si vous le voulez afin de ne pas devoir vous préoccuper du temps (fonction du mode-G). Et plus important encore: ne redressez pas le dessin avant de l’avoir terminé. Ce faisant vous provoqueriez un retour au mode-G, que nous voulons éviter pendant que vous apprenez à reconnaître le mode-D.
51 2. Regardez un instant le dessin à l’envers (figure 4-9). Observez les angles, les formes et les lignes. Vous remarquerez que les lignes se joignent toutes. Là où une ligne finit, une autre commence. Ces lignes forment entre elles certains angles, et d’autres par rapport aux bords du dessin. Les lignes courbes s’inscrivent dans des surfaces précises. En fait, les lignes sont les contours des surfaces et vous pouvez observer la forme des surfaces à l’intérieur des lignes. 3. Pour commencer votre dessin, partez du haut (comme à la figure 4-10) et copiez chaque ligne, en passant de l’une à celle qui lui est adjacente, sans autre distinction, comme pour un puzzle. N’essayez pas d’identifier les différentes parties, ce n’est pas nécessaire. D’ailleurs, si vous
Fig. 4-9. Pablo Picasso (1881 – 1973) Portrait d’Igor Stravinsky. Paris, le 21 mai 1920 (daté). Collection privée.
arrivez à des éléments que vous pourriez nommer, comme les m-a-i-n-s ou la t-ê-t-e (rappelez-vous que nous ne pouvons pas nommer les choses !), continuez de vous dire: « Bien, cette ligne se courbe de cette façon; cette ligne la traverse pour former cette petite forme là-bas; cette ligne forme tel angle par rapport au bord de la feuille »,et ainsi de suite. Une fois encore, tâchez de ne pas penser à ce que les formes représentent et gardez-vous d’identifier ou de nommer les différentes parties du dessin. 4. A présent, commencez votre dessin à l’envers : dessinez les lignes au fur et à mesure qu’elles se présentent en passant d’un élément à celui qui lui est directement adjacent. 5. Une fois que vous aurez commencé le dessin, vous vous sentirez très intéressé par la manière dont les lignes s’agencent. Une fois que vous serez plongé au coeur du travail, votre mode-G sera « débranché » (ceci n’est- pas le genre de tâche que l’hémisphère gauche entreprend volontiers : c’est trop lent et il est trop difficile d’y reconnaître quelque chose) et votre mode-D se sera « branché ». Rappelez-vous que tout ce que vous devez savoir pour dessiner l’image se trouve sous vos yeux. Toutes les informations sont là, vous simplifiant la tâche. Ne la compliquez pas. C’est vraiment aussi simple que cela.
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Fig. 4-10. Dessin à l’envers. Cette manière de faire permet la conversion cognitive depuis le mode dominant de l’hémisphère gauche vers le mode dominé de l’hémisphère droit.
Après avoir terminé : Une fois que vous aurez terminé et redressé votre dessin, vous serez probablement surpris du résultat. La figure 4-11 montre des exemples de dessins semblables réalisés par des étudiants de l’université sélectionnés au hasard pour une expérience contrôlée. Les dessins à gauche montrent le niveau d’aptitude des étudiants avant l’expérience. (On leur a simplement demandé de dessiner une personne de mémoire.) Comme vous pouvez le constater, ce niveau d’aptitude était celui d’enfants de dix à douze ans, ce qui est une caractéristique des adultes de notre civilisation qui n’ont pas étudié le dessin.
53 Regardez les dessins de la colonne de droite à la figure 411. Les élèves 1 et 2 ont copié le dessin de Picasso renversé sur le côté gauche. Comme vous le voyez, leurs dessins ne se sont pas améliorés; ils ont continué d’utiliser pour copier le Stravinsky de Picasso les mêmes formes stéréotypées et symboliques qu’ils avaient utilisées pour leur dessin de personnage. Le dessin du deuxième élève montre une certaine confusion due au raccourci de la chaise et à la position jambes croisées de Stravinsky. Au contraire, les deux élèves suivants qui, au départ ne montraient pas des aptitudes plus grandes, ont copié le Picasso la tête en bas, comme vous-même l’avez fait. Les dessins de ces élèves témoignent du résultat. On constate avec surprise que les dessins réalisés à l’envers reflètent une plus grande acuité de perception et une plus grande adresse dans la réalisation. Comment expliquer ce paradoxe? Les résultats semblent aller à l’encontre du bon sens. Nous ne nous attendrions pas à ce qu’une image observée et dessinée à l’envers soit reproduite avec plus de facilité et avec de meilleurs résultats qu’une image vue et reproduite dans le sens normal, c’est-à-dire à l’endroit. Les traits, après tout, restent les mêmes. Le fait de retourner le dessin de Picasso ne modifie pas l’agencement des lignes et ne les rend pas plus faciles à dessiner. Et les étudiants ne sont pas devenus subitement plus « doués ».
1
2
3
Fig. 4-11. Dessin de personnage.
Elève 1. Dessin renversé sur le côté gauche. Elève 2. Dessin renversé sur le côté gauche.
4
Stravinsky
Elève 3. Dessin renversé la tête en bas. Elève 4. Dessin renversé la tête en bas.
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Un problème de logique pour le cerveau gauche Ce puzzle place le cerveau face à un problème de logique: comment expliquer cette aisance soudaine pour le dessin alors que lui, l’hémisphère gauche qui-sait-tout, a été tenu à l’écart ? Le cerveau gauche qui apprécie le travail bien fait doit à présent envisager la possibilité que son collègue de droite, tant méprisé, soit doué pour le dessin. Mais soyons sérieux. Une explication plausible de ce résultat apparemment illogique viendrait du fait que le cerveau gauche a refusé d’opérer à partir de l’image renversée. On peut penser que le cerveau gauche, perturbé et inhibé par une image insolite, et incapable de procéder aux identifications et symbolisations dont il a l’habitude, s’est « débranché », reléguant la tâche à l’hémisphère droit. Parfait ! Le cerveau droit est l’hémisphère approprié pour le dessin. Etant donné qu’il est spécialisé pour ce genre de travail, le cerveau droit trouve le dessin facile et amusant.
L’EXPERIENCE DE LA CONVERSION G D Deux progrès importants ont été réalisés grâce à l’exercice du dessin à l’envers. Le premier est le souvenir conscient de la sensation que vous éprouviez après avoir effectué la conversion cognitive G D. L’état de conscience qu’implique le mode-D diffère qualitativement de l’état relatif au mode-G. Il est possible de déceler ces différences et de commencer à s’apercevoir quand la conversion se produit. Il est étrange que le moment de transition entre deux états de conscience nous échappe toujours. On peut en effet avoir conscience d’être éveillé, puis avoir conscience de rêver éveillé, mais l’instant de transition entre ces deux états est insaisissable. De même, le moment de la conversion G D échappe à notre conscience, mais une fois le pas franchi, la différence entre les deux états mentaux est accessible à notre connaissance. Cette connaissance permettra de placer la conversion cognitive sous contrôle conscient — un objectif primordial de ces leçons. Le second bénéfice que vous a procuré l’exercice est de vous rendre compte que la conversion vers le mode-D vous permet de voir a la manière d’un artiste exercé, et dès lors, de dessiner ce que vous percevez. Evidemment, il ne nous est pas toujours possible de placer les choses à l’envers. Un modèle ne va pas poser pour vous sur la tête, et le paysage ne va pas se retourner. Notre objectif est de vous apprendre à effectuer cette conversion cognitive en percevant les choses à l’endroit, dans leur position habituelle. Vous apprendrez la manière de voir de l’artiste: la recette consiste à concentrer votre attention sur les informations visuelles que le cerveau gauche ne peut pas ou ne veut pas traiter. Autrement dit, vous essayerez toujours de présenter à votre cerveau des opérations que l’hémisphère gauche refusera, pour permettre ainsi à l’hémisphère droit d’exploiter ses possibilités pour le dessin. Les exercices des chapitres suivants vous montreront différentes manières d’y arriver.
55 « Je pense qu’un être humain est capable de plusieurs états physiques et de différents degrés de conscience: (a) l’état ordinaire, où il n’a pas conscience de la présence des Fées; (b) l’état d”enchantement’ dans lequel, tout en étant conscient du monde réel alentour, il est également conscient de la présence des Fées; (c) une sorte de transe, dans laquelle, bien qu’il n’ait pas conscience de l’environnement réel et qu’il soit apparemment endormi, il (c’est-à-dire son essence immatérielle) migre vers d’autres lieux, que ce soit dans le monde réel ou au Pays des Fées, et il a conscience de la présence des Fées’. Lewis Carroll, Preface to Sylvie and Bruno
Lewis Carroll
UNE REVISION DU MODE-D Il serait utile de repenser à la sensation que suscite le mode-D. Rappelez-vous. Vous avez déjà effectué cette conversion plusieurs fois — en faisant le dessin du vase et des visages — et maintenant, en dessinant le « Stravinsky ». Dans l’état mental propre au mode-D, avez-vous remarqué que vous aviez en quelque sorte perdu la notion du temps qui passe — que le temps que vous aviez mis pour dessiner ait été long ou court, vous n’aviez pu vous en rendre compte qu’en regardant l’heure par la suite ? S’il y avait des gens près de vous, avez-vous remarqué que vous ne pouviez écouter ce qu’ils disaient — en fait. que vous ne vouliez pas entendre ? Vous avez peut-être perçu des sons, mais vous ne vous êtes probablement pas préoccupé de comprendre le sens de ce qui se disait. Et aviez-vous conscience de vous sentir alerte et détendu — confiant, intéressé, absorbé par le dessin, et l’esprit bien clair ?
« Je sais parfaitement qu’à quelques instants précieux seulement, j’ai la chance de me perdre dans mon oeuvre. Le poète-peintre sait que son essence vraie et immuable vient de ce royaume invisible qui lui offre une image de la réalité éternelle ... J’ai l’impression que je n’existe pas dans le temps, mais que le temps existe en moi. Je m’aperçois également qu’il ne m’est pas donné de résoudre le mystère de l’art d’une manière absolue. Néanmoins, je suis presque porté à croire que je suis près d’atteindre au divin. Carlo Carra, « The Quadrant of the Spirit »
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« Vider son esprit de toute pensée et combler le vide d’une âme plus grande que soi permet à l’esprit de pénétrer dans un royaume inaccessible aux démarches conventionnelles de la raison ». Edward Hill, The Language of Drawing
Fig. 4-12. Un Nain de la Cour (c. 1535). Avec l’aimable autorisation du Fogg Art Museum, Université de Harvard. Fonds E. Schoeder et Coburn.
C’est en ces termes que la plupart de mes élèves ont décrit l’état de conscience propre au mode-D et cette description coïncide avec mon expérience personnelle et celle que certains artistes m’ont rapportée. Un artiste m’a déclaré ceci : « Quand je travaille vraiment bien, je me sens comme je ne m’étais jamais senti auparavant. J’ai l’impression de ne faire qu’un avec mon travail: le peintre, la peinture, cela ne fait qu’un. Je me sens excité mais calme —exalté mais maître de moi. Ce n’est pas exactement le bonheur, c’est plutôt de l’extase. Je pense que c’est ce qui me fait sans cesse revenir au dessin ». Avant de continuer votre lecture, faites encore deux dessins à l’envers, au minimum. Utilisez la reproduction de la figure 4-12 ou bien cherchez d’autres dessins au trait que vous pourrez copier. Chaque fois que vous dessinez, essayez consciencieusement de ressentir la conversion vers le mode-D afin de vous familiariser avec la sensation que procure cet état de conscience.
L’ART DE VOTRE ENFANCE Dans le chapitre suivant, nous passerons en revue l’évolution artistique que vous avez suivie pendant votre enfance. L’évolution artistique des enfants suit l’évolution du cerveau. Aux premiers stades de l’enfance, les hémisphères cérébraux ne sont pas encore spécialisés pour des fonctions distinctes. La latéralisation hémisphérique, c’est-à-dire la consolidation des fonctions spécifiques de l’un et l’autre hémisphère, évolue progressivement pendant
57 l’enfance, entraînant simultanément l’acquisition du langage et l’apparition de la symbolique de l’art infantile. La latéralisation hémisphérique s’achève vers l’âge de dix ans, coïncidant avec une période de conflit dans l’art infantile pendant laquelle la symbolique acquise semble excéder les perceptions et interférer avec la reproduction fidèle de ces perceptions. Ce conflit trouve peutêtre son origine dans le fait que l’enfant utilise le « mauvais » hémisphère — le cerveau gauche — pour effectuer une opération qui convient mieux au cerveau droit. Mais peut-être n’arrive-t-il simplement pas à trouver de lui-même la manière d’accéder à l’hémisphère droit qui est spécialisé pour le dessin depuis l’âge de dix ans environ. Depuis cette époque, en effet, c’est l’hémisphère gauche qui domine, ajoutant de nouvelles complications à mesure que les dénominations et les symboles l’emportent sur la perception spatiale et globale. Ce rappel de votre évolution artistique est important à plusieurs égards : pour jeter un regard adulte sur la manière dont votre réserve de symboles graphiques s’est constituée depuis votre enfance; pour refaire l’expérience de la complexité croissante de vos dessins alors que vous approchiez de l’adolescence; pour constater la divergence entre vos perceptions et votre façon de les dessiner: pour regarder vos dessins d’enfant d’un oeil moins critique que celui que vous exerciez à l’époque ; et enfin, pour vous débarrasser de votre symbolique infantile et progresser vers un niveau adulte d’expression visuelle grâce à l’utilisation du mode cérébral approprié au dessin — le mode droit.
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59 Evocation d’un dessin d’enfant « Quand j’étais enfant, je parlais comme un enfant, je pensais comme un enfant ; mais quand je suis devenu un homme, j’ai abandonné les choses puériles ». 1 Cor. XIII: 11
La majorité des adultes de la civilisation occidentale n’évoluent pas, dans le domaine artistique, beaucoup au-delà du niveau atteint vers l’âge de neuf ou dix ans. Pour la plupart des activités mentales et physiques, les acquis d’un individu varient et se développent à mesure que celui-ci approche de l’âge adulte ; la parole en est un exemple et l’écriture un autre. L’évolution des techniques du dessin, par contre, semble inexplicablement s’arrêter à un âge très précoce chez la plupart des gens. Dans notre civilisation, les enfants dessinent comme des enfants, c’est naturel, mais la plupart des adultes aussi, dessinent comme des enfants, quel que soit le niveau qu’ils aient pu atteindre dans d’autres domaines de la vie. Les figures 5-l et 5-2, par exemple, illustrent la persistance de caractères infantiles dans deux dessins réalisés il y a peu par un brillant jeune homme qui terminait un doctorat dans une grande université. J’ai observé ce jeune homme pendant qu’il dessinait ; je l’ai vu regarder les modèles, tracer quelques lignes, effacer, recommencer, et cela pendant vingt minutes. Entre-temps, il devenait agité et semblait tendu, frustré. Plus tard, il m’a déclaré qu’il détestait ses dessins et qu’il détestait dessiner, point final. Si nous devions donner un nom à cette inaptitude, nous pourrions parler de dyspictorie ou d’anesthétisme, comme les pédagogues parlent de dyslexie quand ils se réfèrent à des problèmes de lecture. Mais personne ne s’est penché sur la question parce que le dessin, à l’inverse de la parole et la lecture, ne constitue pas une condition de survie dans notre contexte culturel. C’est pourquoi personne ne semble remarquer que beaucoup d’adultes dessinent comme des enfants et que la plupart des enfants abandonnent le dessin à l’âge de neuf ou dix ans. Ces enfants grandissent et deviennent des adultes qui prétendent n’avoir jamais su dessiner et qui ne peuvent pas même tracer une ligne droite. Si on leur pose la question, cependant, ces mêmes adultes répondent qu’ils auraient aimé apprendre à dessiner, simplement pour la satisfaction personnelle de vaincre les problèmes de dessin qui les tourmentaient quand ils étaient enfants. Mais ils sont persuadés d’avoir dû arrêter le dessin parce qu’ils étaient simplement incapables d’apprendre à dessiner. En conséquence de cette interruption précoce de leur développement artistique, des adultes absolument compétents et confiants perdent brusquement toute assurance, se troublent et deviennent nerveux quand on leur demande de dessiner un visage ou une personne. Dans pareille situation, ces personnes répondent souvent : « Non, je ne peux pas ! Quoi que je dessine, c’est toujours horrible ! On dirait des dessins d’enfant ». Ou bien : « Je n’aime pas dessiner. Je me sens trop stupide ». Vous-même avez peut-être éprouvé les mêmes sentiments en faisant les quatre dessins préliminaires.
60 LA PERIODE DE CRISE Pour beaucoup d’adultes, le début de l’adolescence semble marquer la fin brutale de leur développement artistique, du moins dans le domaine du dessin. Etant enfants, ils ont vécu une crise artistique, un conflit entre la complexité croissante de leur perception du monde environnant et leur niveau courant d’aptitude technique. La plupart des enfants entre neuf et onze ans montrent une véritable passion pour le dessin réaliste. Ils exercent sur leurs premiers dessins un oeil critique très sévère et dessinent sans désemparer les sujets qu’ils préfèrent, essayant d’en améliorer l’image. Tout dessin dépourvu d’un réalisme parfait peut être considéré comme un échec.
Une spécialiste de l’art infantile. Miriam Lindstrom, du Musée d’Art de San Francisco, décrit ainsi l’adolescent, élève en dessin : « Mécontent de ses propres réalisations et extrêmement anxieux que son art plaise aux autres, il tend à abandonner la création originale et l’expression personnelle ... Toute évolution ultérieure de son pouvoir de visualisation et même de ses facultés de pensée originale et de son aptitude à établir des relations avec son environnement peut, à ce stade, se trouver bloquée. Il s’ agit d’une étape cruciale que peu d’adultes ont pu franchir ».
Peut-être vous rappelez-vous vos propres tentatives à cet âge, pour que les choses « aient l’air vraies » dans vos dessins, et votre déception devant le résultat. Les dessins Miriam Lindstrom, ChiIdren’s dont vous vous étiez montrés si fier à un plus jeune âge Art vous paraissaient sans doute désespérément mauvais et navrants. En regardant vos dessins, vous disiez peut-être comme beaucoup d’adolescents: « C’est affreux ! Je n’ai aucun talent artistique. Je n’ai jamais aimé le dessin de toute façon ; j’abandonne ». Une seconde raison, malheureusement fréquente, amène souvent les enfants à abandonner le dessin en tant que mode d’expression. Certaines personnes irréfléchies lancent des remarques sarcastiques sur les facultés artistiques des enfants. Ces personnes sont parfois des professeurs, des parents, d’autres enfants, ou peut-être une soeur ou un frère aîné que les enfants admirent. Beaucoup d’adultes m’ont confié qu’ils gardaient le souvenir blessant d’une personne ayant ridiculisé leurs efforts. Malheureusement, les enfants imputent souvent leur déception au dessin lui-même plutôt qu’au critique étourdi. Pour préserver leur amour-propre, ils réagissent alors par la défensive et c’est compréhensible: ils n’essaient plus que rarement de dessiner.
L’ART A L’ECOLE Les professeurs de dessin les plus compréhensifs, consternés peut-être par les critiques injustes qui s’adressent à la production artistique infantile et soucieux d’aider les enfants, sont découragés par le style de dessin qu’adoptent les jeunes adolescents — des scènes complexes et détaillées, des tentatives minutieuses de réalisme, la répétition infinie de thèmes privilégiés comme les courses d’automobiles. Les professeurs se rappellent la liberté séduisante et l’enchantement des travaux que réalisaient les enfants quand ils étaient plus jeunes et se demandent ce qui s’est passé depuis lors. Ils déplorent ce qu’ils considèrent comme de la « rigidité » ou un « manque de créativité » dans les travaux d’élèves. Les enfants eux-mêmes deviennent leurs critiques les plus acharnés. En conséquence de quoi les professeurs se tournent fréquemment vers des travaux manuels qui semblent plus sûrs et infligent moins de supplices aux exécutants — des travaux comme les collages, les dessins au pochoir, les motifs faits de fils de couleurs, et autres manipulations de matériaux.
61 Les enfants n’apprennent donc pas à dessiner pendant les cycles inférieurs et moyens : leur autocritique s’exerce dès lors en permanence et il est très rare qu’ils apprennent à dessiner plus tard dans leur vie. Comme l’étudiant en doctorat dont je vous ai parlé, ils atteindront peut-être en grandissant un niveau très élevé dans d’autres domaines, mais quand on leur demandera de dessiner un être humain, ils produiront la même image puérile qu’ils dessinaient à l’âge de dix ans.
DE LA PRIME ENFANCE A L’ADOLESCENCE La plupart de mes élèves ont trouvé utile de remonter le temps pour tâcher de comprendre l’évolution de l’imagerie visuelle qui a imprégné leurs dessins depuis la prime enfance jusqu’à l’adolescence. Ayant une vision précise de l’évolution de la symbolique de leurs dessins d’enfant, les élèves semblent « désenliser » plus facilement leur développement artistique pour progresser vers un niveau adulte.
Le stade du griffonnage A l’âge d’un an et demi déjà, un enfant commence à griffonner sur le papier quand on lui donne un crayon ou un pastel, et quand, de lui-même, il en marque une feuille. Il est difficile de nous imaginer l’étonnement de l’enfant lorsqu’il voit une ligne noire sortir de son crayon, une ligne que l’enfant dirige. Vous et moi, chacun de nous, a connu cet enchantement.
« Les griffonnages de chaque enfant montrent combien celui-ci s’absorbe dans la sensation de déplacer sans but la main et le crayon sur une surface, y laissant une ligne à son passage. Ce simple geste doit contenir une certaine somme de magie ». Edward Hill, The Language of Drawing
Fig. 5-3. Griffonnage d’un enfant de deux ans et demi.
Evocation d’un dessin d’enfant Après un départ hésitant, vous avez probablement griffonné avec délectation toute surface qui se présentait, peut-être même les plus beaux livres de vos parents, et les murs d’une chambre ou deux. Apparemment, vos gribouillis étaient d’abord l’oeuvre du hasard comme dans l’exemple de la figure 5-3, mais ils ont très vite commencé à prendre des formes particulières. L’un des mouvements de base du griffonnage est le mouvement circulaire, sans doute dû à la manière dont l’épaule, le bras, le poignet, la main et les doigts s’articulent. Le mouvement circulaire est un mouvement naturel — d’avantage, par exemple, que le mouvement de bras nécessaire pour dessiner un carré. (Essayez les deux sur un morceau de papier et vous verrez ce que je veux dire).
62 Le stade des symboles
Fig. 5-4. Dessin d’un personnage par un enfant de trois ans et demi.
Fig. 5-5. Remarquez que les traits sont tous les mêmes pour chaque personnage. y compris le chat, et que le petit symbole représentant la main est également utilise pour figurer les pattes du chat.
Fig. 5-6
Après quelques jours ou quelques semaines de griffonnage, les jeunes enfants, et apparemment tous les enfants de l’espèce humaine, découvrent le principe essentiel de l’expression artistique : un symbole peut représenter un élément du monde environnant. L’enfant trace une marque circulaire, la regarde. ajoute deux traits pour les yeux et montre le dessin en disant: « Maman », ou « Papa », ou « C’est moi », ou « Mon chien ». Nous avons donc tous connu cette intuition spécifiquement humaine qui est le fondement de l’art, depuis les peintures rupestres jusqu’à l’oeuvre de Leonardo, de Rembrandt ou de Picasso, des siècles plus tard. C’est avec une véritable délectation que les enfants tracent des cercles, y ajoutant des yeux, ou une bouche, ou encore des lignes hérissées figurant les bras et les jambes comme à la figure 54. Cette forme symétrique et circulaire est une forme de base universellement présente dans les dessins des jeunes enfants. Elle peut être utilisée pour quasi n’importe quoi: avec de légères variations, le même motif de base peut représenter un être humain, un chat, un soleil, une méduse, un éléphant, un crocodile, une fleur ou un microbe. Quand vous étiez enfant, un dessin représentait tout ce que vous disiez qu’il représentait, grâce aux ajustements subtils et charmants auxquels vous procédiez afin de faire passer l’idée. Vers trois ans et demi, les enfants développent une imagerie artistique plus complexe qui reflète leur connaissance et leur perception croissantes du monde extérieur. Le corps est joint à la tête, mais il est parfois plus petit que la tête. Il arrive encore que les bras surgissent du crâne, mais ils partent le plus souvent du tronc— parfois en dessous de la taille. Les jambes sont attachées au corps. A quatre ans, les enfants sont conscients du moindre détail vestimentaire — les boutons et les fermetures-éclair, par exemple, apparaissent dans les détails du dessin. Des doigts s’ajoutent à l’extrémité des bras ou des mains, et des orteils à l’extrémité des jambes ou des pieds. Le nombre des doigts et des orteils varie au gré de l’imagination. J’ai dénombré dans un dessin pas moins de trente et un doigts sur une seule main et pas plus d’un orteil par pied (figure 54). Bien que les dessins de personnages faits par les enfants soient comparables à divers égards, chaque enfant se crée, au fil de ses essais et de ses erreurs, une image favorite, qui s’affine par
63 la répétition. Les enfants dessinent sans désemparer leur image personnelle, la mémorisant et l’agrémentant de nouveaux détails au fil du temps. Cette manière privilégiée de dessiner certaines parties de l’image finit par s’enraciner dans le mémoire et reste remarquablement stable la vie durant (figure 5-5).
Le dessin peut être un remède puissant tant pour les adultes que pour les enfants. Un dessin peut vous permettre de voir ce que vous éprouvez. Autrement dit, le cerveau droit, par le biais du dessin, peut indiquer au cerveau gauche où se situe le problème. Le cerveau gauche peut à son tour recourir à son potentiel spécifique et efficace, à savoir le langage et la pensée logique, pour résoudre le problème.
Des images qui racontent des histoires Vers quatre ou cinq ans, les enfants commencent à se servir du dessin pour raconter des histoires ou pour résoudre leurs problèmes, procédant à des ajustements minimes ou grossiers de la forme de base pour lui donner une signification voulue. A la figure 5-6, par exemple, le jeune artiste a dessiné le bras qui tient le parapluie de telle sorte qu’il paraît énorme comparé à l’autre bras; c’est logique, le bras qui tient le parapluie constituant l’élément essentiel du dessin. Une autre illustration de l’utilisation du dessin pour dépeindre des sentiments nous vient du portrait de famille réalisé par un timide enfant de cinq ans qui était apparemment dominé par sa soeur aînée à chaque moment de son existence.
1.
4. 2.
3.
1. Utilisant sa symbolique de base pour les personnages il s’est d’abord dessiné lui-même. 2. Il a alors ajouté sa mère, en utilisant la même configuration de base avec certaines rectifications — des cheveux longs, une robe. 3. Il a ensuite ajouté son père, qui était chauve et portait des lunettes. 4. Enfin, il a ajouté sa soeur, avec des dents. Picasso lui-même n’aurait pu exprimer plus vigoureusement ses sentiments. Ayant ainsi dépeint des émotions immatérielles, en leur donnant une forme, l’enfant à qui nous devons ce portrait de famille aura sans doute affronté avec plus d’assurance la présence écrasante de sa soeur.
64 Le paysage A l’âge de cinq ou six ans, les enfants disposent d’une réserve de symboles pour figurer les paysages. Procédant de nouveau par la méthode des essais et des erreurs, les enfants élaborent généralement une version unique d’un paysage symbolique qu’ils répètent indéfiniment. Peutêtre vous souvenez-vous du paysage que vous dessiniez quand vous aviez cinq ou six ans. Quelles étaient les composantes de ce paysage? Tout d’abord le sol et le ciel. Pensant par symboles, l’enfant sait que le sol se trouve en dessous et le ciel au-dessus. Dès lors, le bord inférieur de la feuille est le sol et le bord supérieur est le ciel, comme à la figure 5-7. S’ils travaillent avec des couleurs, les enfants accentuent cet aspect en peignant une bande de couleur verte en dessous et une bande bleue au-dessus de la feuille.
Fig. 5-7.
La plupart des paysages d’enfants comportent une version de la maison. Essayez d’évoquer avec l’oeil de l’esprit l’image de la maison que vous dessiniez. Avait-elle des fenêtres ? Avec des rideaux ? Et quoi encore ? Une porte ? Qu’y avait-il sur cette porte? Un bouton de porte. C’est évident ! Parce que c’est grâce à cela que vous entriez. Je n’ai jamais vu de dessin d’enfant authentique représentant une maison sans bouton de porte. Vous commencez peut-être à vous rappelez le reste de votre paysage: le soleil (le faisiez-vous en coin ou en cercle, rayonnant de tous ses rayons ?), les nuages, la cheminée, les fleurs, les arbres (les vôtres avaient-ils eux aussi cette branche qui dépasse et qui est si commode pour suspendre une balançoire ?), les montagnes (les vôtres ressemblaient-elles à des cornets de crème glacée renversée ?). Et quoi encore ? Une route qui s’éloignait ? Une barrière ? Des oiseaux ?
Fig. 5-8.
Fig. 5-9.
Avant de poursuivre votre lecture, prenez donc maintenant une feuille de papier et dessinez le paysage que vous dessiniez étant enfant. Intitulez votre dessin « Evocation d’un paysage d’enfant ». Peut-être vous souvenez-vous de cette image dans son intégralité avec une précision surprenante ; ou peut-être vous revient-elle en mémoire plus progressivement, à mesure que vous dessinez.
65 Pendant que vous dessinez, tâchez également de vous rappeler le plaisir que le dessin vous procurait quand vous étiez enfant, la satisfaction que vous preniez à tracer chaque symbole et votre souci d’exactitude pour placer chaque élément dans le dessin. Rappelez- vous le sentiment que vous aviez que rien ne devait être omis et, quand tous les symboles se trouvaient à leur place, votre sentiment que le dessin était achevé. Si vous n’arrivez pas à vous souvenir de votre dessin pour le moment, ne vous en préoccupez pas. Vous vous en souviendrez peut-être plus tard. Sinon, cela indiquerait simplement que vous l’avez écarté de votre mémoire pour une raison particulière. Habituellement, une personne sur dix, environ, parmi mes élèves adultes, est incapable de se rappeler son paysage d’enfant.
Au départ, les enfants semblent posséder un sens parfait de la composition, qu’ils perdent souvent au cours de l’adolescence et qu’ils ne recouvrent que grâce à une étude laborieuse. Il me semble que cette évolution s’explique par le fait que les enfants plus âgés concentrent leurs perceptions sur des objets distincts existant dans un espace indifférencié, tandis que les jeunes enfants construisent un monde conceptuel autonome limité par les bords de la page. Pour les enfants plus âgés, les limites de la feuille semblent quasi inexistantes, tout comme les limites sont absentes de l’espace réel environnant.
Avant de poursuivre, prenons le temps de regarder un instant certains paysages d’enfants évoqués par des adultes. Vous remarquerez tout d’abord que ces paysages sont des images personnalisées, se distinguant toutes l’une de l’autre. Remarquez également que dans chaque cas, la composition — c’est-à-dire la manière dont les éléments de chaque dessin sont composés ou distribués dans les limites de la feuille — semble rigoureusement exacte dans la mesure où pas un élément ne pourrait être ajouté ou soustrait sans que soit altérée la correction de l’ensemble (figure 5-8). Pour vous en persuader, voyez ce qui se passe à la figure 5-9 lorsqu’une forme (l’arbre) est retirée. Vérifiez ce principe sur votre propre dessin d’enfant en escamotant une forme à la fois. Vous vous apercevrez que le retrait d’une seule forme détruit l’équilibre général du tableau. Les figures 5-10 à 5-12 illustrent d’autres caractéristiques des paysages d’enfants. Après avoir observé les exemples, regardez votre propre dessin. Observez-en la composition (la manière dont les formes sont disposées et s’équilibrent dans les limites de la feuille). Observez les distances et leur rôle dans la composition. Essayez de caractériser l’expression de la maison, d’abord sans user de la parole, ensuite avec des mots. Recouvrez un élément et voyez l’effet de ce retrait sur la composition. Repensez à la manière dont vous avez fait le dessin. Eprouviez-vous un sentiment de certitude, sachant où chaque élément devait se placer ? Aviez-vous l’impression de détenir, pour chaque partie du dessin, un symbole exact, parfait en lui-même et qui s ajustait exactement aux autres. Vous avez peut-être éprouvé la même sensation de satisfaction que vous éprouviez étant enfant quand chaque forme avait trouvé sa place et que l’image était achevée.
Fig. 5-10. Dessin d’un paysage par un enfant de six ans. Cette maison est très proche de l’observateur, le bord inférieur de la feuille tient le rôle du sol. Pour l’enfant, il semble que chaque partie de la surface du dessin possède une signification symbolique, les espaces vides représentant l’air dans lequel la fumée s’élève, les rayons du soleil se dispersent, et les oiseaux volent.
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Fig. 5-11. Dessin de paysage par un enfant de six ans. Cette maison est plus éloignée du spectateur et, abritée par l’arc-en-ciel, elle a une merveilleuse expression d’autosatisfaction.
Fig. 5-12. Dessin de paysage par un enfant de sept ans. Ce dessin est plus difficile à lire. Il me semble que la maison est renfermée, presque assoupie. Le garçon semble chasser les intrus. Peut-être votre réaction est-elle différente. Cette manière de lire les dessins, en percevant la signification visuelle et en y répondant par une réaction de caractère émotionnel, est une technique que les amateurs d’art sensibles tâchent constamment d’utiliser lorsqu’ils regardent des oeuvres d’art — par exemple, dans les musées ou les expositions. La question est la suivante : que nous communique l’oeuvre dans le langage non verbal de l’art ? En fait, l’une des qualités d’un chef-d’oeuvre est de susciter une myriade de réactions à des niveaux multiples tout en empêchant peut-être que se fasse l’unanimité sur sa signification profonde. La manière de lire les oeuvres d’art peut s’acquérir avec la pratique. Le mieux est de les ressentir en faisant abstraction de la parole et de trouver ensuite les mots qui décrivent notre réaction. C’est cette démarche caractéristique du mode-D que j’ai utilisée pour finalement formuler ma réaction face à ce paysage d’enfant. Cette démarche peut être comparée à notre manière de réagir aux changements d’expression sur le visage d’un ami et illustre bien le mode d’opération global et relationnel qui caractérise l’hémisphère droit.
Le stade de la complexité A présent, comme les fantômes de Dickens dans Un Conte de Noël, nous allons vous faire avancer dans le temps afin de vous observer à un âge légèrement plus tardif, neuf ou dix ans environ. Vous vous souvenez peut-être de certains dessins que vous faisiez à cet âge, en cinquième ou sixième année primaire. Au cours de cette période, les enfants s’astreignent généralement à une plus grande minutie dans les détails de leurs travaux artistiques, espérant atteindre de cette façon un réalisme plus précis, ce qui constitue leur objectif le plus ambitionné. La composition suscite moins d’intérêt, les formes étant presque disposées au hasard sur la page. Apparemment, l’intérêt de l’enfant pour la place des éléments dans le dessin laisse place à une préoccupation pour l’aspect des éléments, particulièrement le détail des formes. Dans l’ensemble, les dessins des
67 enfants plus âgés montrent une plus grande complexité et, en même temps, moins d’assurance que les paysages de la prime enfance. Pendant toute cette période, les dessins d’enfants commencent à se différencier d’après le sexe, probablement à cause des facteurs culturels. Les garçons se mettent à dessiner des automobiles — des bolides et des voitures de course; des scènes de guerre avec des bombardiers en piqué, des chars et des fusées ; des personnages légendaires et des héros — des pirates barbus. Des équipages Vikings et leurs navires, des vedettes de la télévision, des alpinistes et des plongeurs sous-marins, des Fig. 5-13 Fig. 5-13. lettres en capitales bâtons ou des lettres moulées et certaines images bizarres comme ce globe oculaire complet transpercé d’un poignard et baignant dans le sang (mon préféré). Pendant ce temps, les filles dessinent des choses plus tendres — des fleurs dans un vase, des chutes d’eau, des montagnes qui se réfléchissent dans des lacs paisibles, de jolies fillettes assises ou courant sur l’herbe, des mannequins avec des cils d’une longueur incroyable, des coiffures élaborées, des tailles de guêpe ou de petits pieds, les mains derrière le dos parce que les mains sont « difficiles à dessiner » … Les figures 5-13 à 5-16 montrent quelques exemples de ces dessins de jeunes adolescents. J’y ai ajouté un cartoon: ce genre de dessin, qui a autant la faveur des filles que celle des garçons, est un sujet de grande admiration parmi les adolescents. Je pense que le cartoon attire les enfants de cet âge parce que, tout en faisant appel à des formes symboliques courantes, on y recourt de manière plus sophistiquée et les adolescents n’ont pas l’impression de dessiner « comme des bébés ».
Le stade du réalisme Vers l’âge de dix ou douze ans, la passion dont témoignent les enfants pour le réalisme atteint sa pleine apogée (figures 5-17 et 5-18). Lorsque leurs dessins ne leur semblent pas « justes », c’est-à-dire qu’ils ne leur paraissent pas réalistes, les enfants se découragent souvent et appellent leur professeur à l’aide. Le professeur leur dit alors : « Tu dois regarder plus attentivement » mais cela ne sert à rien parce que l’enfant ne sait pas ce qu’il doit regarder plus attentivement. Je vais vous donner un exemple. Imaginons qu’un enfant de dix ans souhaite dessiner un cube, par exemple un morceau de bois, en trois dimensions. Soucieux que son dessin soit ressemblant, l’enfant essaie de dessiner le cube sous un angle qui en laisse voir deux ou trois faces — et non d’un point de
68 vue direct qui ne découvrirait qu’une seule face et qui, dès lors, ne révélerait pas la forme véritable du cube. Fig. 5-14. Dessin complexe d’un enfant de dix ans. Cet exemple illustre le genre de dessin d’adolescent que les professeurs déplorent souvent comme étant « rigide » ou « non créatif ». Les jeunes artistes travaillent laborieusement pour parfaire des images comme celle-ci, essayant différents symboles et configurations. Remarquez le symbole pour le visage dans la foule qui a été patiemment répété. Toutefois, l’enfant rejettera très vite cette image comme désespérément mauvaise. Fig. 5-15. Dessin complexe d’un enfant de neuf ans. La transparence est un thème qui se retrouve souvent dans les dessins des enfants de cet âge. Les choses telles qu’elles sont vues sous l’eau, à travers une vitre ou dans des vases transparents constituent un thème privilégié. Bien qu’on puisse risquer une interprétation psychologique, il est probable que les jeunes artistes essaient simplement par là de savoir s’ils sont capables de faire un dessin « ressemblant ».
Fig. 5-16. Dessin complexe d’un enfant de dix ans. Le cartoon est une forme artistique privilégiée des jeunes en pleine adolescence. Comme l’a fait remarquer la pédagogue Miriam Lindstrom dans son ouvrage Children’s Art, le goût des enfants à cet âge se situe à un niveau généralement médiocre.
Pour ce faire, l’enfant doit dessiner les faces aux angles bizarres telles qu’elles lui apparaissent, c’est-à-dire l’image exacte qui frappe la rétine de l’observateur. Ces faces ne sont pas carrées. En fait l’enfant doit faire abstraction de la connaissance qu’il a du cube pour dessiner des formes « bizarres ». Le dessin du cube ne ressemblera à un cube que s’il est formé de faces aux angles inhabituels. Autrement dit, l’enfant doit dessiner des formes non carrées pour obtenir un cube carré. L’enfant doit accepter ce paradoxe, cette démarche illogique qui contrarie la pensée verbale et conceptuelle. (Peut-être y trouve-t-on l’une des significations de la formule de Picasso : « La peinture est un mensonge qui dit la vérité».)
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Fig. 5-17.
Fig. 5-18.
Dessin réaliste d’un enfant de douze ans. Les enfants de dix à douze ans recherchent une manière de rendre leurs dessins « ressemblants ». Le dessin de personnage fascine particulièrement les adolescents. Dans ce dessin les symboles d’un stade antérieur sont ajustés en fonction de nouvelles perceptions: voyez l’oeil de face dans ce dessin de profil. Remarquez cependant que la connaissance qu’a l’enfant du dossier de la chaise a laissé place à l’aspect purement visuel du dossier vu de côté.
Dessin réaliste d’un enfant de douze ans. A ce stade, l’enfant consacre tous ces efforts à atteindre le réalisme; et les limites de la surface dessinée s’effacent de sa conscience, il concentre son attention sur des formes individuelles, isolées, disposées au hasard sur la page. Chaque partie fonctionne comme un élément individuel au mépris de l’unité de la composition. « Je dois commencer non à partir d’hypothèses, mais à partir de cas concrets, même infimes ». Paul Klee
Fig. 5-19. Dessins «incorrects»» d’un cube (d’après des travaux d’élèves).
Fig. 5-20. Dessins « corrects » d’un cube.
70 Si sa connaissance verbale de la forme réelle du cube domine sa perception purement visuelle, l’élève réalisera un dessin « incorrect »— un dessin où se manifestera le genre d’erreur qui désespère les adolescents (voir figure 5-19). Sachant que les coins des cubes sont à angle droit, les élèves commencent habituellement à dessiner un cube avec un angle droit. Sachant que le cube repose sur une surface plane, ils dessinent ensuite les arêtes de la base en ligne droite. Leurs erreurs s’additionnent à mesure que le dessin progresse et ils se troublent de plus en plus. Bien que l’observateur captieux familiarisé à l’art du cubisme et de l’abstraction puisse juger plus intéressants les dessins « incorrects » de la figure 5-19 que les dessins « corrects » de la figure 5-20, les jeunes élèves ne peuvent comprendre les éloges que suscitent leurs mauvais dessins. En effet, l’intention de l’enfant était précisément de dessiner un cube qui ait l’air « vrai » et, de son point de vue, le dessin est manqué. Prétendre le contraire semble absurde aux élèves. Ils ne peuvent comprendre que « deux plus deux font cinq » soit une réponse « créative » digne de louanges.
« Le peintre soucieux de représenter la réalité doit transcender sa propre perception. Il doit ignorer ou dominer les mécanismes qui, dans son esprit, créent précisément des objets à partir d’images ... L’artiste. comme l’oeil, doit fournir des images fidèles et des indications de distances précises, pour dire ses mensonges magiques ». Colin Blakemore, Mechanics of the Mind
Après l’expérience de dessins « incorrects » comme les dessins du cube, les élèves peuvent décréter qu’ils sont « incapables de dessiner ». Mais ils en sont capables ; en fait, les dessins qu’ils ont réalisés indiquent que, manuellement, ils sont parfaitement à même de dessiner. Le problème vient du fait que les connaissances préalablement acquises — qui peuvent être utiles dans d’autres contextes — les empêchent de voir les choses telles qu’elles sont, juste sous leurs yeux. Parfois le professeur résout le problème en montrant aux élèves la manière de faire, c’est-àdire en expliquant la démarche propre au dessin. L’enseignement par la démonstration est une méthode consacrée par l’usage et parfois bénéfique lorsque le professeur dessine très bien et qu’il est suffisamment sûr de lui pour faire une démonstration devant une classe entière. Malheureusement, la plupart des professeurs eux-mêmes, au niveau élémentaire crucial, n’ont pas suffisamment acquis les aptitudes perceptives nécessaires au dessin. Les professeurs, par conséquent, éprouvent la même sensation d’incompétence pour le dessin réaliste que les enfants qu’ils doivent éduquer. Beaucoup de professeurs souhaiteraient que les enfants de cet âge soient plus libres, moins préoccupés par le réalisme dans leurs travaux. Mais quelle que soit l’insistance avec laquelle certains déplorent l’obstination de leurs élèves dans la voie du réalisme, les enfants restent inflexibles. Ils parviendront au réalisme ou ils abandonneront l’expression artistique à tout jamais. Ils veulent que leurs dessins ressemblent à ce qu’ils voient, et ils veulent savoir comment y arriver. Je pense que les enfants de cet âge adorent le réalisme parce qu’ils essaient d’apprendre à voir les choses. Ils sont prêts à investir beaucoup d’efforts et d’énergie dans cette entreprise pourvu que les résultats soient encourageants. Peu d’enfants ont la chance de découvrir fortuitement le secret: comment voir les choses différemment (le mode-D). Comme je l’ai expliqué dans ma préface, je pense être l’un de ces enfants qui, par hasard, comprennent le « truc ». Toutefois, la majorité des enfants doivent apprendre à effectuer cette conversion cognitive. Heureusement, nous sommes aujourd’hui en train d’élaborer de nouvelles
71 méthodes d’enseignement s’inspirant de recherches récentes sur le cerveau. Ces méthodes permettront aux professeurs de répondre aux désirs profonds de leurs élèves et de leur apprendre à voir et à dessiner.
INFLUENCE DE LA SYMBOLIQUE ACQUISE PENDANT L’ENFANCE SUR LA PERCEPTION VISUELLE Nous nous rapprochons à présent du problème et de sa solution. Tout d’abord, qu’est-ce qui empêche une personne de voir les choses assez clairement pour les dessiner ? La réponse vient en partie de ce que depuis notre enfance nous avons toujours appris à concevoir les choses avec des mots. Nous leur donnons un nom et nous connaissons les faits qui s’y rapportent. L’hémisphère gauche, verbal et dominant, ne veut pas recevoir trop d’informations à propos des choses qu’il perçoit—juste les informations nécessaires pour identifier et classifier. Le cerveau gauche procède par coups d’oeil rapides: « Bien, c’est une chaise (ou un parapluie, un oiseau, un arbre, un chien, etc.) ». Le cerveau étant le plus souvent surchargé par l’afflux d’informations, l’une de ces fonctions principales consiste, semble-t-il, à écarter une large proportion des données perçues. Ce procédé est indispensable pour nous permettre de concentrer notre réflexion et s’avère d’ailleurs très utile la plupart du temps. Le dessin, par contre, exige que nous regardions les choses longtemps pour saisir des monceaux de détails et enregistrer autant d’informations que possible—l’idéal serait de tout enregistrer, comme Albert Dürer a tenté de le faire dans la gravure reproduite à la figure 5-21. L’hémisphère gauche n’a pas la patience requise pour la perception détaillée des choses et se refuse à ce travail : « C’est une chaise, je te dis. C’est tout ce qu’il faut savoir. Ce n’est même pas la peine de la regarder puisque j’ai un symbole tout fait pour toi. Le voici : ajoute quelque détails si tu veux mais ne m’ennuie plus avec ces histoires d’observation ». Et d’où viennent ces symboles ? Ils nous viennent de ces années de dessins d’enfance pendant lesquelles chacun de nous élabore une symbolique. Cette symbolique reste ancrée dans notre mémoire et les symboles attendent d’être invoqués, comme ce fut le cas lorsque vous avez dessiné votre paysage d’enfance. Ces symboles sont également prêts à intervenir lorsque vous dessinez un portrait, par exemple. Le cerveau gauche, l’efficace, intervient : « Ah oui, des yeux. Voici le symbole pour les yeux, celui que tu as toujours utilisé. Et un nez ? Oui, voilà comment il faut le faire. » Une bouche ? Des cheveux ? Des cils ? Chaque élément possède son symbole. Tout comme il y a un symbole pour les chaises, pour les tables, pour les mains … En somme, la plupart des élèves adultes qui débutent dans l’apprentissage artistique ne voient pas réellement ce qu’ils ont en face des yeux — c’est-à-dire qu’ils n’ont pas des choses la perception requise pour les dessiner. Ils prennent note de ce qui se trouve en face d’eux et traduisent rapidement leur perception avec des mots et des symboles en fonction, notamment, de la symbolique qu’ils se sont créée au cours de leur enfance, et de la connaissance qu’ils ont acquise au sujet de l’objet perçu.
72 « Quand l’enfant est capable de dessiner autre chose que des griffonnages, vers l’âge de trois ou quatre ans, un ensemble déjà bien structuré de connaissances conceptuelles formulées dans le langage domine sa mémoire et contrôle son travail graphique ... Les dessins sont les comptes rendus graphiques de démarches essentiellement verbales. A mesure qu’une éducation essentiellement verbale domine, l’enfant abandonne ses efforts graphiques et s’appuie presque exclusivement sur la parole. Le langage a d’abord empiété sur le dessin puis l’a complètement submergé. » Ecrit en 1930 par le psychologue Karl Buhler
Fig. 5-21. Albert Dürer. Etude pour le Saint Jérôme (1521).
Comment remédier à cette manière de faire ? D’après le psychologue Robert Ornstein, l’artiste doit percevoir les choses comme dans un miroir pour pouvoir les dessiner. Il faut donc « débrancher » le mode-G, le mode des classifications verbales, et « brancher » la partie de notre cerveau qui opère selon le mode-D pour voir les choses comme l’artiste les voit. Une fois encore, la question première est de savoir comment accomplir cette conversion cognitive G D. Comme je l’ai dit au chapitre 4, il semble que la manière la plus efficace soit de présenter au cerveau un travail que l’hémisphère gauche ne voudra pas ou ne pourra pas effectuer. Vous connaissez déjà certains de ces travaux : les dessins du vase et des visages, le dessin à l’envers. Et, dans une certaine mesure, vous avez déjà éprouvé et appris à reconnaître l’état mental propre au mode de l’hémisphère droit. Vous commencez à vous rendre compte que lorsque vous vous trouvez dans cet état subjectif légèrement altéré, vous êtes capable de voir plus clairement et de mieux dessiner. En repensant à l’expérience que vous a fait connaître le dessin depuis le début de ce cours, et aux modifications de votre état de conscience survenues lors d’activités différentes (conduite sur autoroute, lecture, etc., dont nous avons parlé au chapitre 1), rappelez- vous les caractéristiques de cet état mental particulier. Il importe que vous poursuiviez la recherche de votre « observateur caché » et que vous appreniez à identifier cet état subjectif particulier. Revoyons encore une fois les caractéristiques du mode-D. Le temps, tout d’abord, semble suspendu. Vous perdez la notion du temps dans ce qu’il a de chiffrable. Ensuite vous n’accordez aucune attention aux paroles prononcées. Vous entendez peut-être le son de ces paroles mais vous ne pouvez en décoder la signification. Si quelqu’un vous parle, il vous semble qu’il vous faudrait fournir un effort terrible pour revenir en arrière, penser de nouveau
73 avec des mots, et répondre. De plus, tout ce que vous êtes occupé à faire vous semble d’un intérêt immense. Vous êtes attentif et concentré et vous avez le sentiment de ne plus faire qu’un avec la tâche qui vous absorbe. Vous vous sentez plein d’énergie mais calme, actif sans anxiété. Vous vous sentez confiant et à la hauteur de la tâche qui se présente. Vous pensez, non pas avec des mots, mais avec des images et, quand vous dessinez, votre pensée se « fixe » sur l’objet que vous percevez. Il s’agit d’un état très agréable. En le quittant, vous ne vous sentez pas fatigué mais vivifié.
« L’art est une forme de conscience d’une délicatesse suprême ... qui tend à l’unicité, unicité de l’auteur et de l’objet ... L’image doit entièrement émaner de l’artiste ... C’est l’image qui vit dans la conscience, vivante comme une vision, mais inconnue ». D.H. Lawrence, l’écrivain anglais, parlant de sa peinture. « En se créant un observateur intérieur, une personne peut accéder dans une mesure appréciable à l’observation de ses différents états d’identité et, bien qu’un observateur extérieur puisse souvent deviner clairement ses différents états d’identité, la personne elle-même, si elle n’a pas développé cette fonction d’observateur, peut très bien ne jamais remarquer les nombreuses transitions qui la mènent d’un état d’identité à un autre. » Charles T. Tart, Alternative States of Consciousness
Notre tâche à présent consiste à éclairer sous un jour plus précis cet état de conscience particulier et l’amener sous un contrôle conscient plus rigoureux afin d’exploiter les possibilités de l’hémisphère droit, nettement supérieures pour le traitement des informations visuelles, et d’effectuer à volonté la conversion cognitive vers le mode-D. L’exercice du chapitre suivant est destiné à vous faire connaître plus intensément que jamais cet état mental particulier. Le but est de découvrir davantage votre « observateur caché » et d’accroître le contrôle que vous pouvez exercer sur la conversion cognitive, afin de vous placer délibérément dans les conditions nécessaires pour que se produise cette conversion. Une fois la transition accomplie et le mode-G « débranché », vous verrez les choses plus clairement, à la manière de l’artiste. Lewis Carroll décrit une conversion semblable dans les aventures d’Alice dans De l’autre Côté du Miroir : «Oh, Kitty, comme ce serait merveilleux si l’on pouvait entrer dans la Maison du Miroir ! Je suis sûre de ce que je dis, oh, elle contient tant de belles choses ! Faisons semblant d’avoir découvert un moyen d’y entrer, Kitty. Faisons semblant d’avoir rendu le verre inconsistant comme la gaze et de pouvoir passer à travers celui-ci. Mais, ma parole, voici qu’il se change en une sorte de brouillard ! Cela va être un jeu d’enfant de le traverser … »
74
Votre symbolique : à la rencontre des bords et des contours
75 Nous avons retracé l’évolution artistique de votre enfance et le développement de la symbolique qui allait constituer le langage de vos dessins d’enfant. Parallèlement à cette évolution se sont développés d’autres systèmes symboliques: la parole, la lecture, l’écriture et l’arithmétique. Alors que ces derniers constituent des fondements utiles au développement ultérieur des facultés linguistiques et arithmétiques, les symboles utilisés dans les dessins d’enfants semblent contrarier l’évolution des aptitudes artistiques. Le problème le plus sérieux qui se pose dans l’enseignement du dessin réaliste aux sujets âgés de dix ans et plus est le fait du cerveau gauche qui semble insister pour que soient utilisés les symboles graphiques qu’il a mémorisés ou stockés alors que ceux-ci ne sont plus adéquats. Malheureusement, dans un sens, le cerveau gauche «persiste à croire » qu’il est capable de dessiner, alors que la latéralisation des perceptions globales et relationnelles, c’est-à-dire la délégation de ces compétences à l’hémisphère droit s’est produite depuis longtemps. Aux prises avec un dessin, le cerveau gauche se hâte de faire appel à des symboles de caractère linguistique, après quoi, dérisoirement. il n’est que trop prêt à souffler les mots de dédain qui composeront le jugement si le dessin parait naïf ou puéril. Simplement voir, dès lors, n’est pas Dans le chapitre précédent, j’ai expliqué qu’une suffisant. Il est indispensable d’établir manière efficace de « débrancher » l’hémisphère un contact physique, original et vivant gauche dominant et son mode de fonctionnement avec l’objet que vous dessinez par tous verbal et symbolique, et de «brancher» l’hémisphère les moyens sensoriels possibles — et droit dominé, de fonctionnement spatial et relationnel, spécialement par le sens du toucher». est de présenter au cerveau un travail que Kimon Nicolaides, The Natural Way to l’hémisphère gauche ne pourra ou ne voudra pas Draw entreprendre. Les dessins du vase et des visages et les dessins à l’envers nous ont permis d’accéder au mode-D. Nous allons à présent tenter une nouvelle stratégie, plus radicale qui provoquera une conversion cognitive plus profonde et neutralisera plus largement votre mode-G.
Cette technique, le « dessin de contour pur », plaira probablement très peu à votre cerveau gauche. Introduite aux Etats-Unis en 1941 par Kimon Nicolaides, professeur d’art de grande réputation, dans son ouvrage The Natural Way to Draw, cette méthode a remporté un vif succès auprès des enseignants. Je pense que les connaissances récentes sur la manière dont le cerveau répartit les tâches entre les deux hémisphères fournissent une base théorique susceptible d’expliquer l’efficacité du dessin de contour pur en tant que méthode d’enseignement. A l’époque où il a écrit ce livre, Nicolaides pensait apparemment que la méthode du contour pur permettrait aux élèves d’améliorer leur technique de dessin parce qu’elle les obligeait à utiliser à la fois leur sens de la vue et du toucher. Nicolaides conseillait aux élèves qu’ils s’imaginent touchant l’objet qu’ils dessinaient. Il semble plus probable, à présent, que l’efficacité de cette méthode est due à l’aversion du cerveau gauche pour la perception lente et méticuleuse des informations spatiales et relationnelles, ce qui permet à l’individu d’accéder au mode-D de fonctionnement cérébral, En résumé, le dessin de contour pur contrarie le style du cerveau gauche; il convient au style du cerveau droit et, une fois encore, c’est ce que nous recherchons. Avant de décrire cette méthode, je voudrais définir quelques termes. En dessin, le contour se définit comme le côté d’une forme tel que vous le percevez. En tant que méthode, le dessin de contour pur (qu’on appelle parfois « dessin de contour plein ») exige une observation continue et intense pendant qu’on trace les côtés de la forme sans regarder le dessin qui est en train de se réaliser.
76 Le terme « côté » dans le sens qu’on lui donne en dessin est l’endroit où deux éléments se rencontrent. Si vous dessinez votre main, par exemple, les endroits où l’air (qui en dessin constitue le fond ou l’espace négatif) rencontre la surface de votre main, l’endroit où un ongle rencontre la peau qui l’entoure, l’endroit où deux plis de la peau se rencontrent pour former une ride, et ainsi de suite, sont des côtés communs. Le côté commun (appelé contour) peut être décrit, c’est-à-dire dessiné, comme une simple ligne, qu’on appelle ligne de contour. (Nous travaillerons de nouveau les côtés dans le chapitre suivant sur les espaces négatifs.) Le côté est un concept fondamental dans le domaine artistique, en raison de ses rapports avec le principe de l’unité, qui est peut-être le plus important. L’unité est acquise lorsque tous les éléments d’une composition s’assemblent en un tout cohérent, chaque partie contribuant à l’intégralité de l’image résultante.
UN EXERCICE SUR LES COTES Afin de bien vous imprégner des concepts d’unité et de côté commun, faites l’exercice suivant, qui consiste à imaginer et à voir des côtés : 1. Voyez avec l’oeil de l’esprit un puzzle d’enfant de six à huit pièces de couleurs en désordre, les pièces s’assembleront pour former l’image d’un voilier sur un lac. Imaginez que chaque pièce du puzzle correspond à un élément donné : une seule pièce blanche représente la voile, une pièce rouge la coque, etc. Imaginez les autres pièces à votre manière — la terre, la jetée, les nuages, ce que vous voulez. 2. Assemblez à présent les pièces dans votre imagination. Représentez-vous les deux côtés qui s’assemblent pour former une ligne unique (s’il s’agit d’un puzzle découpé avec précision). Ces côtés communs forment les lignes de contour. Toutes les pièces, les espaces (ciel et eau) et les formes (la coque, la voile, la terre, etc.) s’assemblent pour former le puzzle complet. 3. Observez ensuite votre propre main, un oeil fermé pour obtenir une image plane (en fermant un oeil on supprime la vision binoculaire en relief). Imaginez votre main et l’air qui l’entoure comme les pièces d’un puzzle, l’espace (espace négatif) entre les doigts formant des côtés communs avec les doigts ; la forme de la peau autour de chaque ongle formant avec celui-ci un côté commun ; deux plis de la peau formant le côté commun d’une ride. L’image totale, composée de formes et d’espaces, s’assemble à la manière d’un puzzle. 4. Dirigez à présent votre regard vers un côté quelconque de votre main. Imaginez, avec l’oeil de l’esprit, que vous êtes en train de dessiner lentement ce côté de votre main ; imaginez que, simultanément, vous pouvez voir la ligne se former sur le dessin, comme par un procédé magique.
LE DESSIN DE CONTOUR PUR POUR DEPASSER VOTRE SYMBOLIQUE
77 Pendant mes cours, je fais des démonstrations de dessin de contour pur, et j'explique la méthode en même temps que je dessine —quand j’arrive à continuer de parler (fonction du mode-G) alors que j’essaie d’utiliser mon cerveau droit pour dessiner. Habituellement je débute bien, mais après cinq minutes je commence à m’égarer au milieu d’une phrase. Ce laps de temps, toutefois, est suffisant pour que mes élèves saisissent le principe de la méthode. Je poursuis ma démonstration en montrant des exemples de dessins de contour pur réalisés précédemment par d’autres élèves. Avant de commencer : Afin de reproduire fidèlement le déroulement du cours dans une classe, assurez-vous d’avoir lu toutes les instructions et d’avoir examiné tous les travaux d’élèves correspondants avant d'entreprendre votre dessin. 1. Cherchez un endroit où vous pourrez rester seul sans être interrompu pendant vingt minutes au moins. 2. Réglez une montre ou une minuterie sur vingt minutes si vous le voulez avant de commencer à dessiner. (Ceci afin de vous libérer de la notion du temps — fonction du modeG.) Si vous avez largement le temps et qu’il vous importe peu de savoir quand vous aurez terminé, passez-vous de la minuterie. 3. Placez une feuille de papier sur la table et fixez-la avec du papier collant dans la position qui vous semble la plus commode. Il est nécessaire de la fixer pour ne pas qu’elle tourne pendant que vous dessinez. 4. Vous allez dessiner votre propre main — votre main gauche si vous êtes droitier, votre main droite si vous êtes gaucher. Arrangez-vous pour que la main qui tient le crayon soit prête à dessiner sur le papier fixé sur la table. 5. Tournez carrément la tête dans la direction opposée, fixant des yeux la main que vous allez dessiner. Prenez garde que votre main repose sur un support car vous allez garder assez longtemps cette position. Vous travaillerez sans pouvoir regarder ce que vous dessinez (voir la position à la figure 6-l). Il est indispensable de tourner la tête pour respecter l’objectif de cette méthode : premièrement. pour concentrer entièrement votre attention sur les informations visuelles qui se trouvent là en face de vous ; et, en second lieu, pour refuser toute attention au dessin, ce qui pourrait faire resurgir vos anciens schémas symboliques mémorisés depuis l’enfance, par exemple, « la manière de dessiner une main ». Il faut dessiner uniquement ce que vous voyez (mode-D, perception globale) et non ce que vous savez (mode-G, fonctionnement symbolique). Il est également nécessaire de détourner complètement la tête parce que la tentation de regarder le dessin est presque irrésistible au début. Si vous dessinez dans la position normale en vous disant « Je n’ai qu’à ne pas regarder », vous vous apercevrez certainement que vous êtes en train de regarder votre dessin du coin de l’oeil. Ce faisant, vous réactiveriez le mode-G et vous manqueriez le but de l’exercice. 6. Une fois la tête tournée, fixez votre regard sur un point du contour de votre main. Au même moment, placez la pointe du crayon sur le papier (à n’importe quel endroit qui se situe largement au centre de la feuille).
7. Très lentement, millimètre
78 par millimètre, déplacez votre regard le long du contour de votre main, observant chaque variation infime, chaque ondulation de la ligne. A mesure que vos yeux progressent, déplacez la pointe de votre crayon au même rythme, en reproduisant chaque modification, chaque variation infime du contour que vous observez. Prenez conscience que l’information projetée par l’objet observé (votre main) est perçue exactement et dans les moindres détails par vos yeux et reproduite simultanément par votre crayon qui enregistre tout ce que vous voyez au moment où sous le voyez. Fig. 6-1. Position tête détournée pour le dessin de contour pur.
8. Ne vous retournez pas pour regarder votre feuille. Observant votre main, dessinez progressivement ce que vous voyez. Vos yeux percevront successivement les changements de configuration du contour et votre crayon les reproduira au même rythme. Au même moment, vous prendrez conscience des rapports entre le contour que vous dessinez et la configuration entière des contours complexes de votre main. Vous pouvez dessiner les contours intérieurs ou les contours extérieurs en premier ou passer de l’un à l’autre. Ne vous préoccupez pas de savoir si le dessin ressemblera à votre main, Il est probable que non étant donné que vous ne pouvez pas vérifier les proportions, etc. En limitant votre perception à de petits fragments successifs, vous apprendrez à voir les choses exactement telles qu’elles sont, à la manière de l’artiste. 9. Le mouvement du crayon doit reproduire exactement le mouvement de l’oeil. L’un ou l’autre tentera peut-être d’accélérer, mais ne le laissez pas faire. Vous devez reproduire chaque détail à l’instant où vous voyez chaque point du contour. N’interrompez pas votre dessin et poursuivez à un rythme lent et régulier. Il se peut qu’au début vous vous sentiez maladroit ou mal à l’aise : certains élèves éprouvent brusquement un mal de tête ou un sentiment de panique. Je pense que cette perturbation se produit au moment où le cerveau gauche s’aperçoit que le dessin de contour pur défie dangereusement sa supériorité. Il se rend compte, je crois, que si vous devez reproduire l’enchevêtrement complexe des contours de votre main, à la lenteur avec laquelle vous dessinez, le cerveau droit va dominer encore pendant un long moment. Effectivement, le cerveau gauche réagit : « Cesse ce jeu stupide immédiatement. Il n’est pas nécessaire de regarder les choses d’aussi près. J’ai déjà nommé chaque détail pour toi, même les plus petits, comme les rides. Montre-toi donc raisonnable et occupons-nous de quelque chose de moins ennuyeux — sinon je te donne la migraine ». Ignorez ces protestations et poursuivez. A mesure que vous dessinerez, les récriminations du cerveau gauche fléchiront et votre esprit s’apaisera. Vous serez bientôt fasciné par la complexité merveilleuse de l’objet que vous voyez et vous sentirez que vous pouvez aller toujours plus loin dans cette complexité.
Krishnamurti : « Où commence alors le silence ?
79 Laissez-vous mener. Il n’y a rien à craindre, rien qui puisse vous embarrasser. Votre dessin sera la reproduction merveilleuse de L’interrogateur: Comment faites-vous ? » vos perceptions profondes. Il nous importe peu que votre dessin ressemble ou non à une Krishnamurti: »Je ne sais pas, mais avez-vous jamais essayé ? Tout d’abord, quelle est l’entité qui main. Nous voulons une matérialisation de essaie d’arrêter la pensée ? » vos perceptions. Après avoir terminé : Essayez de vous L’Interrogateur: « Le penseur ». rappeler ce que vous ressentiez en commençant le dessin de contour pur, en Krishnamurti : « C’est une autre pensée, n’est-ce pas ? La pensée essaie de s’arrêter elle-même et une comparant cette sensation avec ce que vous bataille se livre alors entre le penseur et la pensée ... avez ressenti plus tard, une fois plongé La pensée dit ‘Je dois arrêter de penser et alors je profondément dans le dessin. Comment vous connaîtrai un état merveilleux’ ... Une pensée essaie sentiez-vous à ce stade plus avancé ? Avezd’en supprimer une autre, et il y a conflit. Quand je vous perdu la notion du temps qui passe ? considère cela comme un fait, que je le considère totalement, que je le comprends complètement, et Comme Max Ernst, vous êtes-vous pris de que je m’en pénètre ... alors mon esprit s’apaise. passion pour ce que vous voyiez ? Quand Cela vous vient naturellement et facilement quand vous retournerez à cet état mental particulier, l’esprit est serein, d’observer, de regarder, de voir ». le reconnaîtrez-vous ? Pour la plupart des élèves, le dessin de « En chacun de nous repose le monde entier et si vous savez comment regarder et apprendre, alors la contour pur est l’exercice qui permet la porte est devant vous et vous en possédez la clé. conversion la plus radicale vers le mode-D et Personne sur la terre ne peut vous donner ni la clé ni le voyage le plus parfait au coeur de cet état la porte à ouvrir, excepté vous-même. » de conscience particulier. Coupé du dessin— et par là des données visuelles qui permettent J. Krishnamurti You Are the World d’identifier, de symboliser et de classifier — forcé de se concentrer sur ce qu’il considère comme une pléthore d’informations, le cerveau gauche passe le relais au cerveau droit. La lenteur du dessin semble maintenir d’avantage le cerveau gauche au point mort. Le dessin de contour pur est un moyen tellement efficace pour produire cette conversion que bon nombre d’artistes ont coutume de se mettre au travail en commençant par une brève séance, au moins, de ce genre d’exercices, afin de déclencher le processus qui les mènera à débrancher le modeG. Commence-t-il là où finit la pensée ? Avez-vous jamais essayé de vous arrêter de penser ? »
Au cas où ce premier dessin ne vous aurait pas permis d’effectuer une conversion très parfaite vers le mode-D, prenez patience. Chez certaines personnes, l’hémisphère gauche est très volontaire ou très anxieux de voir le droit prendre le contrôle. Vous devez le rassurer. Lui parler. Dites-lui que vous n’allez pas l’abandonner, que vous voulez simplement essayer de découvrir quelque chose. Vous vous apercevez que le cerveau gauche permettra progressivement que s’accomplisse la conversion. Gardez-vous cependant de laisser votre cerveau gauche ridiculiser votre dessin de contour pur, en émettant des remarques sévères et en annulant ainsi le profit que vous en auriez tiré. Notre but n’était pas de réaliser un dessin ressemblant. Bientôt tous vos acquis s’additionneront et vous dessinerez mieux que jamais auparavant.
TRAVAUX D’ELEVES
80 Souvenir d’un état mental particulier. Poursuivons le cours avec certains travaux d’élèves illustrant le dessin de contour pur. Quelle trace étrange et merveilleuse recèlent ces dessins! Ne vous préoccupez pas du manque de ressemblance entre certains de ces dessins et la configuration normale d’une main — c’était à prévoir. Dans le prochain exercice, le «dessin de contour modifié», nous nous soucierons de la configuration d’ensemble.
« Nageur aveugle, je me suis forcé à voir. J’ai vu. Et j’ai été étonné et passionné par ce que je voyais, souhaitant m’identifier à l’objet de ma vision ». Max Ernst Dans Les Portes de la Perception, Aldous Huxley décrit les effets de la mescaline sur sa perception des choses ordinaires — dans ce cas précis, les plis de son pantalon de flanelle grise. Il voit ces plis comme des hiéroglyphes vivants qui représentent, de quelque manière particulièrement infaillible, le mystère insondable de l’être pur ... Les plis de mon pantalon étaient chargés d’’istigheit’ ». Huxley continue: « Ce que le reste d’entre nous ne voit que sous l’influence de la mescaline, l’artiste est équipé congénitalement pour le voir tout le temps ».
Dans le dessin de contour pur, c’est la qualité des signes et leur caractère qui nous intéressent. Ces signes, « ces hiéroglyphes vivants », sont la trace de nos perceptions. Ces dessins ne contiennent aucune de ces maigres traces stéréotypées et vainement bavardes que produit le fonctionnement hâtif de l’hémisphère gauche. A leur place, on trouve les marques riches, profondes et intuitives que laissent les choses telles-qu’elles-sont, telles qu’elles existent autour de nous,des marques qui profilent l’ « istigheit » des choses. Les «nageurs aveugles» ont vu! Et voyant, ils ont plongé au coeur du dessin ! Travaux d’élèves : dessin de contour pur
Georgette Zuleski
Cami Berg
Pour moi, ces dessins sont la matérialisation visuelle d’un état de conscience propre au modeD. Comme s’est exclamée l’une de mes amies, l’écrivain Judi Marks, en voyant pour la première fois un dessin de contour pur : « Personne, dans l’état d’esprit du cerveau gauche, ne pourrait faire un tel dessin ! » Commencez maintenant à dessiner, en respectant la méthode du dessin de contour pur. Continuez de dessiner jusqu’à ce que la minuterie s’arrête. Vous pouvez évidemment vous arrêter quand vous le voulez mais tâchez de dessiner pendant trente minutes sans vous
81 interrompre et sans regarder votre dessin. Si vous réussissez une conversion radicale vers le mode-D, il se peut même que vous dessiniez sans interruption pendant une heure.
LE DESSIN DE CONTOUR MODIFIE Maintenant que vous avez appris la manière d’accéder au côté droit de votre cerveau — le moyen d’ouvrir les portes de la perception et d’entrer dans un état mental légèrement modifié, caractéristique du fonctionnement de l’hémisphère droit — vous commencez à voir à la manière de l’artiste et vous êtes presque prêt pour accomplir un dessin réaliste suivant la méthode du « dessin de contour modifié ». Travaux d’élèves : dessin de contour pur
Beth Glick
Judy Leventhal
Exercices supplémentaires 6a. Suivant fidèlement les instructions du dessin de contour pur, observez et dessinez une fleur compliquée comme un iris, un chrysanthème, une rose, un géranium. Dessinez pendant trente minutes. 6b. En respectant de nouveau les instructions du dessin de contour pur, dessinez un objet naturel inanimé comme un coquillage, une pierre, ou un morceau de bois flotté. Cette fois encore, choisissez un objet complexe. Dessinez pendant trente minutes. 6c. Chiffonnez un morceau de papier et dessinez-le par la méthode du dessin de contour pur. Prenez si possible une heure pour faire ce dessin. Mais avant d’entreprendre ce travail, faites les exercices 6a, b et c. Ne « sautez » pas ces dessins. Sans eux, vous ne pourriez vivre totalement l’expérience de la conversion cognitive vers le mode-D et vous ne pourriez vous familiariser avec l’état mental que suscite cette conversion. Il vous aideront également à passer plus facilement au dessin de contour modifié. Le dessin de contour modifié est exactement pareil au dessin de contour pur si ce n’est que
82 vous pouvez vous permettre de jeter un coup d’oeil de temps en temps sur votre dessin dans le seul but de noter les rapports de surfaces, de longueurs ou d’orientation. Vous pourrez jeter un bref regard sur votre dessin pour vérifier la direction d’un trait, des proportions. etc. tout en restant capable d’exercer l’observation lente et minutieuse qui favorise la conversion cognitive vers le mode-D.
Avant de commencer : Lisez toutes les directives. 1. Assurez-vous de disposer d’une demi-heure au moins sans interruption. 2. Installez-vous confortablement devant une table, cette fois dans la position de dessin normale, comme à la figure 6-2. Fixez de nouveau votre feuille sur la table avec du papier collant afin qu’elle ne tourne pas. Vous allez. cette fois encore, dessiner votre main que vous placerez dans une position compliquée — les doigts entrelacés, serrés ou croisés, comme vous voulez. Ce genre de position répond mieux aux fins de l’exercice que la main simplement ouverte et à plat, parce que l’hémisphère droit semble préférer la complexité. 3. Gardez-vous de bouger la main ou la tête dès que vous aurez commencé le dessin — ne tendez donc pas le cou pour voir une partie de votre main qui vous est dissimulée. Adoptez une position et gardez-la. Nous ne voulons qu’une seule vue de votre main, pas une vue multiple qui déformerait votre dessin.
Fig. 6-2. La position pour le dessin de contour modifié est la position habituelle du dessin.
4. Pour vous préparer au dessin, fixez votre main du regard. Cela vous permettra de déclencher la conversion cognitive vers le
Lors d’une conversation, le Professeur Elliot Elgart de l’Université de Californie au Département artistique de Los Angeles m’a
83 confié avoir souvent observé que les élèves débutants confrontés pour la première fois à un modèle couché, penchaient fortement la tête sur le côté alors qu’ils dessinaient le modèle. Pourquoi ? Pour voir le modèle dans la position à laquelle ils sont accoutumés, c’est-à-dire la position debout !
mode-D. Imaginez une ligne verticale et une ligne horizontale près de votre main. Evaluez l’angle que forme une ligne que vous choisirez avec la verticale ou avec l’horizontale. Regardez à présent votre feuille et imaginez l’angle tel qu’il serait s’il était dessiné sur le papier. Choisissez un espace, par exemple l’espace entre deux doigts. Fixez-le du regard jusqu’à ce que vous en voyiez le côté, là où il rencontre le côté de votre doigt. Essayez de reconnaître l’instant où votre esprit exécute la conversion vers le mode-D.
5. Fixez des yeux un point quelconque du Contour. Vérifiez-en l’angle par rapport à la verticale ou à l’horizontale. Regardez à présent votre feuille. A mesure que votre regard se déplace lentement le long du contour, votre crayon dessine ce contour au même rythme. Passez d’un contour à celui qui lui est adjacent. N’essayez pas de dessiner complètement le contour extérieur puis les formes intérieures. Il est beaucoup plus facile de passer d’une forme à celle qui lui est adjacente. Comme dans le dessin de contour pur, votre crayon reproduira tous les côtés, prenant note des changements de direction les plus infimes et de chaque ondulation du contour. C’est une démarche silencieuse. Ne parlez pas. Ne nommez pas les parties de la main que vous dessinez. Vous travaillez avec des informations visuelles uniquement; les mots sont inutiles. Il n’est pas nécessaire d’essayer d’établir des relations logiques, car toutes les informations visuelles se trouvent là, sous vos yeux. Concentrez-vous sur ce que vous voyez; évaluez silencieusement la longueur d’une ligne par rapport à une autre ; la largeur d’une forme par rapport à une autre ; l’écartement d’un angle en le comparant à un autre; et l’endroit d’où semble partir un contour par rapport à celui que vous venez de dessiner. 6. Ne jetez un coup d’oeil à votre feuille que pour localiser un point ou pour vérifier des proportions. Vous devez passer les quatre-vingt-dix pour cent de votre temps à scruter la main que vous dessinez, tout comme pour la méthode du contour pur. 7. Quand vous arriverez aux o-n-g-l-e-s (nous ne nommons pas les choses, je vous le rappelle), ne dessinez pas les ongles eux-mêmes mais bien les formes qui les entourent. De cette manière vous éviterez que certains symboles infantiles refassent surface. Le cerveau gauche ne dispose d’aucun nom pour les formes autour des ongles. D’ailleurs, si vous éprouvez des difficultés avec un élément quelconque, passez à l’élément qui lui est adjacent ou avec lequel il possède un côté en commun. 8. Rappelez-vous enfin que tout ce que vous devez savoir sur votre main pour faire votre dessin — toutes les informations perceptuelles requises — se trouvent sous vos yeux. Votre travail consiste simplement à reproduire tel quel le résultat de vos perceptions sous forme de signes qui sont la trace de ces perceptions. Pour ce faire, il n’est pas besoin de penser. Comme il vous suffit de percevoir, d’observer et de reproduire ce que vous voyez, le dessin vous semblera facile. Vous vous sentirez confiant, détendu et absorbé, fasciné par l’aisance avec laquelle tous les éléments s’assemblent comme dans un puzzle parfaitement conçu. Commencez maintenant à dessiner. Dans quelques minutes vous serez passé à l’état mental particulier du mode-D mais vous n’avez pas à y penser. Vous avez sciemment créé les conditions pour que s’accomplisse la conversion, et elle se produira bientôt sans effort de votre part. Le dessin de contour modifié, comme les autres exercices. est un travail que le cerveau gauche refusera, libérant ainsi l’accès au mode de fonctionnement de l’hémisphère droit.
84 Après avoir terminé : Repassez mentalement les stratégies de dessin que vous avez utilisées, la sensation que suscite l’état de conscience propre au mode-D. la manière dont vous avez conquis cet état d’esprit en établissant sciemment les conditions qui favorisent la conversion cognitive. Le premier dessin révélera peut-être certaines erreurs de proportions ou d’orientation. Les exercices du chapitre suivant vous aideront à corriger ces défauts. A ce stade, dessiner est comme apprendre à conduire une voiture. On apprend d’abord séparément chaque opération — l’accélération, le freinage, l’utilisation des clignotants, la vigilance à l’égard des autres véhicules, en face, derrière et sur les côtés. Lorsque vous avez conduit pour la première fois, vous avez dû tout faire à la fois et coordonner des opérations distinctes en une manoeuvre d’ensemble. La deuxième fois la tâche s’est avérée plus facile, la troisième plus encore. Bientôt les techniques et les stratégies se sont intégrées en une manoeuvre coordonnée. Il en va de même pour le dessin. Il s’agit d’une technique d’ensemble qui requiert la coordination d’un certain nombre de stratégies. A bref délai, ces stratégies deviendront aussi automatiques que l’usage des freins ou de l’accélérateur ou des clignotants quand vous conduisez. Afin d’acquérir de la pratique et de l’assurance, faites soigneusement les exercices 6d à 6g page 95. Avant de commencer chaque dessin, créez les conditions qui favoriseront la conversion cognitive vers l’état de conscience particulier du mode-D. Point particulièrement important: assurez-vous de disposer d’un laps de temps ininterrompu. Plus tard, vous serez capable d’accomplir la conversion malgré les interruptions, bien que la plupart des artistes recherchent la solitude pour dessiner.
TRAVAUX D’ELEVES Dessin de contour modifié Pour la plupart des dessins d’élèves suivants, les mains semblent avoir été dessinées par des personnes expertes. Ces mains ont du relief, elles sont crédibles, authentiques. Elles semblent faites de chair, de muscles et d’os. Les détails les plus subtiles comme la pression d’un doigt sur un autre, la tension de certains muscles, le grain de la peau y sont reproduits.
L’ETAPE SUIVANTE : TROMPER LE MODE-G AVEC DES ESPACES VIDES Jusqu’à présent. nous avons pu déceler certaines lacunes de l’hémisphère gauche: les images en miroir (dessin du vase et des visages) le mettent en difficulté ; il ne peut opérer à partir d’informations perceptuelles renversées (comme dans le dessin à l’envers du Stravinsky), il refuse de traiter les perceptions lentes et complexes (comme dans le dessin de contour pur et le dessin de contour modifié). Tirant parti de ces incompétences, nous avons donné une chance à l’hémisphère droit de traiter les données visuelles à l’abri des interventions tyranniques du cerveau gauche.
85 Le prochain chapitre visera à rétablir votre perception de l’unité des formes et des surfaces dans la composition, faculté que vous possédiez déjà étant enfant. L’accent sera mis, dans ce chapitre, sur les espaces négatifs.
Travaux d’élèves : dessin de contour modifié
Lori Stolze
Annette Ramirez
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Pat Marovich
Fig. 6-3. Martha Kalivas
Fig. 6-6. Charlotte Doctor
Fig. 6-4. Georgette Zuleski
Fig. 6-5. Nora Thomas
87 Exercices supplémentaires : Avant de commencer : Pendant cinq à dix minutes, faites un dessin de contour pur de n’importe quel objet complexe afin de préparer la conversion cognitive vers le mode-D. 6d. Faites un second dessin de contour modifié en reproduisant une pomme de pin. Voyez à la figure 6-3 l’exemple d’un dessin d’élève. 6e. Faites le dessin de contour modifié d’un sac de papier ordinaire, dans l’état ou dans la position que vous voudrez. Voir figure 6-4. 6f. Faites le dessin de contour modifié d’un objet ménager quelconque — un fouet, un tirebouchon, un fer à repasser, un ouvre-boîte. Rappelez-vous que l’hémisphère droit semble préférer la complexité. Voir figure 6-5. 6g. Faites le dessin de contour modifié de votre propre pied, déchaussé ou non. (Si vous voyez également votre genou quand vous regardez votre pied, notez j comme il semble large par rapport à la largeur de votre pied). Voir figure 6-6. Après avoir terminé : Regardez vos dessins faits sur le mode-D. Prenez note des éléments qui indiquent que vous étiez parfaitement « fixé » sur l’image sous vos yeux. Cela doit se refléter dans la précision de vos perceptions. Tâchez de vous souvenir de votre état mental à ce stade de votre dessin
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La forme des espaces L’aspect positif des espaces négatifs En dessin, le terme composition désigne la manière dont les éléments d’un tableau sont disposés par l’artiste. Les éléments de base d’une composition sont les formes positives (les objets ou les personnages), les espaces négatifs (les espaces vides), et le format (la longueur et la largeur relatives des côtés qui limitent la surface dessinée). Pour composer un dessin, l’artiste place et assemble les formes positives et les espaces négatifs dans les limites d’un format donné. Le format détermine la composition. Autrement dit, la forme de la surface dessinée (généralement une feuille de papier rectangulaire) influence largement la manière dont l’artiste dispose les formes et les espaces à l’intérieur des limites de cette surface. Afin de vous en persuader, utilisez votre mode-D et imaginez un arbre, un orme ou un pin, pourquoi pas. A présent, disposez cet arbre dans chacun des formats repris à la figure 7-1. Vous vous apercevrez qu'il faut modifier la forme de l’arbre et de l’espace qui l’entoure pour chaque format. Pour vous en assurer, il suffit d’imaginer exactement le même arbre dans tous les formats. Vous vous rendrez compte qu’une forme convenant à un format ne convient pas à un autre. Les artistes expérimentés ont compris l’importance de la forme et du format. Les élèves débutants, par contre, semblent curieusement négliger les limites du support. Etant donné qu’ils consacrent presque exclusivement leur attention aux objets et aux personnages qu’ils dessinent, ils semblent considérer les bords du support comme inexistants, et assimilent la feuille à l’espace qui entoure les objets réels et qui n’a pas de limites. Oublieux des limites de leur feuille de papier, qui arrêtent à la fois les espaces négatifs et les formes positives, la plupart des débutants commettent des erreurs de composition. L’erreur la plus grave est l’absence d’unité entre les composantes fondamentales : les formes et les espaces.
Fig. 7.1. Différents formats.
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Fig. 7-3. Fig. 7-2. Joan Miró. Personnages avec Etoile (1933). Avec l’aimable autorisation de l’Art Institute of Chicago.
LES JEUNES ENFANTS COMPOSENT AVEC LE FORMAT Au chapitre 5, nous avons vu que les jeunes enfants saisissent bien l’importance du format. Ils ont conscience des limites du format et cette donnée détermine la manière dont ils disposent les formes et les espaces, leur permettant de réaliser des compositions presque impeccables. La composition d’un enfant de six ans reprise à la figure 7-3 n’a rien à envier à la composition de l’artiste Juan Miró à la figure 7-2.
James Lord nous décrit la réaction de l’artiste Alberto Giacometti face à un espace vide : « II se remit à peindre une fois encore, mais après quelques minutes il se tourna vers l’endroit où s’était trouvé le buste, comme pour l’examiner de nouveau, et s’exclama: ‘Oh, il n’est plus là!’ Comme je lui rappelais que Diego l’avait emporté, il déclara: ‘Oui, mais je croyais qu’il était là. J’ai regardé et. soudain, j’ai vu le vide. J’ai vu le vide, C’est la première fois que cela m’arrive ». James Lord, A Giacometti Portrait « Rien n’est plus réel que rien ». Samuel Beckett
Malheureusement, nous l’avons vu, cette « L’intérieur d’une tasse ne vous serait jamais faculté se perd lorsque l’enfant approche de d’aucune utilité sans l’extérieur. L’intérieur et l’extérieur vont de pair. Ils sont un ». l’adolescence, peut-être en raison d’une Alan Watts dominance croissante de l’hémisphère gauche et de sa prédilection pour l’identification, la dénomination et la classification. Une concentration de l’attention sur les objets en particulier semble se substituer à la vision globale de l’environnement chez le jeune enfant pour qui chaque chose a son importance, y compris les espaces négatifs que sont le ciel, le sol et l’air.
91 « L’expression, pour moi, ne réside pas dans Il faut souvent des années de pratique pour la passion qui éclatera sur un visage ou qui convaincre les élèves comme les artistes s’affirmera par un mouvement violent, Elle expérimentés le sont eux-mêmes. que les espaces est dans toute la disposition de mon tableau : négatifs, limités par le format. exigent le même la place qu’occupent les corps, les vides qui effort d’attention et de soin que les formes sont autour d’eux, les proportions, tout cela y a sa part ». positives. Les élèves débutants prodiguent généralement toute leur attention aux objets, aux Henri Matisse, « Notes d’un peintre » personnes, ou aux formes qu’ils dessinent puis se contentent. si l’on peut dire, de « remplir le fond ». Ceci peut vous paraître difficilement croyable, mais lorsqu’on consacre toute son attention aux espaces négatifs, les formes se dessinent d’elles-mêmes. Je vous le montrerai par des exemples bien précis.
Les citations du dramaturge Samuel Beckett et du philosophe Zen Alan Watts énoncent clairement ce principe. En Art, comme le dit Beckett, rien n’est plus réel que rien (dans le sens d’espace vide). Et comme le dit Alan Watts, l’intérieur et l’extérieur sont un. Vous avez vu dans le dernier chapitre qu’en dessin, les objets et les espaces qui les entourent s’assemblent comme les pièces d’un puzzle. Toutes les pièces sont importantes, et une fois assemblées, elles remplissent la surface entière comprise entre les quatre côtés du jeu — c’està-dire le format.
Fig. 7-4. Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901). Le Jockey. Avec l’aimable autorisation du Musée d’Art de Cleveland. Collection de M. et Mme Charles Prasse.
92 Le dessin du jockey de Toulouse-Lautrec est un exemple d’assemblage exact des formes et des espaces (figure 7-4), ainsi que la nature morte de Paul Cézanne (figure 7-5) et la Femme Nue de Dürer (figure 7-6).
DESSIN DES ESPACES NEGATIFS : QUAND LES ESPACES PRENNENT FORME Nous allons à présent exploiter une autre lacune du mode-G. L’hémisphère gauche est mal équipé pour opérer à partir des espaces négatifs. Il ne peut les nommer, les identifier, les classer selon les catégories qu’il s’est établies, ou leur assigner des symboles tout faits. Il semble effectivement que les espaces négatifs perturbent le cerveau gauche qui refuse de s’en occuper. Ce travail est donc relégué au cerveau droit et c’est précisément ce que nous souhaitons !
Fig. 7-6. Albert Dürer (1471-1528). Femme Nue avec un Bâton (1508). Avec l’aimable autorisation de la National Gallery of Canada à Ottawa. Les formes négatives qui entourent le personnage présentent des dimensions et des configurations d’une merveilleuse variété.
Le cerveau droit, plus éclectique, plus complaisant, plus démocratique (au sens figuré) semble à l’aise avec les espaces négatifs. Dans le cerveau droit, les espaces et les objets, le connu et l’inconnu, l’identifié et l’anonyme, tout est égal. Tout l’intéresse et plus l’information visuelle qui frappe la rétine est étrange et complexe et plus elle lui plaît. Essayons de nous en rendre compte. Nous commencerons avec des objets, pour ne pas heurter le mode-G dès le départ.
Fig. 7-7.
Fig. 7-8.
1. Sur une feuille de papier, dessinez de grandes formes : deux étoiles de mer, trois pipes, des instruments de musique, quelques formes abstraites, ou n’importe quel objet. Ce sont les formes positives. Regardez l’exemple des étoiles de mer à la figure 7-7. Faites en sorte que les formes positives touchent les bords du format en deux endroits au moins, comme le montre l’exemple. Les espaces autour de l’étoile sont les espaces négatifs.
93 2. Pour bien vous imprégner de l’idée qu’en dessin les espaces sont considérés comme des formes en soi, repassez le dessin avec votre crayon consciemment et délibérément, pour souligner fortement la forme des espaces, y compris les bords du papier, qui composent également la forme de l’espace négatif. 3. Fixez à présent votre regard sur l’une de ces surfaces renforcées jusqu’à ce qu’elle vous apparaisse comme une forme. Cela prend un certain temps. Le cerveau gauche face à une forme qui n’a pas de nom l’examine attentivement pendant un long moment, essayant de l’identifier. Incapable d’assimiler cet espace à une chose connue, il finit par se désister : « Je ne sais pas ce que c’est. Ce genre de chose est sans intérêt pour moi et si tu veux continuer de la regarder, tu (le cerveau droit) devras t’en occuper, Ca ne m’intéresse pas ». Très bien ! C’est justement ce que nous voulons. Continuez de fixer l’un de ces espaces, et il vous apparaîtra comme une forme. 4. Noircissez les espaces à l’aide d’un crayon ou d’une plume, comme à la figure 7-9, afin de renforcer d’avantage votre vision des espaces négatifs en tant que formes. Encore une fois, fixez votre regard sur ces formes, l’une après l’autre,jusqu’à ce que vous puissiez les voir en tant que telles. 5. Ensuite, à l’aide de ciseaux, découpez les espaces négatifs. Prenez-les. Voyez-les comme des formes. Tournez-les de différentes manières. Ensuite, avec de la colle ou du papier collant, assemblez-les de nouveau avec les formes positives sur une nouvelle feuille de papier, si possible de couleur différente. Etant donné que les espaces négatifs partagent les côtés des formes positives, les pièces découpées qui forment les espaces négatifs, lorsqu’elles sont recollées à leur place, construisent également la forme positive. Il s’agit d’un point important de l’exercice. Comme vous l’avez appris par le dessin de contour, les formes positives et les espaces négatifs se partagent les mêmes côtés. Si vous dessinez l’un, vous dessinez inévitablement l’autre. Vérifiez encore une fois mentalement ce principe. Regardez un objet — les ciseaux que vous venez d’utiliser, par exemple. Si vous dessinez la forme des espaces à l’intérieur des branches, les bords de ces espaces négatifs forment également les bords intérieurs des branches elles-mêmes.
Fig. 7-9.
Fig. 7-10.
94 Fig. 7-5. Paul Cézanne (l839-1936),Le Vase de Tulipes. Avec l’aimable autorisation de l’Art Institute of Chicago. En plaçant la forme positive de sorte qu’elle touche le bord du format en plusieurs endroits, Cézanne a fermé et séparé les formes négatives, ce qui contribue autant que les formes positives ellesmêmes à la valeur et à l’équilibre de la composition.
Le poète John Keats a écrit que pour comprendre la poésie, il fallait vouloir se transposer dans un état d’esprit particulier, qu’il appelait « negative capability »*. Selon lui, cet état d’esprit permet de tolérer l’incertitude, le mystère et le doute sans ressentir le besoin agacé des faits et de la raison. *N.d.T. Capacité négative.
Une analogie
Fig. 7-11
Fig. 7-12.
95 Laissez-moi vous expliquer cela autrement. Vous avez probablement déjà vu des dessins animés au cinéma ou à la télévision où l’un des personnages — Bugs Bunny, par exemple — court le long d’un couloir et passe au travers d’une porte fermée, y laissant un trou en forme de Bugs Bunny. Représentez-vous ce paradoxe apparent : ce qui reste de la porte, c’est l’espace négatif et le bord intérieur de cette forme est à la fois le bord de l’espace négatif et le contour de la forme positive (Bugs Bunny). Autrement dit, le trou vide et la porte matérielle se partagent le même contour et en dessinant l’un, vous dessinez l’autre. Regardez maintenant un meuble dont les espaces sont ouverts—un tabouret, un fauteuil à bascule, un pupitre, une chaise à bâtons dont le dossier est formé de barreaux. Imaginez-vous que — pouf! — la chaise est partie, laissant des espaces négatifs intacts et concrets. En gardant cette image à l’esprit, regardez maintenant l’un des espaces intérieurs indiqués par des flèches aux figures 7-11 et 7-12. Fixez-le jusqu’à ce que cet espace vous apparaisse comme une forme. Rappelez-vous que cette vision ne se produit qu’après un certain temps. Il est probable que l’hémisphère gauche examinera cet espace, considérera l’information comme inappropriée à son style de fonctionnement et reléguera le travail à l’hémisphère droit. Entraînez-vous à percevoir les espaces négatifs des objets plusieurs fois au moins, passant d’un espace à l’autre, et attendez que la forme de l’espace apparaisse à vos yeux — attendez de percevoir l’espace comme une forme.
UTILISATION D’UN VISEUR : LE CADRAGE Nous allons à présent délimiter la perception de l’ensemble — forme positive et espace négatif à l’intérieur du format— en utilisant un aide visuel appelé viseur. Construisez un viseur de la manière suivante : 1. Prenez une feuille ou un carton mince de mêmes dimensions que la feuille que vous utilisez pour dessiner. Le viseur doit avoir le même format, c’est-à-dire la même forme et les mêmes proportions que votre feuille à dessin. 2. Tracez les diagonales, partant des coins opposés et se joignant au centre. Au centre de la feuille, dessinez un petit rectangle en reliant deux verticales et deux horizontales en quatre points situés à égales distances sur les diagonales. Ce Fig. 7-13. rectangle intérieur devrait avoir des côtés de 2,5 cm et 3 cm (voir figure 7-13) pour respecter les proportions de la feuille. 3. Découpez ensuite le petit rectangle central à l’aide de ciseaux. Tendez la feuille devant vous et comparez la forme de la petite ouverture avec le format général. Vous constatez que les deux formes sont les mêmes, et que, seules, leurs dimensions diffèrent. Cet aide visuel s’appelle un viseur. Il vous aidera à voir les espaces négatifs en délimitant l’espace qui entoure la forme.
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Fig. 7-14. François Boucher (1703-1770), Nu assis. Avec l’aimable autorisation du Rijksmuseum, Amsterdam.
4. Tenez votre viseur devant vous, fermez un oeil (ou cachez-le d’une main) et regardez une chaise à travers l’ouverture. Il se peut que vous deviez déplacer le viseur vers vous ou vers l’objet, afin d’encadrer ce dernier de manière à le voir au maximum. Déplacez le viseur jusqu’à ce que la chaise touche les bords en deux points au moins (figure 7-15). 5. Dirigez à présent votre regard vers l’un des espaces négatifs qui entourent la chaise et attendez qu’il vous apparaisse comme une forme ainsi que vous l’avez fait pour dessiner les étoiles de mer. 6. Maintenant, imaginez que la chaise disparaît et que, comme dans le dessin animé où Bugs Bunny passe à travers une porte, seuls subsistent les espaces négatifs en tant que formes. C’est ce que vous allez dessiner : les espaces négatifs. Je montrerai tout d’abord quelques exemples et puis j’expliquerai pourquoi cette technique est tellement efficace et pourquoi elle est tant appréciée des artistes.
Fig. 7-15.
Fig. 7-16.
97 Exercice supplémentaire : 7a. Entraînez-vous à voir les espaces négatifs en découpant une photographie dans une revue, ou la photocopie d’un dessin de maître, comme le nu de Boucher à la Figure 7-14. Réassemblez uniquement les pièces figurant les espaces négatifs, en les collant sur une feuille de papier noir. Comme vous le constatez, les espaces négatifs forment le personnage parce qu’ils partagent les mêmes côtés que le personnage.
Un paradoxe : dessiner quelque chose en dessinant le vide Vous remarquerez qu’aucune ligne descriptive intérieure n’est reprise dans les figures 7-16 et 7-19. La représentation semble pourtant complète car la chaise elle-même et les espaces négatifs qui l’entourent se partagent le même contour. Quand on dessine la forme des espaces négatifs, on dessine inévitablement l’objet, et, qui plus est, on le dessine facilement. Et lorsqu’on accorde autant d’importance aux espaces négatifs qu’aux formes elles-mêmes, le dessin devient également plus agréable à regarder. En effet, on résout de cette manière le problème de la composition : on réalise l’unité des espaces et des formes en accordant une importance égale à chaque « pièce du puzzle » à l’intérieur des limites du format. Pourquoi le dessin est-il plus facile lorsqu’on dessine la forme des espaces négatifs ? Je pense que le cerveau gauche, incapable de nommer ou de classer un espace négatif, cesse d’imposer ce qu’il connaît de la chaise et laisse le cerveau droit prendre le relais. Le problème, quand nous dessinons une table ou une chaise, ou tout autre objet que nous serions susceptibles de dessiner, est que nous les connaissons trop bien. Nous savons que le dessus d’une table est plat et rectangulaire (ou rond, ou ovale) ; les pieds sont tous de la même longueur; l’assise des chaises est plate et perpendiculaire au dossier ; elle est suffisamment large et longue pour qu’on y soit confortablement assis, les pieds sont tous de la même longueur, etc. Quand un élève débutant se met à dessiner une chaise ou une table, les connaissances verbales et analytiques de mode-G préalablement accumulées contredisent les informations visuelles qui parviennent au cerveau. Les tables et les chaises vues sous un angle oblique peuvent ne présenter, visuellement, aucune des caractéristiques que nous leur attribuons : les angles droits apparaissent comme des angles aigus ou obtus, les cercles ressemblent à des ovales ou se présentent comme des lignes droites, les pieds semblent être de trois ou quatre longueurs différentes, comme le montre la figure 7-16. C’est pourquoi l’élève essaie de résoudre le problème des tables et des chaises de deux manières différentes ; il utilise deux sources d’informations contradictoires et un conflit s’engage. Reprenez à présent le dessin préliminaire que vous avez fait d’une chaise. Peut- être trouvez-vous dans ce dessin la trace de vos efforts pour tenter de réconcilier ce que vous connaissiez des chaises et ce que vous en voyiez.
LE CONFLIT COGNITION – PERCEPTION Aux figures 7-17 et 7-18 les deux dessins d’élèves représentant un projecteur de diapositives sur un chariot illustrent graphiquement ce conflit et la manière de le résoudre. Dans le premier dessin, à la figure 7-17, l’élève a éprouvé de grandes difficultés pour réconcilier les
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Fig. 7-17.
Fig. 7-18. Robert Dominguez
connaissances qu’il avait acquises sur ce que les objets « étaient censés paraître » et ce qu’il en voyait réellement. Remarquez que dans ce dessin les pieds du chariot sont tous de la même longueur et que les roues sont figurées par un symbole. Lorsque l’élève s’est mis à dessiner sur le mode-D, en s’aidant d’un viseur et en ne dessinant que la forme des espaces négatifs. les résultats ont été nettement plus brillants (figure 7-18). Le passage de l’information visuelle s’est apparemment fait plus librement : le dessin est plus assuré et semble fait avec plus d’aisance. Et de fait, l’élève a réalisé ce dessin avec une grande facilité parce qu’il avait réussi à se jouer de son hémisphère gauche et à lui imposer le silence. Le fait n’est pas que les informations visuelles obtenues en regardant les espaces négatifs plutôt que les objets eux-mêmes soient moins complexes et plus faciles à dessiner. Après tout. le contour des espaces négatifs est le même que celui de la forme elle-même. Mais en observant les espaces, nous libérons le mode—D de la domination du mode-G. Autrement dit, en nous concentrant sur les informations qui ne conviennent pas au mode de fonctionnement du cerveau gauche, nous arrivons à « débrancher » le mode-G et le travail est relégué à l’hémisphère compétent pour le dessin, à savoir l’hémisphère droit. A ce moment, le conflit cesse et, grâce au mode-D, le cerveau traite avec aisance les informations spatiales et relationnelles.
PRENEZ UNE CHAISE - VOUS POUVEZ COMMENCER Vous êtes prêt, à présent, pour dessiner vous-même une chaise en utilisant la méthode des espaces négatifs. Avant de commencer : Lisez toutes les instructions spécifiques suivantes.
99 1. Choisissez la chaise que vous allez dessiner. Utilisez une chaise réelle, pas une photographie. Lors d’une conversation avec son ami André Marchand, Henri Matisse a décrit le processus qui permet de changer de mode de perception en passant d’une manière de voir à une autre : « Savez-vous que l’homme n’a qu’un oeil, qui regarde et enregistre tout, cet oeil, comme un superbe appareil photographique, fabrique de minuscules clichés très précis, tout petits : en possession de ce cliché, l’homme se dit : cette fois je connais la réalité des choses et le voilà tranquille pour un instant, puis lentement se superposant à ce cliché un autre oeil surgit, invisible, qui, lui, fabrique de toutes pièces un autre cliché. Alors, notre homme n’y voit plus clair, un combat s’engage entre le premier oeil et le deuxième oeil, la lutte est acharnée, finalement le deuxième oeil a le dessus, fait prisonnier le premier oeil, sans discussion au poteau : dominant la situation, le deuxième oeil peut continuer désormais son travail, élaborer son propre tableau selon les lois de la vision intérieure, cet oeil unique se trouve ici » (et Matisse montre le sommet de son crâne). Marchand n’a pas précisé quel côté de son cerveau Matisse avait montré. J. Flam, Matisse on Art
Fig. 7-19.
2. Elevez votre viseur (en vous référant à la figure 7-15) et regardez la chaise à travers l’ouverture en fermant un oeil ou en le couvrant. (En fermant un oeil, on aplanit l’image car on limite la vue à une image monoculaire, c’est-à-dire une image unique. La vision binoculaire — avec les deux yeux ouverts — produit une image double nous permettant de percevoir les formes en trois dimensions.) Si cela vous gêne de regarder avec un oeil fermé, ne vous préoccupez pas de ce détail. Vous y arriverez très bien avec les deux yeux ouverts. II est simplement un peu plus facile de dessiner une image plane, vue d’un seul oeil, sur la surface plane de la feuille. La plupart des artistes utilisent ce procédé, du moins à certaines occasions. 3. Cadrez la chaise en vous aidant du viseur de sorte qu’elle touche les bords de l’ouverture en deux points au moins. 4. Regardez longuement l’image toute entière comme si vous vouliez la mémoriser, pour la fixer dans votre esprit. 5. Regardez ensuite la feuille sur laquelle vous allez dessiner. Visualisez la forme positive de la chaise sur le papier exactement telle que vous l’avez perçue dans le viseur. 6, Regardez maintenant à travers le viseur. Fixez des yeux l’espace négatif qui se trouve d’un côté de la chaise. Attendez qu’il vous apparaisse comme une forme. Regardez à présent votre feuille et imaginez la forme sur le papier, en vous rappelant que les bords du viseur correspondent aux bords de votre feuille. 7. Votre tâche consiste maintenant à dessiner uniquement les espaces, l’un après l’autre. Vous pouvez dessiner tous les espaces extérieurs puis tous les espaces intérieurs, ou vice versa. Vous pouvez commencer par où vous voulez parce que toutes les formes vont s’assembler à la manière des pièces d’un puzzle. Vous n’avez aucune question à vous poser au sujet de la chaise. En fait, vous n’avez pas à penser du tout à la chaise. Et ne vous demandez pas
100 pourquoi tel côté d’un espace se dispose de telle manière. Dessinez simplement ce que vous voyez.
Fig. 7-20.
Fig. 7-21.
8. Si le côté d’un espace est oblique, demandez-vous quel angle forme ce côté par rapport au bord du viseur qui représente la verticale. Ensuite, en vous référant au bord de votre feuille comme représentant la même verticale, tracez le côté en formant l’angle tel que vous le voyez. Laissez-moi vous expliquer ce point qui est très important. Supposons qu’à travers le viseur vous voyiez que le côté d’un espace négatif forme un certain angle par rapport au bord du viseur, comme à la figure 7-20. Sur votre feuille à dessin, vous dessinerez ce côté de l’espace négatif de sorte qu’il forme le même angle par rapport au bord de votre feuille (figures 7-21 et 7-22). En d’autres mots, les bords de votre viseur et les bords de votre feuille représentent la verticale et l’horizontale telles que vous les percevez dans le monde réel.
Fig. 7-22.
9. Plus loin dans le dessin, vérifiez les horizontales de la même manière : quel angle forme ce côté par rapport à l’horizontale (c’est-à-dire le bord supérieur ou inférieur du viseur et de votre feuille à dessin) ?
101 10. Encore une fois, pendant que vous dessinez, tâchez de prendre mentalement note de la sensation que suscite ce nouvel état de conscience — la perte de toute notion du temps, le sentiment de « se fixer» sur l’image, et la merveilleuse sensation de fascination devant la beauté des perceptions. Au cours de ce processus, les espaces négatifs vous sembleront toujours plus intéressants par leur étrangeté et leur complexité. Si vous éprouvez des difficultés pour une quelconque partie du dessin, demandez-vous « Quelle est la forme (ou l’orientation, ou la longueur) de cet espace ? » et attendez de la percevoir à la manière du mode-D. De nouveau, rappelez-vous que tout ce que vous devez savoir pour faire ce dessin se trouve devant vous, à votre portée. Après avoir terminé : pour acquérir plus de dextérité dans l’utilisation des espaces négatifs, poursuivez avec les exercices 7b-f, page 112.
TRAVAUX D’ELEVES - Chaises en tous genres Les dessins réalisés par la méthode des espaces négatifs sont d’un attrait surprenant, même lorsque les formes positives sont des objets aussi terre à terre que des chaises d’école. On peut supposer que cette méthode est aussi efficace dans la mesure où elle permet d’élever à un niveau conscient l’unité entre formes positives et espaces négatifs. Une autre raison viendrait du fait que cette technique établit une répartition particulièrement intéressante de la surface entière comprise dans le format. Les dessins d’élèves ci-dessous présentent cette intéressante distribution formes/espaces. Le dessin vous apprendra à voir clairement les choses et de là, il vous apprendra à envisager lucidement les problèmes quels qu’ils soient et voir les choses dans leur juste perspective. Au cours du chapitre suivant, nous tenterons de saisir les rapports de perspective à la manière de l’artiste et cette technique vous sera utile pour résoudre autant de questions qui puissent vous venir à l’esprit.
Georgete Zuleski
Ricardo da Graça
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Ricardo da Graça
Wendy Pickerell
Wendy Pickerell
103 Exercices supplémentaires 7b. En vous aidant d’un viseur pour cadrer l’image, dessinez les espaces négatifs dune plante, de forme complexe si possible (Voir figure 7-23). 7c. En délimitant la forme à l’aide d’un viseur, dessinez les espaces négatifs d’un objet ménager ordinaire :un fouet, une planche à repasser. un ouvre-boîte (Voir figure 7-24). 7d. Dessinez les espaces négatifs d’un personnage à partir d’une photographie. Essayez de trouver un sujet dans une position dynamique compliquée : un joueur de football, une danseuse classique, un ouvrier de la construction, une personne en train de bêcher, etc. Dans ce dessin, vous combinerez deux méthodes: Placez la photo la tête en bas et dessinez les espaces négatifs, Les bords extérieurs de la photo limitent les formes et les espaces. Assurezvous d’utiliser le même format pour votre dessin — la même forme toutes proportions gardées — que la photographie (Voir figure 7-25). e. Observez la manière dont Winslow Homer a utilisé les espaces négatifs dans son dessin d’un enfant dans un fauteuil. Essayez de copier ce dessin (Voir figure 7-26). 7f. Copiez le dessin de Pierre-Paul Rubens. Etudes de Bras et de Jambes (Figure 7-27). Retournez l’original et dessinez les espaces négatifs. Replacez alors le dessin à l’endroit et complétez par les détails intérieurs des formes. Ces formes en raccourci « difficiles » se dessinent plus facilement lorsqu’on concentre son attention sur les espaces qui les entourent.
Fig. 7-23. Ed. Gonzales
Fig. 7-24, Fay Conn
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Fig. 7-25, Urban Dean Bury
Fig. 7-26. Winslow Homer (1836-1910), Child Seated in a Wicker Chair (1874). Avec l’aimable autorisation du Sterling and Francine Clark Art Institute.
Fig. 7-27. Pierre-Paul Rubens (1577-1640). Etudes de Bras et de Jambes. Avec l’aimable autorisation du Musée Boymans-Van Beuningen, Rotterdam.
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106 Coup d’oeil a la ronde : la perspective sur un mode nouveau L’une des premières étapes dans la résolution d’un problème consiste à identifier les éléments en jeu et à considérer les choses dans une certaine « perspective ». Pour ce faire, il faut être capable de percevoir les différents aspects d’un problème dans leurs rapports véritables et dans leur importance relative réelle. Pour dessiner les choses en perspective, il suffit d’employer le procédé que vous venez d’apprendre : il faut voir les choses telles qu’elles sont dans la réalité qui nous entoure. Dans les deux cas, nous devons abandonner nos préjugés, les stéréotypes accumulés et mémorisés, ainsi que notre tournure d’esprit. Nous devons surpasser nos interprétations fausses, qui se fondent souvent sur ce que nous croyons devoir trouver devant nous alors que nous n’avons peut-être jamais vraiment bien regardé ce que nous avions juste sous les yeux. Des siècles durant, les artistes ont recherché la manière de représenter le monde en trois dimensions sur la surface plane de leurs dessins ou de leurs tableaux. Les différentes civilisations ont établi diverses conventions ou systèmes de perspectives. Le terme « perspective » vient du latin prospectus qui signifie « envisager ». Le système qui nous est le plus familier, la perspective linéaire, fut perfectionné par les artistes de la Renaissance. La perspective linéaire leur permettait de reproduire les variations visuelles des lignes et des formes telles qu’elles apparaissaient dans l’espace.
Fig. 8-1. Albert Dürer, Le Dessinateur de la femme couchée (1525). Avec l’autorisation du Metropolitan Museum of Art, New York. Don de Felix M. Warburg, 1918.
Dans d’autres civilisations — les civilisations égyptienne et orientale, par exemple — les artistes avaient créé un système de perspective en escalier ou en gradin dans lequel la place occupée par l’objet depuis le bord inférieur jusqu’au bord supérieur du tableau figurait la position de cet objet dans l’espace. Dans ce système, que les enfants utilisent souvent, les formes qui figurent tout au-dessus de la page — quelle que soit leur taille — sont considérées comme les plus éloignées. Plus récemment, les artistes se sont insurgés contre les conventions rigides de la perspective et ont imaginé de nouveaux systèmes qui exploitent les qualités spatiales abstraites des couleurs, des textures, des lignes et des formes. La perspective traditionnelle de la Renaissance, quant à elle, se conforme très étroitement à la façon dont la civilisation occidentale perçoit les objets dans l’espace. D’après notre perception visuelle, les lignes parallèles convergent en certains points situés à l’infini sur une ligne d’horizon (au niveau des yeux de l’observateur) et les formes semblent décroître à mesure qu’elles s’éloignent de l’observateur. C’est pourquoi le dessin réaliste dépend largement de ces principes. L’eau-forte de Dürer (figure 8-l) illustre ce système de perception visuelle.
107 LE PROCEDE DE DÜRER Dans l’illustration de Dürer, l’artiste, maintenant la tête dans une position constante (à noter, le repère vertical qui concrétise le point de vue), regarde à travers une grille dressée devant lui. L’artiste observe son modèle d’un point de vue qui raccourcit sa perception visuelle, c’est-à-dire un point de vue à partir duquel l’axe principal du personnage qui le traverse de la tête aux pieds, coïncide avec le rayon visuel de l’artiste. De ce point de vue, les parties du personnage les plus éloignées (la tête et les épaules) paraissent plus petites qu’elles sont en réalité, et les parties les plus proches (les genoux et le bas des jambes) semblent plus grands.
Fig. 8.2. Ce que voyait Dürer, approximation.
Sous les yeux du dessinateur de Dürer, posée sur une table à dessin, se trouve une feuille de mêmes dimensions que la grille, quadrillée de manière identique. L’artiste dessine sur le papier ce qu’il perçoit à travers la grille, en ajustant minutieusement sur son dessin les angles, les courbes et la longueur des lignes par rapport aux verticales et aux horizontales de la grille. S’il dessine exactement ce qu’il voit, il reproduira sur le papier une vision en raccourci du modèle. Les proportions, les formes et les dimensions seront en contradiction avec ce que l’artiste connaît des proportions, formes et dimensions réelles du corps humain ; mais seule la reproduction des proportions fausses qu’il perçoit lui permettra de réaliser un dessin fidèle à la réalité. Que voyait Dürer à travers sa grille ? J’ai schématisé une vue approximative (figure 8-2). Si vous observez l’image dans le détail, vous remarquerez que la plupart des formes ne correspondent pas à ce que nous connaissons de la configuration anatomique de l’être humain. Mais en considérant l’ensemble, nous interprétons les traits dans leur signification tridimensionnelle, comme un personnage vu dans l’espace à partir d’un point de vue donné. Nous ne remarquons pas de déformation parce que nous ajustons mentalement l’image pour qu’elle corresponde à ce que nous connaissons. Le problème que pose l’utilisation du raccourci en dessin vient du fait que la rectification mentale de nos perceptions visuelles interfère avec le dessin et que nous avons tendance à dessiner les choses telles que nous les connaissons et non telles que nous les voyons. Le procédé de Dürer était précisément conçu pour remédier à cette difficulté: en utilisant une grille et un point de vue fixe, il s’obligeait à dessiner la forme exactement telle qu’il la voyait, avec ses « fausses » proportions. Le mérite de la perspective de la Renaissance fut donc de codifier et de systématiser une méthode pour surpasser la connaissance qu’a l’artiste des surfaces et des formes, et de lui donner le moyen de dessiner les formes telles qu’elles apparaissent à l’oeil — y compris les déformations optiques dues à la position de la forme dans l’espace par rapport à l’oeil de l’observateur. Cette méthode a donné d’excellents résultats et a permis de résoudre le problème que se posaient les artistes soucieux de créer une illusion de profondeur sur une surface plane —
108 autrement dit, de recréer le monde visible. Le simple procédé de Dürer évolua vers un système mathématique compliqué qui permettait aux artistes de la Renaissance de vaincre la résistance que leur esprit opposait à la déformation optique des choses et qui les empêchait de dessiner avec réalisme. Mais ce système ne va pas sans poser de problèmes. Pour être suivie à la lettre, la perspective linéaire exige un point de vue fixe, or les artistes ne dessinent pas avec la tête maintenue dans une position rigide. De plus, une application rigoureuse des règles de la perspective peut donner lieu à des dessins rigides et austères. Toutefois, le problème le plus sérieux de la perspective linéaire vient de son étroite relation avec le cerveau gauche. Ce système relève du mode de fonctionnement de l’hémisphère gauche : analyse, comptage, intelligence discursive, logique propositionnelle, calcul mental. Il se fonde sur des concepts tels que la ligne de fuite, la ligne d’horizon (voir figure 9-3), la perspective de cercles et d’ellipses, et d’autres encore. Ce système détaillé et compliqué s’oppose radicalement au style du mode-D et à son caractère extatique « mi-dérisoire, misérieux ». Heureusement, une fois la perspective comprise dans ses termes généraux, on peut l’abandonner. En effet, si vous arrivez à voir de la manière prescrite dans ce cours, alors vous n’aurez plus besoin du tout de la perspective. LA VISEE : EVALUATION DES ANGLES PAR RAPPORT AUX BORDS DE LA FEUILLE De nos jours, les artistes n’utilisent plus guère le système de la perspective, même pour le dessin réaliste. La déformation due à la position des objets dans l’espace est perçue visuellement et la plupart des artistes dessinent « à vue » — employant une méthode plutôt qu’un système. La méthode qui consiste à dessiner « à vue » s’appelle visée. La visée est un procédé par lequel on compare les rapports d’angles, de points, de formes et d’espaces. La visée est une perspective visuelle, l’information optique étant directement perçue par l’oeil et dessinée par l’artiste sans rectification. La visée n’exige ni équerre, ni T, ni règle, ni rapporteur. Tout ce dont vous avez besoin est un crayon et du papier. La seule condition supplémentaire est d’imposer le silence au mode-G qui restera hors du jeu et qui ne protestera pas lorsque vous dessinerez les choses telles qu’elles vous apparaissent et non d’après ce que vous en savez.
Fig. 8-3. Illustration de la perspective classique. Notez que les lignes verticales restent verticales ; les côtés horizontaux convergent vers un point de fuite (ou plusieurs) situé sur la ligne d’horizon (qui se trouve toujours au niveau des yeux de l’artiste). Il s’agit d’une perspective unique dans un espace réduit. Les perspectives à deux ou trois points de fuite sont des systèmes complexes dont les points de fuite multiples débordent souvent largement du cadre de la feuille et qui exigent l’utilisation d’une grande table à dessin, d’équerres en T, de lattes. etc. La visée sur le mode-D est beaucoup plus commode et suffisamment précise pour la plupart des dessins. D’après le Professeur d’Art Graham Collier, dans les premiers temps de sa conception et de son évolution, la perspective de la Renaissance était utilisée de manière créative et imaginative pour rendre au tableau ce qui devait être une terrifiante impression de profondeur. « Cependant, aussi efficace soit-elle », ajoute Collier, « la perspective peut porter un coup fatal à la vision naturelle de l’artiste une fois qu’elle est acceptée comme un système — comme une formule mécanique ». Graham Collier, Form Space and Vision
109 Au chapitre 5, j’ai expliqué que la plupart des élèves débutants avaient tendance à négliger les bords de leur feuille comme s’ils étaient inexistants ou presque. Pourtant, les bords de la feuille sont un élément-clé de la perspective et ils vous permettront de reproduire sur la surface plane du dessin les formes tridimensionnelles que vous avez sous les yeux. Les bords de la feuille représentent la verticale et l’horizontale. Comme vous l’avez vu au chapitre 5, les jeunes enfants comprennent intuitivement ce principe. Dans les dessins d’enfants, le sol c’est le bord inférieur de la feuille et le ciel c’est le bord supérieur. Si quelque chose s’élève dans l’air, comme une échelle ou un building, par exemple, l’enfant le dessine parallèlement aux bords latéraux de sa feuille. L’artiste adulte utilise les bords de la feuille d’une manière différente ; il ne les considère pas en tant que bords supérieur, inférieur ou latéraux, mais plutôt comme les délimitations de l’image et comme les repères de verticalité et d’horizontalité, repères par rapport auxquels il est possible d’évaluer les angles de perspective et l’orientation des lignes. La technique consiste à employer le mode-D pour évaluer les angles ou l’orientation des lignes par rapport à la verticale et à l’horizontale et à dessiner ensuite les mêmes angles et des lignes pareillement orientées par rapport aux bords de la feuille, qui représentent la verticale et l’horizontale. Il vous faut à présent pratiquer l’exercice suivant pendant un moment. Tenez votre crayon parfaitement à la verticale. Fermez un oeil et évaluez l’orientation de l’un des côtés d’un objet, une chaise, par exemple,par rapport à la Fig. 8-4. verticale de votre crayon (voir figure 8-4). Dessinez ensuite ce côté sur une feuille en vous référant au bord vertical de cette feuille (figure 8-5). « Pour paraphraser la remarque Maintenant, tenez votre crayon bien horid’Eugène Delacroix sur l’étude de zontalement sur un plan parallèle à vos yeux. l’anatomie, il faudrait apprendre la (Tendez votre crayon horizontalement des deux perspective — et l’oublier ensuite. Ce mains afin de le maintenir parallèle à vos yeux). qu’il en reste — une sensibilité à la Fermez un oeil et observez une autre partie de la perspective — facilite la perception et varie selon les individus et leurs besoins chaise par rapport à l’horizontale de votre crayon réactifs ». (voir figure 8-6). Cette autre partie peut être horizontale, comme dans notre illustration, ou, selon Nathan Goldstein, The Art of Responsive votre point de vue, elle peut former un angle par Drawing rapport à l’horizontale (voir figure 8-7). Quoi qu’il en soit, vous êtes capable maintenant de dessiner le même angle par rapport au bord supérieur ou inférieur de votre feuille. Afin de bien vous pénétrer de ce principe, faites les exercices 8a et b.
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Fig. 8-5.
Fig. 8-6.
Fig. 8-7. La visée dans le dessin de personnage Cette technique qui consiste à utiliser les bords de la feuille comme repères de verticalité et d’horizontalité pour mesurer les angles est tout aussi fondamentale pour dessiner les personnages que pour dessiner les objets. Les esquisses faites par des artistes portent souvent la trace des lignes de visée utilisées, comme dans le dessin d’Edgar Degas, Danseuse ajustant son chausson (figure 8-8). Les détails que Degas visait étaient probablement la position de l’orteil gauche par rapport à l’oreille et l’angle du bras par rapport à la verticale. Exercices supplémentaires 8a. Pendant une conversation, notez l’angle d’inclinaison de la tête de votre interlocuteur par rapport à la verticale. 8b. Copiez la photographie d’un intérieur ou d’un paysage avec une rue et des maisons. Vérifiez les angles par rapport aux bords de la photo. Reproduisez les mêmes angles sur votre feuille.
111 UNE VERSION MODERNE DU PROCEDE DE DÜRER Vous expérimenterez ensuite la technique de la visée en utilisant une version moderne de l’expérience de Dürer. 1. Prenez une feuille de plastique transparent comme celles qu’on utilise pour emballer les aliments. Etalez-la sur une fenêtre qui donne sur la rue. A l’aide d’un feutre, dessinez une grille sur le plastique, en traçant des lignes tous les cinq centimètres. 2. En vous tenant à un bras de distance de la fenêtre et en fermant un oeil, regardez la scène d’un point de vue constant—ne bougez pas la tête. Maintenant, avec le feutre, tracez le contour de la rue, des maisons, des voitures, des arbres — la vue complète — sur la feuille de plastique.
4. Replacez le dessin sur la même fenêtre. Vous allez à présent viser les angles en vous aidant de votre crayon comme instrument de visée et votre dessin vous servira à vérifier l’exactitude de votre visée. 5. Tenez-vous de nouveau à un bras de distance de la fenêtre, à l’endroit où vous vous trouviez pour faire le dessin sur la grille. A présent, tenez votre crayon parfaitement à la verticale et parallèlement à la fenêtre, et alignez-le sur l’arête verticale d’une maison. Vous constaterez que cette arête est bien verticale. Vérifiez-le sur votre dessin : l’arête verticale doit être parallèle au bord de la feuille. En fait, toutes les lignes qui sont perpendiculaires à la surface de la terre restent parfaitement verticales. 6. Visez à présent l’une des formes obliques que vous avez dessinées — par exemple, le côté de la rue ou le dessus d’une maison. Tenant votre crayon à l’horizontale, faites-le toucher la forme en un point quelconque. 7. Observez l’angle entre le crayon et le côté de la forme ; notez l’inclinaison de ce côté par rapport à l’horizontale. Regardez à présent le même angle sur votre dessin et voyez comment vous l’avez reproduit en utilisant la méthode de Dürer. Comparez ce que vous observez avec ce que vous avez dessiné. Le dessin devrait coïncider avec ce que vous observez. 8. Vérifiez à présent les autres angles et orientations de lignes en regardant chaque fois votre dessin pour vérifier la manière dont vous avez reproduit ce que vous observiez. Pour résumer, cette technique est celle qu’utilisent la plupart des artistes pour le dessin de perspective. Sachant que les lignes verticales restent toujours verticales (à l’exception de certains cas rares et extrêmes comme la vision de l’oiseau ou de la fourmi) et que les bords horizontaux des formes convergent en un point de fuite situé sur une ligne d’horizon (au niveau de l’oeil de l’observateur), il suffit à l’artiste de vérifier (par la visée) la valeur des angles par rapport aux constantes, soit la verticale ou l’horizontale, et de dessiner ces angles avec les mêmes rapports sur la feuille de papier. Il est possible de reproduire les mêmes angles puisque les bords de la feuille représentent la verticale et l’horizontale. Il suffit simplement d’utiliser son crayon en prenant garde toutefois de le tenir à bout de bras, parfaitement vertical ou horizontal, afin de déterminer les angles avec précision. Tout angle peut être vérifié et dessiné correctement sur le papier sans qu’il soit nécessaire de faire appel à
112 des systèmes de perspective compliqués. II suffit d’avoir une vision relationnelle (modeD) des choses qui sont sous vos yeux. UN AUTRE GENRE DE VISEE : L’EVALUATION RELATIVE DES LONGUEURS ET DES LARGEURS La visée peut servir à déterminer les rapports de longueur et de largeur des formes. Pour dessiner une table vue sous un angle oblique, par exemple, l’artiste détermine d’abord les angles que forment les bords avec l’horizontale et la verticale, comme la figure 8-9. Il faut ensuite déterminer la largeur de la table (de ce point de vue précis) par rapport à sa longueur figure 8-9. Il faut ensuite déterminer la largeur de la table (de ce point de vue précis) par rapport à sa longueur. Cette largeur relative varie selon le point de vue, en fonction du niveau auquel se trouvent les yeux de l’observateur (voir à la figure 810 l’exemple d’une table observée d’un point de vue multiple). La technique pour viser les rapports de dimensions est la suivante. 1. En tenant votre crayon à bout de bras sur un plan parallèle à vos yeux, et le coude fixe pour garder une échelle constante, mesurez la largeur de la table : placez la gomme du crayon de sorte qu’elle coïncide avec un coin de la table et placez votre pouce à l’autre coin (figure 8-11).
Fig. 8-8. Edgar Degas (1834-1917), Danseuse ajustant son chausson (1873). Avec l’aimable autorisation du Metropolitan Museum of Art, legs de Mme H.O. Havemeyer, 1929. Collection H.O. Havemeyer.
Fig. 8-9. Visée d’un angle par rapport à un élément horizontal.
Fig. 8-10.
2. En gardant toujours le coude fixe et le crayon parallèle à vos yeux, reportez cette mesure sur le long côté de la table (figure 8-12). Quelle est la longueur de la table par rapport à sa largeur ? Disons une largeur un quart.
113 3. Sur les côtés de l’angle que vous avez dessiné, faites une marque pour la largeur (il s’agit d’une dimension arbitraire — c’est vous qui décidez de la largeur de la table que vous dessinez). La longueur, par contre, est proportionnelle à la largeur. Faites une marque sur le côté de l’angle et dessinez le dessus de la table. 4. Visez ensuite les pieds de la table en tenant votre crayon à la verticale (figure 8-13), en vérifiant l’orientation de l’un des pieds par rapport à la verticale. Les pieds sont-ils parfaitement verticaux, ou bien sont-ils obliques ? Dessinez les pieds les plus proches de vous. Vous pouvez de nouveau viser la longueur des pieds par rapport à la largeur de la table. En tenant votre crayon à l’horizontale de sorte qu’il coïncide avec l’extrémité du pied le plus proche de vous, vous pouvez placer l’extrémité des autres pieds en visant de nouveau les angles (figure 8-14).
Fig. 8-11.
Fig. 8-13.
Fig. 8-12.
Fig. 8-14.
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Fig. 8-15. Entraînez-vous à viser les rapports de dimensions aux moments les plus incongrus de la journée. Le principe de cette technique est de faire taire la connaissance verbale, de mode-G, que vous avez des rapports réels entre les dimensions. En vous plaçant à certains points de vue par exemple, vous pouvez obtenir, pour une table, des rapports longueur/largeur qui vous semblent absolument anormaux : votre visée peut donner un résultat de dix pour un (figure 815). Vos connaissances verbales vous informent que la table ne peut pas être aussi longue et aussi étroite. Mais le rapport de dix pour un est un rapport visuel, et c’est ainsi que vous devez le dessiner. Vous devez croire ce que vous voyez et dessiner le résultat de vos perceptions sans les modifier ou les ajuster en fonction de vos connaissances verbales. Alors. paradoxalement. la table que vous avez dessinée paraîtra avoir la même largeur que celle que vous lui connaissez.
LES TECHNIQUES DE LA PERSPECTIVE SUR LE MODE-D : LES COINS Dans cet exercice vous utiliserez le savoir-faire fraîchement acquis dans l’évaluation relative des angles pour dessiner le coin d’une pièce d’habitation, d’un bureau, ou d’une classe d’école.
Fig. 8-16.
Fig. 8-17
Avant de commencer : Lisez toutes les instructions et regardez les travaux d’élèves avant de commencer votre dessin de perspective. Assurez-vous d’avoir amplement le temps, environ une demi-heure, pour terminer le dessin. Etant donné que ce travail de perception relationnelle
115 convient bien à l’hémisphère droit, vous vous sentirez de nouveau glisser vers un état de conscience particulier. La complexité de vos perceptions commenceront à vous intéresser et vous prendrez plaisir à voir s’assembler les divers éléments. 1. Placez-vous de manière à faire face au coin d’une pièce. 2. Utilisez votre viseur pour cadrer le coin, en le déplaçant vers l’avant ou vers l’arrière pour inclure les détails que vous souhaitez voir figurer sur votre dessin. 3. Visualisez sur votre feuille l’image que vous percevez comme si elle y était déjà dessinée. Rappelez-vous que les bords de votre feuille représentent les constantes — la verticale et l’horizontale. 4. Visez tout d’abord le coin supérieur de la pièce : en tenant votre crayon du bout des doigts et des deux mains, étendez les bras au maximum. Servez-vous de vos deux mains comme à la figure 8-16 pour vous assurer que le crayon reste sur un plan parallèle au plan de vos yeux. L’erreur de visée la plus fréquente que commettent les élèves est de tendre leur crayon parallèlement à la ligne qu’ils visent, sortant ainsi du plan parallèle à leurs yeux. Si cela peut vous aider, imaginez un panneau vitré au bout de vos bras, pareil à celui sur lequel vous avez dessiné la rue et les maisons, et gardez votre crayon parallèle à ce plan. Le crayon étant maintenu parfaitement à l’horizontale, déplacez-le vers le haut ou vers le bas jusqu’à ce qu’il semble toucher le coin supérieur de la pièce, là où le plafond rencontre les murs, comme à la figure 8-16. Vous pouvez à présent déterminer l’angle que forment les arêtes supérieures des deux murs avec l’horizontale. 5. Dessinez ces deux angles et l’arête verticale du coin comme à la figure 8-17. (L’arête que forment les deux murs est évidemment verticale puisqu’il s’agit d’une ligne perpendiculaire à la surface de la terre et que ces lignes restent toujours parfaitement verticales.) Seules les lignes horizontales — c’est-à-dire les lignes parallèles à la surface de la terre — changent d’orientation dans une vue en perspective. 6. Procédant du haut vers le bas, vérifiez, par rapport à la verticale et à l’horizontale, chaque angle de chaque moulure, de chaque tableau fixé au mur, de chaque porte, etc. 7. En utilisant la visée pour évaluer les proportions et pour évaluer les angles, dessinez la forme des étagères, des commodes, des sièges, ou de tout autre meuble se trouvant dans ce coin de pièce. Utilisez les espaces négatifs aussi souvent que possible, passant toujours d’une forme ou d’un espace à celle ou à celui qui lui est adjacent. Tâchez de ne pas penser avec des mots ou avec des noms d’objets. En fait essayez de ne pas penser du tout, afin de réussir une conversion cognitive radicale vers le mode-D. A présent, commencez votre dessin. Après avoir terminé : Vous êtes peut-être surpris de l’aisance avec laquelle vous avez réalisé votre dessin ; avant de commencer leur dessin d’un coin de pièce, mes élèves disent souvent avoir le sentiment que leurs perceptions sont « trop compliquées » ou « trop difficiles ». Mais le dessin sur le mode-D semble toujours facile et agréable. et les travaux d’élèves sont le reflet de l’état de conscience particulier qu’éveille le mode-D. Si votre dessin présente la trace d’un conflit avec le mode-G, essayez d’en faire un second en imposant un silence plus strict aux bavardages du mode-G. Cette technique de la visée — le dessin à vue, ou l’eyeballing comme l’appellent certains artistes anglo-saxons — est merveilleusement utile. Une fois familiarisé avec cette méthode. vous progresserez rapidement en dessin. Ce procédé est essentiel pour la réalisation des
116 natures mortes (pour déterminer les angles, la position et les dimensions relatives des objets) autant que pour le dessin de paysages et de personnages.
TRAVAUX D’ELEVES Toutes sortes de coins Les coins que les élèves ont choisi de dessiner sont d’une complexité variable : certains ne comprennent que quelques objets, d’autres regorgent de formes et de détails. N’hésitez pas à choisir un coin de pièce compliqué — les cuisines sont d’un intérêt particulier comme le montrent plusieurs dessins. Vous remarquerez que plusieurs élèves ont utilisé les espaces négatifs autant que la visée pour la perspective. Ils ont commencé par dessiner le coin puis sont passés d’une surface à la surface adjacente, d’une ligne à la ligne adjacente, assemblant les formes comme les pièces d’un puzzle.
JoAnne Hawkins
Ethel Branham
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Sheila Kalivas
Charlotte Doctor
Charlotte Doctor
118 REVISION DES TECHNIQUES DE LA VISEE 1. Les lignes verticales et horizontales imaginaires sont les constantes auxquelles vous vous référez pour toutes vos évaluations en dessin. Et souvenez-vous que les bords de votre feuille représentent la verticale et l’horizontale telles qu’elles se présentent autour de vous dans le monde visible. 2. La manière la plus simple d’évaluer l’inclinaison exacte d’une ligne est d’élever son crayon soit à la verticale soit à l’horizontale (en choisissant la direction la plus proche de celle de la ligne). Tâchez de garder votre crayon parallèle au plan de vos yeux. La manière la plus sûre est de tendre le crayon avec les deux mains, à bout de bras. Dessinez ensuite sur votre feuille le même angle que celui que vous avez observé. 3. Lorsque vous visez des rapports de longueurs et de largeurs, rappelez-vous que vous mesurez des dimensions proportionnelles qui ne s’expriment jamais en centimètres ou en mètres — ce genre d’opération relève de l’hémisphère gauche. Pour mesurer sur le mode-D, choisissez un élément quelconque de l’objet comme unité de base. Dans le dessin d’un personnage, cette unité peut être la tête. Tous les autres éléments de la forme sont mesurés proportionnellement, ou par rapport, à cette unité. La longueur d’un arrière-bras peut par exemple valoir une longueur de tête et demie. Sur votre feuille, vous dessinez alors la tête de la grandeur que vous voulez — vous avez le choix. Mais tous les autres éléments doivent ensuite être reproduits proportionnellement à la taille de la tète. De cette manière, votre dessin sera « bien proportionné », ce qui veut dire que vous aurez respecté les dimensions relatives de tous les éléments, l’un par rapport à l’autre, en vous référant toujours à une unité de base. Revenons un instant à l’expérience de Dürer. Le dessin de perspective pose généralement le problème que Dürer a précisément réussi à résoudre : le problème du raccourci. Un exemple classique de raccourci est le poster de la première guerre mondiale Uncle Sam Wants You avec le bras levé et le doigt qui vous désigne impérieusement. Afin de bien comprendre ce qu’est la perspective, faites les exercices 8c, d et e avant de poursuivre. Le monde visible regorge d’exemples de raccourcis ; des gens, des rues, des arbres, des fleurs. Mais les élèves débutants évitent parfois ces sujets « difficiles » et en recherchent d’autres plus « faciles ». La maîtrise que vous possédez maintenant rend inutile cette restriction. Comme je l’ai dit déjà dans d’autres chapitres, le dessin se résume à une seule opération : voir clairement ce que vous avez sous les yeux. La technique de la visée porte bien son nom : vous visez l’objet pour le voir tel qu’il est, en faisant appel à tous les procédés dont est capable le mode-D et en usant de toutes vos facultés visuelles.
Exercices supplémentaires Avant de commencer : Entraînez-vous à percevoir les formes en raccourci en étendant les doigts d’une main devant vous. Centrez votre regard sur l’un des ongles et attendez qu’il vous apparaisse comme une forme (fermez un oeil pour obtenir une image plane). 8e. Dessinez l’ongle, ensuite le doigt. Dessinez alors les doigts adjacents, le pouce, la main. Utilisez les espaces négatifs et visez les angles des diverses parties de votre main par rapport à la verticale et à l’horizontale. (Voir à la figure 8-18 l’exemple d’un dessin d’élève).
119 8d. Placez trois objets de même taille sur une table, par exemple trois pommes. Placez-en une près du bord de la table le plus proche, une autre au milieu, et la troisième au bord le plus éloigné. Visez les rapports de dimensions et dessinez ensuite les trois objets (Voir l’exemple à la figure 8-19). 8e. A la figure 8-20 se trouve un dessin de Charles White qui illustre le principe du raccourci. Etudiez ce dessin. Copiez-le en le retournant si c’est nécessaire. Chaque fois que vous éprouvez le sentiment qu’en dessinant ce que vous voyez vous accomplissez le prodige de créer une illusion d’espace et de volume sur la surface plane de votre feuille, vous assimilerez plus sûrement cette méthode qui deviendra votre manière naturelle de voir — la manière de voir de l’artiste.
Fig. 8-18.
Fig. 8-19.
Fig. 8-20. Charles White,Preacher (1952). Avec l’aimable Autorisation du Whitney Museum.
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Répétition générale : la place des proportions
121 Pour voir, pour penser, pour apprendre ou pour résoudre un problème, il est primordial d’acquérir une perception relativiste de la réalité — perception des relations entre parties et perception des relations des parties au tout. En dessin, ces relations s’appellent proportions. La perception des rapports de proportions, et en particulier des relations spatiales est, chez l’homme, une fonction spécifique de l’hémisphère droit. Les personnes qui, dans le cadre de leur profession, doivent procéder à des évaluations de grandeur précises — les menuisiers, les dentistes, les tailleurs, les tapissiers, les chirurgiens — acquièrent une grande précision dans la perception des proportions. Les penseurs et les créateurs dans tous les domaines jouissent d’une acuité particulière dans la perception des relations de « partie au tout » ; ces personnes sont capables de voir les arbres et la forêt. Tout dessin pose des problèmes de proportions, que le sujet soit une nature morte, un paysage, un personnage ou un portrait, et que le style soit réaliste, abstrait ou parfaitement non objectif (c’est-à-dire un dessin qui ne présente aucune forme identifiable du monde extérieur). Le dessin réaliste, en particulier, repose largement sur le respect des proportions ; c’est pourquoi le dessin réaliste est une manière efficace d’entraîner l’oeil (en donnant accès au cerveau droit) et permet de voir les choses telles qu’elles sont, dans leurs proportions relatives.
ILS NE VOIENT QUE CE QU’ILS CROIENT… Les proportions posent souvent des problèmes aux débutants : certains éléments sont dessinés trop grands ou trop petits par rapport aux autres. Ces erreurs semblent venir d’une vision hiérarchique des différents éléments d’une forme. Les éléments qui sont importants (c’est-à-dire les éléments riches en informations), ou les éléments dont nous décidons qu’ils sont plus grands, ou les éléments dont nous pensons qu’ils devraient être plus grands, ces éléments, nous les voyons plus grands qu’ils sont en réalité. Inversement, les éléments qui ne sont pas importants ou dont nous décidons qu’ils sont plus petits, ou dont nous pensons qu’ils devraient être plus petits, nous les voyons plus petits qu’ils sont en réalité.
Fig. 9-1.
J’aimerais vous donner quelques exemples de ces erreurs de proportions. La figure 9-1 montre un paysage schématique avec quatre arbres. L’arbre à l’extrême droite du dessin semble être le plus grand des quatre. Pourtant cet arbre est exactement de la même dimension que celui qui se trouve à l’extrême gauche du schéma. Pour vous en convaincre, mesurez donc la hauteur de ces deux arbres avec votre crayon. Même après que vous ayiez pris les mesures et que vous vous soyiez assuré que les deux arbres sont de même taille, celui de droite continuera probablement de vous paraître plus grand. Cette erreur dans la perception des dimensions relatives des objets vient probablement de notre ancienne connaissance et expérience des effets de la distance sur la taille apparente des formes : dans le cas de deux objets de mêmes dimensions, l’un étant plus éloigné que l’autre, l’objet le plus distant paraîtra le plus petit. Ce principe nous semble logique et nous ne le contestons pas. Mais revenons à notre dessin : même après avoir mesuré les deux arbres, et après avoir acquis la preuve irréfutable qu’ils sont de mêmes dimensions, nous continuons, à tort, de voir l’arbre de droite plus grand que celui de gauche. C’est de l’excès de zèle ! Et
122 c’est précisément ce genre d’excès — le « placage » de concepts verbaux mémorisés sur les perceptions visuelles— qui pose des problèmes de proportions aux élèves débutants. D’un autre côté, si vous retournez le livre et si vous regardez le paysage à l’envers, dans une position que rejette le cerveau gauche, vous réactiverez votre mode-D et vous pourrez plus facilement constater que les deux arbres sont de mêmes dimensions. Les mêmes informations visuelles suscitent des réactions différentes. Le cerveau droit, apparemment moins influencé par le principe de la diminution des dimensions en fonction de l’éloignement, perçoit correctement les proportions. … et ne croient pas ce qu’ils voient Un second exemple : tenez-vous face à un miroir, à un bras de distance environ. A votre avis, quelle est la hauteur de l’image de votre tête dans le miroir ? La même que celle de votre tète ? Prenez un feutre ou un crayon, tendez le bras, et faites deux marques sur le miroir—l’une au sommet de l’image réfléchie (le contour extérieur de votre tête) et l’autre à l’extrémité de votre menton (figure 9-2). Combien de centimètres mesure l’image ? Douze centimètres environ, soit la moitié de la hauteur réelle de votre tête. Pourtant, lorsque vous effacez les marques et que vous regardez de nouveau votre image, il vous semble qu’elle doit être grandeur nature. Une fois encore. vous voyez ce que vous croyez et vous ne croyez pas ce que vous voyez.
Fig. 9-2.
UN DESSIN PLUS FIDELE A LA REALITE Nous allons essayer de convaincre le cerveau gauche de ses erreurs de perceptions dans le cas précis des proportions de la tête. Pour y arriver, nous laisserons le cerveau gauche rentrer en jeu un instant et nous utiliserons ses facultés analytiques pour lui permettre de corriger ses propres perceptions. Nous essayerons de prouver de manière logique que des proportions données sont ce qu’elles sont. Avant de commencer, cherchons dans des journaux, des revues, etc. des photographies de têtes — des photographies ordinaires de gens ordinaires. Cinq ou six photos suffiront. Si vous possédez quelques livres comprenant des dessins d’artistes connus, ils pourront vous êtres utiles. Cherchez des dessins de tètes — vues de face, de profil, de trois quarts. Ou bien servezvous de la photo de George Orwell à la figure 9-3. Nous utiliserons ces différentes images lorsque nous aurons terminé le dessin suivant. Les exercices de perception des proportions — et certains exercices de dessin dans les chapitres suivants — auront un sujet commun, la tête, mais les méthodes de perception des rapports de proportions peuvent s’appliquer à tous les sujets de dessin. Les exercices de proportions seront principalement consacrés à deux types de rapports critiques qui n’ont jamais cessé de poser des difficultés aux élèves débutants : l’emplacement dit niveau de l’oeil par rapport à la hauteur totale de la tête, et l’emplacement de l’oreille dans une tête vue de profil ou de trois quarts. Nous examinerons également d’autres proportions de la tête.
123
Le dessin face à face Comme je l’ai dit au chapitre 1, les visages humains ont toujours fasciné les artistes. Saisir une ressemblance, dépeindre une apparence extérieure de sorte que la personne derrière le masque soit livrée au regard, tel est l’un des objectifs les plus recherchés par de nombreux artistes. Comme tout dessin d’un sujet minutieusement observé, le portrait ne révèle pas tant l’apparence et la personnalité du modèle que l’âme de l’artiste lui-même. Paradoxalement, plus l'artiste voit clairement son modèle, et plus nous le voyons clairement lui-même à travers les apparences. Dès lors, puisque c’est vous que nous recherchons à travers les images que vous dessinez, les exercices suivants auront pour sujet le visage humain. Plus vous verrez clairement, et mieux vous dessinerez et vous exprimerez pour vous- même et pour les autres.
Fig. 9-3. Feu George Orwell, le célèbre écrivain, mort en janvier 1950. Avec l’aimable autorisation de la B.B.C.
L’acuité de la perception étant une condition essentielle pour le réalisme du portrait, le visage est un sujet utile qui permet aux débutants de s’exercer à voir et à dessiner. L’effet en retour sur la correction des perceptions est immédiat et garanti parce que nous sommes tous capables de voir si le dessin d’une tête est fait dans des proportions correctes ou non. Et si le modèle est une personne connue, nous pouvons juger avec plus d’exactitude encore de la précision des perceptions. En outre, le dessin d’un visage répond spécifiquement au but que nous nous sommes assigné, à savoir l’accès aux fonctions de l’hémisphère droit. Les personnes dont l’hémisphère droit a été endommagé à la suite d’un accident ou d’un traumatisme éprouvent souvent des difficultés à reconnaître leurs amis et même à reconnaître leur propre visage dans un miroir. Les personnes dont l’hémisphère gauche a été atteint ne connaissent pas ces problèmes. La plupart des débutants considèrent que le portrait est le type de dessin le plus difficile. Il n’en est rien, vraiment. Les informations visuelles se trouvent là, toutes prêtes et disponibles. Le problème est de les voir. Pour reprendre le principe de base de cet ouvrage, le dessin se résume à une seule et même opération qui consiste à voir clairement les choses et à dessiner ce qu’on perçoit. Un sujet n’est ni plus facile ni plus difficile qu’un autre. Toutefois, certaines choses semblent plus compliquées que d’autres, probablement parce que la symbolique qui
124 imprègne notre esprit et qui interfère avec nos perceptions spontanées, s’impose avec plus de vigueur pour certains sujets. La tête est évidemment un sujet pour lequel la plupart des gens conservent une symbolique vigoureuse et persistante. Comme nous l’avons expliqué au chapitre 5, notre symbolique personnelle particulière, développée et mémorisée pendant notre enfance, fait preuve d’une stabilité et d’une résistance au changement remarquables. En réalité, il semble que ces symboles empêchent l’individu de voir et pour cette raison, rares sont ceux qui peuvent dessiner un visage réaliste et plus rares encore ceux qui peuvent dessiner un portrait ressemblant. En résumé donc, le dessin de portrait répond particulièrement bien à nos objectifs pour les raisons suivantes : il fera tout d’abord appel à l’hémisphère droit qui est spécialisé dans l’identification des visages, et par conséquent dans l’établissement précis des distinctions nécessaires pour obtenir un portrait ressemblant. Ensuite, le portrait vous apprendra à percevoir plus nettement les rapports de proportions, étant donné que les proportions sont l’élément essentiel de ce type de dessin. De plus, il s’agit d’un excellent exercice pour surpasser la symbolique qui s’est ancrée en vous. Enfin, l’habileté avec laquelle vous exécuterez des portraits d’une ressemblance crédible démontrera de manière convaincante à votre hémisphère gauche, si prompt à la critique, que vous avez — oserons-nous le dire ? — un don pour le dessin. Et, comme pour n’importe quel dessin, vous vous apercevrez que le portrait n’est pas chose difficile maintenant que vous êtes capable de voir à la manière de l’artiste. Au chapitre 10, vous apprendrez d’abord à dessiner le profil d’un modèle, ensuite son portrait de trois quarts, et enfin son visage vu de face. Pour l’instant cependant, puisque vous avez appris à effectuer la conversion vers le mode-D, et que vous exploitez avec aisance, je l’espère, cette technique fraîchement acquise qui permet d’accéder au mode de fonctionnement de l’hémisphère droit, nous allons faire appel à votre hémisphère gauche afin qu’il nous aide un instant dans l’analyse des proportions. LE CERVEAU GAUCHE RENTRE EN JEU – UN INSTANT Comme vous l’avez appris grâce aux dessins inversés et aux dessins des espaces négatifs, il est possible d’évaluer n’importe quelles proportions en établissant simplement des rapports de dimensions. Mais il m’a semblé que les étudiants progressent plus rapidement et que leurs perceptions s’effectuent plus aisément lorsqu’on oblige le cerveau gauche à constater et à admettre certains faits (comme la taille des deux arbres dans le paysage schématique et la hauteur du visage dans le miroir) dont il a une perception incorrecte. Pour convaincre ce logicien, il faut donc le placer dans une impasse logique : il faut lui fournir des preuves indiscutables avant qu’il admette avoir éventuellement tort.
Fig. 9-4. Axe central.
125
LA MANIERE DE TRACER UN BLANC ET DE DESSINER MIEUX QUE JAMAIS
Fig. 9-5.
Fig. 9-6.
1 Dessinez un « blanc », c’est-à-dire une forme ovale qu’utilisent les artistes pour représenter schématiquement le crâne humain. Cette forme est celle que montre la figure 9-4. Tracez une ligne médiane divisant le blanc verticalement. Cette ligne s’appelle axe central. 2. En utilisant votre crayon, mesurez sur votre propre tête la distance entre le coin intérieur de votre oeil et l’extrémité de votre menton. Pour ce faire, placez le bout de la gomme de votre crayon (pour protéger votre oeil) au coin intérieur de l’oeil et marquez avec votre pouce l’endroit où votre menton touche le crayon, comme à la figure 9-5. A présent, en conservant cette mesure, levez votre crayon comme à la figure 9-6 et comparez cette première distance (du niveau de l’oeil au menton) à la distance qui sépare le niveau de votre oeil et le sommet de votre tête (tendez la main de l’extrémité du crayon au point le plus élevé de votre tête). Vous constaterez que ces deux distances sont approximativement les mêmes. 3. Répétez cette prise de mesures devant un miroir. Observez le reflet de votre tête. Sans mesurer, comparez visuellement la moitié supérieure et la moitié inférieure de votre tête. Utilisez ensuite votre crayon pour situer une nouvelle fois le niveau des yeux. 4. Reprenez les photos et les dessins que vous avez rassemblés (ou bien employez la photo de George Orwell, figure 9-3) et situez le niveau des yeux. Pour chaque tête, le niveau des yeux se situe-t-il à mi-hauteur, divisant approximativement la hauteur globale de la tête en deux parties égales ? Percevez-vous clairement cette proportion ? Si ce n’est pas le cas, mesurez à même la photographie en posant votre crayon à plat sur le papier, comme à la figure 9-7, et mesurez d’abord la distance entre l’oeil et le menton puis entre l’oeil et le sommet du crâne. A présent, déposez votre crayon et regardez encore. Voyez-vous clairement la proportion, cette fois ? Quand finalement vous croirez ce que vous voyez, vous remarquerez que pour presque chaque tête que vous observez, le niveau des yeux se situe approximativement Fig. 9-7. à mi-hauteur. Le niveau des yeux est rarement au-delà du milieu de la tête, c’est-à-dire que les yeux ne sont pratiquement jamais plus proches du sommet de la tête que de l’extrémité du menton. Et lorsque les cheveux sont abondants, la
126 moitié supérieure de la tête — la partie que forment le front, le crâne et les cheveux — est plus grande que la moitié inférieure (voir figure 9-8).
LE MYSTERE DU CRANE TRONQUE La plupart des gens éprouvent des difficultés à percevoir les proportions relatives des traits du visage et du crâne. Pour beaucoup, le niveau des yeux semble se situer au tiers supérieur environ de la distance qui sépare le sommet de la tête et le bas du menton. Je pense que cette erreur est due au fait que le front et le sommet de la tête attirent peu l’attention. Il s’agit en effet de régions ennuyeuses pour le cerveau gauche et difficilement définissables par des symboles. On accorde apparemment moins d’importance à la moitié supérieure de la tête qu’aux traits du visage, et Fig. 9-8. pour cette raison, on la perçoit comme étant plus petite. Cette perception incorrecte donne lieu à l’erreur du crâne tronqué, expression toute personnelle par laquelle je désigne ce problème particulièrement fréquent chez les élèves débutants. Le crâne tronqué crée un effet de « masque » qui se retrouve fréquemment dans les dessins d’enfants ou dans l’art primitif. Cet effet de masque, produit par l’agrandissement des traits du visage par rapport aux dimensions du crâne, peut être d’une puissance expressive étonnante, comme dans l’oeuvre de Picasso, de Matisse et de Modigliani. A la différence que les artistes de renom utilisent ce procédé délibérément et non par erreur. Je vais vous montrer des exemples qui illustrent cette erreur de perception. Une impasse logique pour le cerveau gauche : la preuve irréfutable que le dessus de la tête est important malgré tout
Fig. 9-9.
Fig. 9-9.
J’ai dit un jour à un groupe d’élèves qui éprouvaient des difficultés à percevoir correctement les proportions du crâne : « Si l’un de vous voit une manière d’expliquer plus clairement les proportions déterminant le niveau des yeux, qu’il se fasse donc connaître ». Un élève m’a répondu : « Nous verrons quand nous y croirons ». Plus tard j’ai eu la chance de découvrir la manière de faire « croire » les élèves, et cette méthode s’est avérée plus efficace que les autres. Elle a permis aux élèves de résoudre ce problème épineux et tenace qui les empêchait de dessiner correctement une tête. En voici la démonstration. J’ai d’abord dessiné la partie inférieure du visage de deux modèles, l’un de profil et l’autre de trois quarts (voir figure 9-9). Je vous montrerai en détail la manière de dessiner cette partie de
127 la tête dans le chapitre suivant. Les élèves ne rencontrent généralement aucune difficulté sérieuse à apprendre à voir et à dessiner les traits du visage. Ce ne sont pas les traits du visage qui posent un problème : c’est dans la perception de l’image du crâne que quelque chose ne tourne pas rond. Ce que j’aimerais vous montrer, ainsi qu’à votre hémisphère gauche, c’est l’importance qu’il y a pour les traits du visage à les doter d’un crâne complet —et à ne pas tronquer le sommet de la tête pour la simple raison que cette partie semble moins intéressante que le visage proprement dit. A la figure 9-10 se trouvent trois séries de dessins : les premiers dessins présentent uniquement les traits du visage, le reste du crâne faisant défaut ; les seconds reprennent les mêmes traits avec l’erreur du crâne tronqué : et les troisièmes reprennent les mêmes traits, cette fois avec le crâne intact, qui complète et soutient les traits du visage. En suivant la logique de votre cerveau gauche, vous constatez que ce ne sont pas les traits qui posent le problème des fausses proportions, c’est le crâne. (Retournez à la figure 1-5, au chapitre 1 et vous constaterez que Van Gogh, dans son dessin du menuisier en 1880 a apparemment commis l’erreur du crâne tronqué en dessinant la tête de son personnage. De même, la gravure de Dürer à la figure 9-11 illustre les tentatives risquées par l’artiste pour diminuer les proportions du crâne par rapport aux traits du visage). Revenons à présent aux photographies et aux dessins que vous avez rassemblés précédemment. Mesurez (en posant votre crayon sur la photo, le bout du crayon au niveau des yeux, et en marquant du pouce l’emplacement du menton) et comparez la hauteur relative des parties supérieure et inférieure de la tête. Etes-vous convaincu ? Votre hémisphère gauche, le logicien, est-il convaincu ? Bien. Cela vous épargnera des heures d’efforts inutiles.
Fig. 9-10. Les traits du visage uniquement.
L’erreur du crâne tronqué, avec les mêmes traits.
LE REMPLISSAGE DES BLANCS
Les mêmes traits encore. Cette fois avec le crâne entier.
128 Vous voyez les figures 9-12 et 9-13, où les ovales représentent la forme du crâne. Asseyez-vous devant un miroir en vous munissant des blancs et d’un crayon. Vous allez observer et schématiser les relations entre les différentes parties de votre propre tête à mesure que vous progresserez pas à pas dans l’exercice. Les chiffres qui figurent dans les schémas correspondent aux instructions numérotées qui composent l’exercice et illustrent ces relations.
Fig. 9- 11. Albert Dürer, Quatre Têtes (1513 ou 1515). Avec l’autorisation de la Nelson Gallery-Atkins Museums. Kansas City, Missouri (Fonds Nelson).
1. Schématisez d’abord le niveau des yeux. Observez une fois encore la ligne du niveau des yeux et tracez-la sur le blanc. 2. Nous avons déjà dessiné l’axe central. En regardant votre visage, visualisez un axe central qui le partage en deux, et une ligne pour le niveau des yeux perpendiculaire à cet axe (voir figure 9-12). Inclinez la tête d’un côté comme à la figure 9-13. Notez que l’axe central et la ligne du niveau des yeux restent perpendiculaires quelle que soit la direction dans laquelle vous inclinez la tête. (Ceci n’est que logique, je le sais, mais les débutants l’ignorent souvent et déforment les traits comme à la figure 9-14). (Voir également les figures 9-16, 9-17 et 918). 3. Observez votre visage : où se situe le bout de votre nez par rapport au niveau des yeux et au menton ? A un peu moins de la moitié de la distance et à un peu plus du tiers. Faites une marque sur le blanc. 4. A quel niveau se situe la ligne médiane de la bouche ? A un tiers environ de la distance entre le nez et le menton. Faites une marque sur le blanc. 5. Quelle est la distance qui sépare vos yeux par rapport à la longueur d’un œil ? Oui, ces distances sont égales. Divisez la ligne du niveau des yeux en cinq parties égales. Marquez le centre des yeux. 6. Si vous abaissez les verticales depuis le coin interne de vos yeux, où arrivez-vous ? Au bord de vos narines. Le nez est plus large que vous croyez. Faites deux marques sur le blanc. 7. Si vous abaissez les verticales depuis le centre de vos pupilles, où arrivez-vous ? Aux coins externes de votre bouche. La bouche est plus large que vous pensez. Faites deux marques sur le blanc.
129 8. Si vous déplacez votre crayon horizontalement le long du niveau des yeux, où arrivezvous ? A l’extrémité supérieure de vos oreilles. Faites deux marques sur le blanc. 9. En partant de l’extrémité inférieure de vos oreilles et en suivant l’horizontale, où arrivezvous ? Pour la plupart des visages, entre le nez et la bouche. Les oreilles sont plus grandes que vous croyez. Faites deux marques sur le blanc. 10. Palpez votre visage et votre cou : quelle est la largeur de votre cou par rapport à la largeur de votre mâchoire juste à hauteur de vos oreilles ? Vous verrez que votre cou est presque aussi large — chez certains hommes, il est même aussi large, parfois plus large. Faites des marques sur le blanc. Souvenez-vous que le cou est plus large que vous croyez. 11. A présent, vérifiez chacune de ces proportions en observant des personnes réelles, des photographies ou l’image de personnes sur l’écran de télévision. Exercez-vous souvent — d’abord sans mesurer. puis en mesurant si c’est nécessaire — à percevoir les rapports entre tel trait du visage et tel autre, à percevoir les différences infimes et originales qui distinguent les visages ; voir, voir, voir. N’analysez pas à la manière de l’hémisphère gauche comme nous l’avons fait, mais percevez le visage des gens tel qu’il est réellement, dans sa totalité et non par bribes ou de manière hiérarchique, car chaque partie est importante et contribue à former l’ensemble. Voir l’exemple de la figure 9-15.
Fig. 9-12. Proportions générales de la tète chez l’homme.
Fig. 9-13.
Fig. 9-14. A mon avis, les élèves déforment les traits du visage parce que, tout en voyant que la tète est inclinée, ils dessinent les traits dans leur orientation habituelle, c’est-à-dire à la verticale, parallèlement aux bords de leur feuille.
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Fig. 9-15.
Fig. 9-17.
Fig. 9-16. Vincent Van Gogh, Dr Gachet (gravure, 1890), B-10, 283. Avec l’aimable autorisation de la National Gallery of Art, Washington, DC., Collection Rosenwald. Un exemple intéressant qui illustre la force expressive de l’obliquité des traits.
Fig. 9-18.
Fig. 9-17. Esquisse d’après Lavis Corinth (1858-1925). Autoportrait. dessiné avant son accident en 1911. Fig. 9-18. Lovis Corinth, Autoportrait (1921). Avec l’aimable autorisation du Fogg Art Museum, Université de Harvard, don de Meta et Paul J. Sachs. L’artiste allemand Lovis Corinth a subi un grave traumatisme cérébral à l’hémisphère droit à la suite d’un choc en décembre 1911. Le premier autoportrait (fig. 9-17) a été réalisé avant l’accident. Le second, réalisé quelques années plus tard, présente une obliquité des traits qui se retrouve dans la plupart des portraits que Corinth a dessiné après son accident. Notez que l’obliquité des traits produit un effet d’expressivité, que vous pourriez choisir d’utiliser pour certains dessins. Une fois encore la question est d’utiliser ce procédé délibérément et non par erreur.
131 AUTRE BLANC : LES FICELLES DU PROFIL Dessinez maintenant un autre blanc, cette fois pour un profil. Le blanc de profil est d’une forme assez différente — à la manière d’un œuf à l’ovale excentrique. En effet, le crâne humain (figure 9-19) vu de côté présente une forme différente de celle du crâne vu de face. Il est plus facile de dessiner ce blanc en regardant la forme des espaces négatifs qui l’entourent (figure 9-20). Remarquez que les espaces négatifs sont différents à chaque coin.
Fig. 9-20. Le blanc de profil. Notez que la distance a (niveau des yeux - menton) est égale à la distance b (niveau des yeux sommet du crâne).
Fig. 9-19.
Si cela peut vous aider à mieux voir, dessinez symboliquement le nez, l’oeil, la bouche et le menton après avoir dessiné en premier la ligne du niveau de l’oeil qui traverse le blanc à mihauteur. La mesure suivante est d’une importance capitale ; elle vous permettra de situer correctement l’oreille et de là, à percevoir correctement la largeur de la tête vue de profil.
Fig. 9-21.
Fig. 9-22.
132 A l’aide de votre crayon, mesurez sur votre propre visage la distance qui sépare le coin intérieur de votre oeil et l’extrémité de votre menton (figure 9-21). A présent, en conservant cette mesure, tenez votre crayon horizontalement le long de la ligne du niveau des yeux (figure 9-22) en plaçant le bout de la gomme au coin extérieur de votre oeil. Cette mesure coïncide avec l’arrière de votre oreille. Autrement dit, la distance entre l’oeil et le menton est égale à la distance entre l’arrière de l’oeil et l’arrière de l’oreille. Faites une marque sur le blanc pour la place de l’oreille sur la ligne du niveau des yeux, comme à la figure 9-23. Cette proportion peut paraître un peu compliquée, mais si vous Fig. 9-23. faites l’effort de l’apprendre vous éviterez une autre erreur trop fréquente dans le dessin de la tête : la plupart des élèves débutants placent l’oreille trop près des autres traits du visage. En plaçant l’oreille trop près du visage, ils estropient de nouveau le crâne, cette fois à l’arrière. Une fois encore cette erreur vient peut-être du fait que l’extension de la joue et de la mâchoire constitue une partie ennuyeuse et sans intérêt dont les élèves débutants ne perçoivent pas correctement l’étendue. La figure 9-24 montre l’exemple d’un dessin d’élève qui présente cette erreur de perception et, à la figure 9-25, l’artiste autrichien Kokoschka fait usage de cette distorsion, probablement à dessein. Comme vous pouvez le constater, l’agrandissement du visage et la diminution du volume crânien produisent un effet expressif et symbolique puissant, et c’est un procédé que vous pourrez toujours utiliser par la suite si vous le voulez. Pour l’instant toutefois, nous souhaitons simplement que vous soyiez capable de voir les choses telles qu’elles sont réellement dans leurs proportions correctes.
Fig. 9.25. Oskar Kokoschka (1886-1980), Portrait de Norbert Win (1920). Avec l’aimable autorisation du Worcester Art Museum,
133 Fig. 9.24. Dessin d’élève.
Worcester, Massachusetts.
Fig. 9-26.
J’ai récemment fait la découverte d’une nouvelle technique très utile pour apprendre à placer l’oreille correctement. Comme vous savez à présent que deux distances sont égales — entre l’oeil et le menton et entre l’arrière de l’oeil et l’arrière de l’oreille — vous pouvez visualiser un triangle rectangle et isocèle reliant ces trois points, comme le montre la figure 9-26. C’est un moyen commode de placer l’oreille correctement. Exercez-vous à voir les rapports de proportions en regardant les photographies ou les dessins de personnes vues de profil et en visualisant le triangle-repère, comme à la figure 9-26. Grâce à cette technique, vous éviterez bon nombre de problèmes et d’erreurs en dessinant les profils. Il nous reste encore deux mesures à effectuer sur le blanc de profil. Tenez d’abord votre crayon à l’horizontale juste en dessous de votre oreille et faites-le glisser vers l’avant comme à la figure 9-27. Vous arriverez à la région entre votre nez et votre bouche. C’est à ce niveau que se trouve le bas de votre oreille. Faites une marque sur le blanc. Replacez de nouveau votre crayon à l’horizontale juste en dessous de votre oreille et faites-le glisser cette fois vers l’arrière. Vous arriverez à l’endroit où le crâne et le cou se rejoignent — l’endroit où ils s’articulent. Marquez ce point sur le
Fig. 9-27.
134 blanc. Ce point se situe plus haut que vous le pensez. Dans les dessins symboliques, le cou est généralement placé en dessous du cercle de la tête, avec le point d’articulation au niveau du menton. Cette erreur risque de gâcher vos dessins : le cou sera trop étroit, comme à la figure 9-28 ; tâchez de percevoir sur votre modèle l’endroit réel d’où part le cou, à l’arrière du crâne. A présent, il vous faudra exercer vos perceptions. Regardez les gens. Entraînez-vous à percevoir les visages, à observer les proportions, à voir la forme originale du visage de chaque individu. Vous êtes prêt maintenant pour dessiner un portrait de profil. Vous ferez appel à toutes les techniques que vous avez apprises jusqu’à présent : Ne dessinez que ce que vous voyez sans essayer d’identifier ou d’étiqueter les formes (vous avez pu constater le mérite de cette méthode avec le dessin à l’envers). Ne dessinez que ce que vous voyez sans faire appel aux anciens symboles de vos dessins d’enfants que vous avez mémorisés et accumulés. Concentrez-vous sur les espaces négatifs et les zones complexes jusqu’à ce que vous ressentiez la conversion vers un état de conscience distinct, dans lequel votre hémisphère droit domine et votre hémisphère gauche se tait. Rappelez-vous que cette démarche exige un laps de temps ininterrompu. Evaluez les angles par rapport aux bords verticaux et horizontaux de votre feuille de papier. Evaluez les rapports de dimensions — quelle est la longueur de cette forme par rapport à celle-ci ? Et enfin : percevez les proportions telles qu’elles sont, sans les réviser ou les modifier pour qu’elles correspondent à vos idées préconçues sur l’importance des divers éléments. Tous sont importants et chacun doit conserver intactes ses proportions par rapport aux autres. Si vous éprouvez le besoin de réviser l’une de ces techniques, retournez aux chapitres précédents pour vous rafraîchir la mémoire. En révisant certains exercices, vous renforcerez effectivement vos acquis. Le dessin de contour pur, en particulier, peut vous aider à maîtriser plus fermement la méthode que vous venez d’apprendre pour accéder à l’hémisphère droit et faire taire le gauche.
135
Fig. 9-28.
136
137 De face et de profil : le portrait sans peine « La démarche du dessin est avant toute autre L’apprentissage d’une technique nouvelle chose celle qui consiste à mettre son intelligence en commence généralement par l’apprentissage action: la mécanique même du déclenchement de des différentes composantes de cette la pensée visuelle. A l’inverse de la peinture et de technique, avant que s’assemblent les divers la sculpture, c’est la démarche par laquelle éléments en un tout intégré. Après avoir l’artiste signifie clairement à lui-même, et non au spectateur, ce qu’il est en train de faire. C’est un appris les sous-techniques nécessaires pour soliloque avant que d’être communication ». rouler à bicyclette ou en voiture, par Michael Ayerton, Golden Sections exemple, vous êtes finalement monté sur le vélo ou dans la voiture et vous avez « La chose matérielle qui se trouve devant toi, démarré. Ce faisant, vous signifiez aux c’est Cela ». Huang Po, Maître Zen du XVIe siècle autres et à vous-même que vous aviez acquis la technique. De même, les exercices de ce chapitre vous permettront d’assembler les différentes composantes techniques que vous avez acquises et qui vous permettent de voir. Après cette dernière leçon, quand vous dessinerez, vous signifierez clairement aux autres et à vous- même que vous avez vraiment « vu ».
Nous allons maintenant dessiner des visages en créant préalablement les conditions qui inviteront votre hémisphère gauche à faire une petite sieste. Et ce sera le grand jour pour votre cerveau droit: il pourra s’extasier devant la complexité merveilleuse des contours et suivre l’évolution de votre dessin à mesure que s’étire ce trait qui est votre invention originale et créative: il pourra regarder s’intégrer vos techniques nouvelles en un graphisme harmonieux; il pourra voir à la manière de l’artiste, les choses dans leur étonnante réalité et non leur pâle reflet symbolisé, catégorisé, analysé et mémorisé; il pourra ouvrir la porte et voir clairement ce qui se trouve là devant vous: il pourra accomplir l’image à travers laquelle vous vous ferez connaître.
LES TROIS FACES D’UN VISAGE Ce chapitre comprend trois parties: tout d’abord les instructions pour dessiner le portrait de profil d’un modèle: ensuite le portrait de trois quarts, le modèle se tournant légèrement d’un côté; et enfin, le portrait de face. Le portrait de face vient en dernier lieu, mais cela ne signifie pas pour autant que ce genre de dessin soit plus difficile. Comme je l’ai dit, le dessin se résume toujours à une même opération —voir clairement —et il n’est pas de position ou de sujet qui soit plus facile ou plus difficile à traiter. Toutefois, la symbolique dont vous êtes imprégné et que vous pratiquez et mémorisez depuis votre enfance interfère avec une ténacité particulière dans le dessin des visages vus de face. Après avoir dessiné une tête plusieurs fois, de profil et de trois quarts, et après vous êtes rendu compte que l’essentiel est de voir sur le mode-D, vous serez mieux à même, j’en suis sûre, de supprimer les symboles et de les empêcher de s’infiltrer à nouveau dans le dessin de cette forme tellement familière — un visage vu de face.
138 D’ABORD LE PROFIL Avant de commencer : Cherchez un modèle — un ami ou un voisin ou une personne de votre famille qui posera bénévolement pour un portrait. Vous pouvez dessiner votre modèle pendant qu’il lit, qu’il dort, ou qu’il regarde la télévision. Il vous faudra trente à quarante minutes environ pour dessiner, avec deux ou trois pauses pour le modèle. Si je faisais personnellement la démonstration du dessin de profil,je ne nommerais pas les parties que je dessine. Je désignerais les différentes régions et les différentes lignes en parlant par exemple de « cette forme, ce contour, cet angle, la courbe de cette forme)) et ainsi de suite. Par souci de clarté malheureusement, puisqu’il s’agit d’un texte écrit, il me faudra citer les choses par leur nom. La marche à suivre vous paraîtra peutêtre malaisée et compliquée quand vous lirez les instructions, mais elle deviendra, à mesure que vous dessinerez, une danse étrange et silencieuse, une recherche exaltante, dans laquelle chaque perception nouvelle se trouve miraculeusement liée à la précédente. Lisez d’un trait toutes les directives et regardez les travaux d’élèves avant de vous mettre à dessiner. 1. Fixez votre feuille avec du papier collant ou des punaises sur une surface plane et rigide. Une planche à pain fera l’affaire, mais vous devrez éventuellement placer un paquet de feuilles sous votre feuille à dessin pour obtenir une surface plane.
Fig. 10-1.
2. Asseyez-vous devant votre modèle de manière à le voir de profil. Placez-vous si possible à un bon mètre de votre modèle. La distance maximale pour dessiner le portrait d’une tête est de deux mètres. De plus loin, il ne vous est plus possible de voir les détails avec une netteté suffisante et vous êtes tenté de leur substituer des symboles. 3. Commencez votre dessin en délimitant la forme soit avec votre viseur soit avec votre main et votre crayon comme à la figure 10-1. Fixez d’abord votre regard sur les espaces négatifs autour de la tête et attendez qu’ils vous apparaissent comme des formes. Voyez la forme générale de la tête comme un espace vide entouré d’espaces négatifs matériels — comme le trou en forme de Bugs Bunny dans la porte.
139 4. Tournez les yeux vers votre feuille blanche et visualisez la forme de a tête de votre modèle sur le papier — le contour extérieur général de la tête (qui est également le contour intérieur des espaces négatifs). Vous arriverez plus facilement à projeter cette image si vous commencez par en faire une esquisse mentale, en déplaçant votre crayon le long de l’image fictive de la tête comme si vous la dessiniez, sans toucher le papier. Vous savez à présent la grandeur qu’aura la tête et la Fig. 10-2 place qu’elle occupera sur votre feuille. Vous pouvez même visualiser les traits et tous les détails directement sur le papier. 5. Commencez vraiment à dessiner par où vous voulez. Je commence généralement par le front puis je descends le long du profil mais d’autres suivent une progression différente. Toutes les formes et tous les espaces s’assembleront comme les pièces d’un puzzle, chaque élément se situant par rapport aux autres; votre point de départ est dès lors indifférent. 6. Une fois encore, délimitez la forme, fixez votre regard sur l’espace négatif le long du front et du nez et attendez qu’il vous apparaisse comme une forme (autrement dit, attendez que la tâche soit reléguée au cerveau droit). Ensuite, par la méthode du dessin de contour modifié, dessinez le côté de l’espace négatif. Evaluez les angles (du nez, par exemple) comme vous l’avez fait au chapitre 9, en tenant votre crayon à la verticale, en fermant un oeil, et en alignant verticalement le crayon sur la pointe du nez comme à la figure 10-2. Quel angle forme l’arête du nez par rapport à la verticale? En descendant le long du profil, situez les points repères et évaluez les distances situez un point par rapport à un autre, déterminez la longueur d’un contour par rapport à un autre en vous référant toujours à un élément que vous avez déjà dessiné. 7. Voici maintenant quelques instructions spécifiques pour voir correctement certaines parties de la tête. Vous pouvez bien sûr percevoir ces différents rapports en regardant simplement votre modèle, mais, en attirant votre attention sur certains détails particuliers, je vous aiderai peut-être à mieux les voir.
LES YEUX Notez que les paupières ont une épaisseur. Le globe oculaire se trouve derrière les paupières (figure 10-3). L’iris (la partie colorée de l’oeil) « se dessine tout seul ». Dessinez la forme du blanc de l’oeil (figure 10-4). Le blanc peut être considéré comme un espace négatif ayant un côté commun avec l’iris. En dessinant la forme (négative) du blanc de l’oeil, vous obtiendrez une image correcte de l’iris car cela vous permettra de dépasser le symbole que vous avez mémorisé pour figurer l’iris. Notez que cette technique de « dépassement» peut s’appliquera
140 tous les détails que vous trouvez « difficiles à dessiner ». Elle consiste à passer à la forme où à l’espace adjacent à la difficulté et à dessiner plutôt cet espace adjacent. Vous remarquerez que les cils supérieurs sont d’abord dirigés vers le bas et qu’as se recourbent ensuite vers le haut (chez Fig. 10-4. certaines personnes). Notez que l’orientation générale de Fig. 10-3. l’oeil est inclinée par rapport à l’axe du visage (figure 10-5). Cette inclinaison est due à la position du globe oculaire dans la structure osseuse qui l’entoure. Observez cet angle particulier sur votre modèle — il s’agit d’un détail important.
Fig. 10-5.
LE NEZ
Fig. 10-6. Observez la forme de l’espace sous les narines. Cette forme varie d’une personne à l’autre et doit être soigneusement examinée pour chaque modèle.
La narine, comme l’iris est souvent dessinée de manière symbolique. Une fois encore, utilisez la technique de « dépassement » que vous avons décrite plus haut et passez de l’élément mémorisé sous forme de symbole à l’élément adjacent. Pour dessiner la narine, observez l’espace en dessous du bord de celle-ci et dessinez-en la forme exacte (figure 10-6).
141 LA BOUCHE Dans le profil de nombreux visages, le contour extérieur de la pointe du nez, la lèvre supérieure, la lèvre inférieure et le menton se situent souvent sur une ligne oblique comme le montre la figure 10-7. Observez attentivement ces différents points sur votre modèle et notez-en l’axe exact. Voyez d’abord les proportions générales, ensuite les proportions de chaque élément et enfin les rapports spécifiques entre les Fig. 10-8. Pour dessiner la forme de Fig. 10-7. la lèvre supérieure, observez et différents éléments. La dessinez la forme de cet espace. méthode des espaces négatifs est très utile car elle permet d’observer et de dessiner des formes originales et non stéréotypées. Notez ensuite que les bords des lèvres ne sont pas de véritables contours (c’està-dire les lignes de rencontre de deux formes) mais que ce sont de simples changements de couleurs. Vous constaterez que pour la plupart des modèles, ce léger changement de coloration se représente mieux par un trait délicat que par une ligne épaisse et noire. La ligne médiane des lèvres, par contre, est un véritable contour (c’est-à-dire la ligne de rencontre de deux formes) et, en observant votre modèle, vous remarquerez que ce contour est plus sombre que le bord extérieur des lèvres. La forme de la lèvre supérieure contribue très largement à l’expression du visage. La lèvre supérieure « se dessine toute seule » — une fois encore, il suffit de passer à l’espace adjacent, l’espace entre le nez et la lèvre supérieure comme à la figure 10-8. Vérifiez la longueur de la ligne médiane de la bouche. Où se situe le coin de la bouche par rapport à l’avant de l’oeil par exemple ? (Vérifiez chaque fois les positions par rapport à un élément que vous avez déjà dessiné).
LE MENTON Situez le contour avant du menton par rapport au front ou à la lèvre supérieure — ou tout autre élément déjà dessiné. Observez la longueur du menton par rapport à la longueur du nez, par exemple.
LES LUNETTES
142 Si votre modèle porte des lunettes, ne les dessinez pas — les lunettes sont souvent symbolisées (figure 10-9). Dessinez les espaces négatifs autour des lunettes, comme à la figure 10-10. L’important dans le cas présent est de ne pas mettre en doute votre perception des espaces négatifs. Dessinez ce que vous voyez.
Fig. 10-9. La symbolisation des lunettes est particulièrement tenace.
LE COU Utilisez l’espace négatif en avant du cou pour percevoir clairement le contour du menton et le contour du cou (figure 10-11). Vérifiez l’angle que forme l’avant du cou par rapport à la verticale. N’oubliez pas non plus de vérifier le point où l’arrière du cou rejoint le crâne. Ce point se situe généralement au niveau du nez ou de la bouche (figure 10-11).
Fig. 10-11. Déterminez soigneusement ce point par rapport au niveau du nez et de la bouche. L’avant du cou est souvent légèrement incliné par rapport à la verticale.
LE COL
Fig. 10- 10. Pour éviter les symboles. utilisez les formes du visage autour des lunettes en guise d'espaces négatifs.
143 Ne dessinez pas le col. Il s’agit de nouveau d’un détail lourdement grevé de symbolisme (figure 10-12). Utilisez plutôt le cou comme espace négatif pour dessiner le dessus du col de même que vous utiliserez les espaces négatifs pour dessiner les pointes du col, l’ouverture de la chemise, éventuellement, et le contour de l’arrière du col, comme à la figure 10-12. (L’efficacité de la technique de « dépassement » vient certainement du fait que des formes telles que l’espace négatif autour d’un col peuvent difficilement être nommées et qu’on ne dispose d’aucun symbole préconçu qui en déforme la perception.)
Fig. 10-12. Utilisez la technique du dépassement., pour les éléments fortement imprégnés des formes conceptuelles symboliques et stéréotypées mémorisées depuis les dessins d’enfance.
L’OREILLE Maintenant que vous avez dessiné tous les traits du visage, ou presque, mesurez sur votre modèle la hauteur de la moitié inférieure de la tête (niveau des yeux - menton) et la hauteur de la moitié supérieure (niveau des yeux - sommet du crâne) et comparez ces mesures. Pour ce faire, mesurez vraiment la tête de votre modèle avec votre crayon (figure 10-13). La distance entre le niveau des yeux et le dessus des cheveux doit être au moins aussi longue (éventuellement plus longue si les cheveux sont épais) que la distance entre le niveau des yeux et le menton. Reportez ensuite ces mesures sur votre dessin. Posez votre crayon à la verticale sur votre dessin et mesurez la distance entre le niveau de l’oeil et le menton en plaçant l’extrémité de la gomme au niveau de l’oeil et en marquant du pouce et de l’index l’endroit où arrive le menton. En conservant cette Fig. 10-13. mesure, levez votre crayon, faites-le glisser le long de la ligne du niveau de l’oeil jusqu’au milieu du crâne et marquez sur votre dessin l’endroit où se placera le sommet du crâne. Ne « sautez » pas cette étape en vous disant que vous n’oublierez pas de dessiner le crâne suffisamment grand. Situez ensuite l’emplacement de l’arrière de l’oreille : posez de nouveau votre crayon sur votre feuille et mesurez la distance entre le niveau de l’oeil et le menton. Reportez cette mesure entre l’arrière de l’oeil et l’arrière de l’oreille. Ou bien encore, visualisez le triangle rectangle isocèle. Les figures 10-14 et 10-15 illustrent ces deux méthodes. Marquez sur votre dessin l’endroit où se placera l’arrière de l’oreille (figure 10-15).
144 Commencez par dessiner la forme de l’espace négatif derrière l’oreille. Dessinez ensuite les formes à l’intérieur de l’oreille en dirigeant toujours votre regard vers la forme voisine de celle que vous voulez dessiner pour vous servir de cette forme comme d’un espace négatif. N’oubliez pas de vérifier la taille de l’oreille par rapport aux autres traits du visage : Où se trouve le dessus de l’oreille par rapport à l’oeil et au sourcil ? Où se situe le bas de l’oreille par rapport au nez et à la bouche ? Rappelez-vous que les oreilles sont de dimensions surprenantes.
Fig. 10-14.
Fig. 10-15.
LES CHEVEUX Les élèves me demandent souvent de leur montrer « comment on dessine les cheveux ». Je pense que pour la plupart des débutants, cette question signifie en réalité : « Montrez-moi comment dessiner les cheveux rapidement, facilement, et que l’effet soit fantastique ». Autrement dit : « Donnez-moi un symbole pour les cheveux meilleur que celui que j’utilise pour le moment ». De tels miracles n’existent évidemment pas. Les cheveux se dessinent exactement de la même manière que les autres détails : il faut les percevoir tels qu’ils sont, dans toute leur complexité, et dessiner ce qu’on voit. Cela ne signifie pas qu’il faille dessiner chaque cheveu mais cela veut dire que vous devez prendre le temps de dessiner au moins une
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Fig. 10-16.Anthony Frederick, Augustus Sandys (1832-1904). Proud Maisie. Avec l’aimable autorisation du Musée Victoria et Albert, Londres.
partie des cheveux — reproduire le mouvement précis des mèches, la texture exacte de certaines régions de la chevelure. Recherchez les zones sombres où les cheveux se séparent et servez-vous de ces zones comme d’espaces négatifs. Déterminez les grands mouvements, la courbe précise d’une mèche ou d’une ondulation. L’hémisphère droit, qui adore la complexité, peut tomber en extase devant les détails d’une chevelure, et la reproduction correcte de vos perceptions dans cette partie précise du dessin peut avoir un impact formidable, comme le montre le portrait de Proud Maisie (figure 10-16). Sont à éviter les petits traits hâtifs et symboliques qui représentent les cheveux avec la même désinvolture que si vous aviez écrit le mot en toutes lettres en travers du portrait. Lorsque vous serez prêt à commencer, rappelez-vous qu’il vous faudra trente à quarante minutes. Vous pourriez régler une minuterie pour ne pas oublier d’accorder une pause à votre modèle. Prévenez d’ailleurs cette personne que vous ne pourrez pas bavarder pendant qu’elle posera. Placez votre modèle et prenez la distance voulue. Délimitez la forme générale de la tête. Visualisez cette forme sur votre feuille à dessin. Dirigez votre regard vers les espaces négatifs qui l’entourent. Vous vous sentirez dériver vers le mode-D... atteignant l’état de conscience qui vous permet d’accéder à une vision claire des choses. Après avoir terminé : Vous pouvez être fier de vous — vous avez réussi. J’espère que vous êtes aussi satisfait de votre dessin que le sont mes élèves après leur premier portrait. S’il vous semble que certaines parties de votre dessin ne sont pas parfaitement correctes. tâchez de corriger les erreurs en utilisant les procédés suivants. En renversant le dessin. vous aurez une vision plus fraîche et plus objective des rapports entre les divers éléments et vous verrez
où
d’éventuelles
corrections
sont
« L’objet, qui est le support de toute oeuvre
146 d’art véritable, est l’accomplissement d’une manière d’être, un état de fonctionnement intense, un instant plus qu’ordinaire de notre existence ... C’est dans cet état que nous faisons nos découvertes car c’est alors que nous voyons clair. »
nécessaires. Une autre technique très utile pour déceler les erreurs consiste à recouvrir la partie du dessin qui semble incorrecte et à visualiser cette partie comme elle devrait apparaître. Gardez cette image à l’esprit pendant que vous regardez le dessin. Retirez ensuite rapidement Robert Henri, The Art Spirit la main pour laisser paraître la partie escamotée. Si cette partie du dessin est incorrecte — mal placée ou trop petite — vous verrez immédiatement l’erreur. Une troisième technique consiste à dresser le dessin à côté du modèle et à vérifier successivement chaque espace négatif, en contrôlant les angles, les dimensions, etc. — d’abord sur le modèle, ensuite sur le dessin. Là où les espaces négatifs ne concordent pas, vous trouverez une erreur.
Afin d’éviter toutefois que vous ne jugiez trop sévèrement votre travail, le moment est venu de reprendre les dessins préliminaires que vous aviez réalisés à la fin du chapitre 1. La comparaison sera peut- être aussi frappante que pour les dessins avant et après reproduits à la fin de ce chapitre. En effet, si vous examinez votre dessin préliminaire d’une tête et votre dessin préliminaire d’un personnage de mémoire (votre dessin de personnage), vous constaterez vraisemblablement une répétition de votre symbolique dans les traits du visage. Mais le dessin de profil que vous venez de réaliser ne comporte probablement aucune trace de cette symbolique et avec ce dernier dessin, vous êtes en bonne voie pour atteindre un niveau adulte d’expression visuelle.
TRAVAUX D’ELEVES Profils en dessin Maintenant que vous avez lu toutes les instructions pour éviter les problèmes spécifiques du portrait de profil, voyez les travaux d’élèves consacrés à ce type de dessin. En examinant ces travaux, passez en revue les différentes étapes franchies par les élèves pour réaliser leurs portraits. Relevez les mesures principales en posant votre crayon sur chaque dessin mesurez les distances entre le niveau de l’oeil et le menton, le niveau de l’oeil et le sommet du crâne, l’emplacement de l’oreille, et ainsi de suite. Tâchez de deviner quelles sont les formes difficiles comme les lunettes, l’iris, l’oreille, etc., pour lesquelles l’élève-artiste a dû utiliser les espaces négatifs.
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Kevin Schley
P. Krones
Sherlyn Arch
Rona Kramer
148
Janice Gallagher
Sheila Kalivas
Exercices supplémentaires Avant de commencer : Pour ces exercices, je vous demande de copier des dessins de maître, c’est-à-dire des portraits réalisés par des artistes connus de jadis. Le but est d’observer la manière dont un grand artiste a vu le visage d’un individu particulier, dans toute la complexité des proportions. En copiant ce portrait, imaginez-vous donc que vous êtes ce grand artiste et retracez la progression de son travail. Copiez un portrait de profil d’un grand maître. Utilisez les espaces négatifs à l’extérieur de la forme et à l’intérieur de celle-ci (technique du « dépassement ») en dessinant, à la place des éléments « difficiles », les formes qui leur sont directement adjacentes. Si vous le voulez, vous pouvez copier le portrait la tête en bas (Voir figure 10-17). 10b. Si le premier portrait de maître que vous avez copié était celui d’une femme, copiez à présent celui d’un homme, ou inversement. .4 pris avoir terminé : En vous aidant des techniques conseillées pour les dessins de profil. recherchez les éventuelles erreurs de perception dans les dessins que vous venez d’exécuter. Ensuite, pendant toute la journée, vous regarderez les personnes que vous rencontrez comme si vous étiez un grand maître et comme s’ils étaient d’éventuels modèles. Imaginez ce que donnerait leur portrait dans le style du maître dont vous avez copié les tableaux.
MAITRISE DE LA TECHNIQUE
149 Avant de vous attaquer à l’étape suivante, c’est-à-dire le portrait de trois quarts, faites les exercices 10a et b. La première étape, comme pour chaque dessin, est de créer une situation propice à la conversion cognitive vers le mode-D. Tâchez de disposer d’un laps de temps d’une demiheure au moins. Commencez par fixer du regard les espaces négatifs. Avec le temps, votre cerveau s’accoutumera à cette démarche et la conversion s’effectuera toujours plus aisément. Une fois plongé dans le mode-D, votre unique problème sera de vous rappeler d’accorder une pause à votre modèle. Si, comme cela arrive parfois, votre cerveau gauche reste actif, le meilleur remède est de procéder à une brève séance de dessin de contour pur, en dessinant votre modèle ou n’importe quel objet complexe. Le dessin de contour pur semble imposer plus radicalement la conversion vers le mode-D et il s’agit donc d’un excellent exercice d’ « échauffement » avant de dessiner n’importe quel objet.
UN QUART DE TOUR : LA VUE DE TROIS QUARTS
Fig. 10-17. Dessin d’élève de l’une des Quatre Têtes de Dürer.
Fig. l0-18. Esquisse d’après un portrait de trois quarts réalisé pur l’artiste allemand Lucas Cranach (1472-1553). Tête d’un Jeune Homme avec une Toque rouge.
Les jeunes enfants dessinent rarement les personnes la tête légèrement tournée d’un côté dans la position dite de trois quarts. Généralement, les enfants dessinent les visages soit de face soit de profil. Vers l’âge de dix ans, ils s’essayent au portrait de trois quarts peut-être parce que cet angle de vue permet d’exprimer plus fidèlement la personnalité du modèle. Les problèmes que rencontrent les jeunes artistes dans ce genre de dessin sont toujours les mêmes : la vue de trois quarts produit des perceptions visuelles en contradiction avec les formes symboliques
150 qu’ils ont développées depuis la prime enfance pour figurer les visages de face et de profil et qui, lorsqu’ils ont dix ans, sont solidement ancrées dans leur mémoire. Quelles sont ces contradictions ? Primo, comme vous pouvez le voir à la figure 10-18, le nez n’est pas le même que le nez vu de profil. Secundo. les deux côtés du visage sont de largeur différente, l’un étant plus large et l’autre plus étroit. Tertio, l’oeil du côté le plus éloigné est plus étroit que l’autre et présente une forme différente. Quarto, la moitié de la bouche du côté le plus éloigné est plus courte que l’autre moitié et se dessine différemment. La perception d’une asymétrie dans les traits du visage entre donc en conflit avec les symboles mémorisés qui reproduisent presque toujours les traits de manière symétrique de chaque côté du visage. Pour résoudre ce conflit. il faut donc dessiner uniquement ce qu’on voit sans remettre en question sa perception des formes et sans modifier ces dernières pour les faire correspondre à une symbolique gardée en mémoire. Voir les choses-telles-qu’elles-sont, dans la merveilleuse complexité qui les singularise, voilà la clé qui ouvrira la porte. Avant de commencer : J’aimerais vous guider le long de cette évolution, étape par étape, et vous enseigner quelques procédés qui vous permettront de garder une claire perception de la réalité. Notez une fois de plus que si je faisais une démonstration de portrait de trois quarts, je ne nommerais aucune des parties du visage, me contentant simplement de les désigner du doigt. Aussi, lorsque vous dessinez, ne nommez pas les différentes parties du visage. Essayez même de ne pas vous parlez intérieurement pendant que vous travaillez.
Fig. 10-19. Evaluez l’inclinaison de axe central par rapport à la verticale. La ligne du niveau des yeux est perpendiculaire à l’axe central.
Fig. 10-20. Les bords de la feuille représentent la verticale et l’horizontale. L’angle de l’axe central est dessiné sur la feuille par rapport à la verticale (le bord de la feuille).
1. Pour ce premier dessin, placez votre modèle de sorte que, de votre place, le bout du nez coïncide avec le contour extérieur de la joue la plus éloignée, comme la figure 10-19. La joue constitue ainsi un espace fermé.
151 2. Tout comme pour le dessin de profil, cadrez la forme à l’aide d’un viseur ou avec la main et le crayon. Fixez du regard les espaces négatifs jusqu’à ce qu’ils vous apparaissent comme des formes. Regardez ensuite la forme générale de la tête — le contour extérieur général — et attendez qu’il vous apparaisse comme une forme. 3. Baissez ensuite les yeux sur votre feuille blanche et visualisez la forme générale de la tête sur le papier. Faites une esquisse mentale de cette forme — vous pouvez la tracer légèrement si cela vous aide à en fixer l’image. 4. Observez votre modèle. Situez d’abord l’axe central, c’est-à-dire la ligne fictive qui passe exactement par le centre du visage. Dans la vue de trois quarts, l’axe central passe parles deux points suivants : le milieu de l’arête du nez et le milieu de la lèvre supérieure. Imaginez un mince fil traversant le nez (figure 10-19). En tenant votre crayon verticalement à un bras de distance en direction de la tête de votre modèle, vérifiez l’angle d’inclinaison de l’axe central. L’inclinaison de la tête est différente pour tous les modèles. Evaluez cet angle par rapport à la verticale (c’est-à-dire votre crayon). Visualisez une nouvelle fois la forme générale de la tête sur votre feuille et tracez l’axe central avec l’inclinaison correcte (figure 10-20). Cet angle d’inclinaison est essentiel pour la ressemblance du portrait. Ensuite, tracez très finement la ligne du niveau des yeux perpendiculairement à l’axe central afin d’éviter la distorsion des traits dont j’ai parlé au chapitre 9. Mesurez sur votre modèle et ensuite sur votre feuille pour vous assurer que la ligne du niveau des yeux se situe bien à mi-hauteur de la forme générale. 5. Vous allez utiliser la méthode du dessin de contour modifié : dessinez lentement en concentrant votre attention sur les côtés et en percevant les rapports de dimensions, d’inclinaisons, etc. Cette fois encore, vous pouvez commencer par où vous semble bon. (J’ai tendance à commencer par la forme qui se trouve entre le nez et le contour de la joue la plus éloignée parce que cette forme est facile à voir, comme à la figure 10-21). Les instructions suivantes suivent un ordre particulier mais vous pouvez en préférer un autre.
Fig. 10-21. Toute cette région doit d’abord vous apparaître comme une forme.
Fig. 10-22.
6. Regardez cette forme et fixez-la jusqu’à ce qu’elle vous apparaisse clairement. Dessinez-en le contour extérieur. Comme vous le voyez, ce dessin vous donne le contour du nez. A l’intérieur de cette forme vous avez dessiné l’oeil avec la configuration particulière qui est celle des yeux vus de trois quarts. L’oeil, lui aussi, se « dessine tout seul ». Il suffit de dessiner les formes qui l’entourent. Vous pouvez suivre l’ordre conseillé à la figure 10-22 mais ce n’est pas nécessaire. D’abord la forme au-dessus de l’oeil (1), puis la forme voisine (2), ensuite la forme du blanc de l’oeil (3), et enfin la forme en dessous de l’oeil (4). Tâchez de ne pas penser à ce que vous dessinez. Dessinez simplement chaque forme en observant celle qui lui est adjacente.
152 7. Situez ensuite l’emplacement de l’oeil du côté de la tête le plus proche de vous. Vous remarquerez que sur votre modèle, le coin intérieur de l’oeil se situe sur la ligne du niveau des yeux. Vous remarquerez également que l’oeil est particulièrement éloigné du contour du nez : celte distance est presque toujours égale à la longueur de l’oeil lui-même (figure 10-22). L’erreur la plus fréquente que commettent les élèves débutants dans le portrait de trois quarts, est de dessiner l’oeil trop très du nez. Cette erreur déroute toutes les autres perceptions et peut nuire au dessin. Tâchez de voir (par la visée) la longueur de cette distance et de la dessiner comme vous la voyez. 8. Ensuite, le nez. Situez sur votre modèle le bord de la narine par rapport au coin intérieur de l’œil : abaissez une droite suivant la même inclinaison que l’axe central (parallèlement à cet axe) (figure 10-23). Ne remettez pas vos perceptions en question. Rappelez-vous que les nez sont plus grands que vous pensez. Dessinez ensuite la forme de la narine en suivant la forme des espaces qui entourent le nez. 9. La bouche. Evaluez la distance à laquelle se trouve la bouche (à l’endroit où les lèvres se joignent) sur l’axe central par rapport à la longueur du nez, par exemple. Faites une marque. Situez le coin de la bouche par rapport à l'oeil (figure 10-23). Observez ensuite la ligne médiane de la bouche et dessinez-en la courbe exacte, telle que vous la percevez. Cette courbe est importante dans la mesure où elle détermine l’expression du modèle. N’essayez pas de qualifier cette expression en vous disant intérieurement : « Elle a une expression très agréable » ou « Il a l’air tellement aimable ». Les perceptions visuelles sont là pour être vues. Si vous voyez clairement et si vous dessinez exactement ce que vous voyez, l’expression du visage sera précisément l’élément auquel vous réagissez. Le mode-D vous permet de réagir, bien sûr — mais pas avec des mots. Fig. 10.23.
Poursuivez en dessinant d’abord la ligne médiane de la bouche du côté le plus proche du visage. Complétez par les bords supérieurs et inférieurs des lèvres du même côté en vous rappelant que ces traits doivent être légers parce qu’ils ne représentent pas des contours extérieurs. Pour dessiner la bouche du côté le plus éloigné du visage, utilisez la technique des espaces négatifs que vous avez utilisée pour dessiner l’oeil de ce même côté du visage. Dessinez la forme des espaces autour de la bouche. Une fois encore, notez avec précision la courbe de la ligne médiane. 10. L’oreille. Situez exactement l’oreille soit par la visée, soit en mesurant sur le modèle. Prenez garde à placer l’oreille suffisamment en arrière. La distance entre le niveau des yeux et le menton sera à peu près égale à la distance entre le coin intérieur de l’oeil et l’arrière de l’oreille. Vous pouvez vérifier ce rapport en mesurant sur votre modèle si c’est nécessaire.
153 Observez ensuite où se situe le dessus de l’oreille, ensuite le dessous, et dessinez l’oreille d’après les espaces négatifs qui l’entourent. 11. Les cheveux et l’encadrement du visage. Dessinez les cheveux qui encadrent le visage comme vous l’avez fait pour votre dessin de profil : utilisez le front comme espace négatif dont le contour extérieur serait la limite de la chevelure. Ensuite, observez et dessinez certaines parties, au moins, des cheveux, en reproduisant l’allure générale, certains mouvements particuliers, la texture, les zones sombres où les mèches se séparent, etc. 12. Le cou et le col. Observez sur votre modèle l’endroit où le contour du cou semble émerger du contour du menton, que vous avez déjà dessiné. Evaluez ensuite l’angle que forme le cou par rapport à la verticale. Dessinez ces contours. Pour dessiner le col ou l’encolure du vêtement, dessinez les formes adjacentes à celles que vous voulez reproduire : le cou, la surface autour du col ou en dessous de lui. Comme pour toutes les formes dont le dessin est empreint de symbolisme, vous devez regarder l’espace autour de la forme pour dessiner correctement cette dernière. 13. Vous avez peut-être envie d’ombrer légèrement ce dernier dessin. Observez la forme des zones sombres sous la lèvre inférieure ou sous le menton. par exemple, ou encore sous le nez. Vous verrez peut-être une zone sombre sur le côté du nez ou sous la paupière inférieure. Vous pouvez ombrer légèrement les zones sombres avec votre crayon et étendre la couleur avec le bout du doigt si vous le voulez. Tachez de situer et de noircir les zones sombres exactement comme vous les voyez. Leur forme est déterminée par la structure osseuse du visage et la lumière moins vive qui les éclaire. Dans le chapitre suivant, j’expliquerai plus complètement l’utilisation des clairs et des sombres pour accentuer l’aspect tridimensionnel de vos dessins. Maintenant que vous avez lu toutes les directives, vous êtes prêt à dessiner. Placez votre modèle et votre feuille de papier. Délimitez la forme du visage. Visualisez-la sur votre feuille. Dirigez votre regard vers les espaces négatifs. Vous vous sentirez passer au mode-D. « Lorsqu’une certaine activité, comme la Après avoir terminé : Une fois le dessin terminé, peinture, devient un mode d’expression vous vous assoirez probablement en regardant habituel, il se peut que le fait de prendre son votre dessin et vous exercerez un regard différent matériel de peinture et de se mettre à de celui que vous exerciez pendant que vous y travailler avec ces instruments agisse de travailliez. Une fois le dessin achevé, vous le manière suggestive et provoque aussitôt un essor vers l’état supérieur ». considérerez d’un oeil plus critique, plus Robert Henri, The Art Spirit analytique. et vous remarquerez peut-être de légères erreurs, de petites différences entre le modèle et le dessin. C’est la façon de faire de l’artiste. Quittant le mode-D, son mode de travail, pour réintégrer le mode-G, l’artiste prévoit l’étape suivante, évalue le dessin en fonction des critères particuliers du cerveau gauche, prévoit les corrections nécessaires. Reprenant alors sa brosse ou son pinceau, l’artiste se remet à l’ouvrage et se replonge dans le mode-D, son mode de travail. Ces décrochages et reprises
154 successifs se poursuivent jusqu’à ce que l’ouvrage soit terminé, c’est-à-dire jusqu’à ce que l’artiste décide que le tableau n’a plus besoin d’être travaillé. Vous souhaitez peut-être vous replonger dans le dessin pour une seconde séance de pose. Gardez-vous cependant de dessiner sans que le modèle pose pour vous. Dès que vous essayez d’ « achever » un dessin sans vous référer au modèle, la porte des perceptions se referme brutalement et vous risquez de gâcher votre travail. Pour ces premiers dessins, il est particulièrement nécessaire d’avoir l’objet matériel sous les yeux. Avant de passer à la leçon suivante, relisez les instructions relatives à la vue de trois quarts et faites les exercices 10c, d et e. Fig. 10-24. Copie d'élève d’un dessin de maître. Sara Clippinger
FAITES FRONT : LE PORTRAIT DE FACE Avant de commencer :Cette fois encore, lisez d’abord toutes les directives. Revoyez les proportions du blanc au chapitre 9. Eliminez tous les travaux d’élèves. 1. Fixez une feuille sur votre planche avec du papier collant ou des punaises, choisissez la position de votre modèle, réglez une minuterie, etc. Ces préparatifs vous sont probablement déjà familiers. Exercices supplémentaires 10e. Copiez un dessin de maître d’une personne vue de trois quarts (voir figure 10-24). 10d. Si le premier portrait de trois quarts était celui d’une femme, copiez à présent le portrait d’un homme. 10e. Disposez deux miroirs et une lampe de manière à voir votre propre visage de trois quarts, la lampe y produisant un fort contraste de clairs et de sombres. Faites votre autoportrait de trois quarts en ombrant certaines formes plus foncées (voir page 176).
2. Cadrez la forme et attendez que vous apparaissent les espaces négatifs et la forme générale de la tête. Visualisez cette forme sur votre feuille blanche pour amorcer une conversion cognitive vers le mode-D. Faites une esquisse mentale afin de savoir où se placeront les traits du visage, le sommet de la tête, etc. et quelles seront leurs dimensions relatives.
155 3. En tenant votre crayon verticalement à bout de bras, vérifiez l’inclinaison de l’axe central. Tracez (très finement) la ligne du niveau des yeux. A présent vous pouvez commencer le dessin ; vous devez être passé au mode-D. 4. Vous pouvez commencer par n’importe quelle partie de la tête. Je donnerai de nouveau mes instructions dans un ordre particulier afin de les simplifier, mais il se peut que plus tard, vous adoptiez un ordre différent. 5. Placez les yeux (remarquez que l’espace entre les yeux est de la longueur d’un oeil). Voyez et dessinez le contour exact de chaque oeil. Les deux yeux sont souvent différents. Pour percevoir plus clairement les contours, fixez votre regard sur la forme au-dessus de l’oeil (entre la paupière supérieure et le sourcil) et utilisez cette forme comme un espace négatif. Observez la forme exacte des paupières, le mouvement précis des cils. Ne modifiez rien, ne repensez rien — dessinez simplement ce que vous voyez. 6. Le nez. En observant le modèle, visualisez un triangle joignant les coins extérieurs des yeux et la pointe du nez. Ce triangle présente une forme particulière pour chaque modèle. Visualisez ensuite le triangle sur votre dessin et faites une marque pour l’emplacement de la pointe du nez. Cette technique. conforme au mode-D, permet de percevoir correctement la longueur du nez — ce détail posant de fréquents problèmes aux élèves débutants. Observez ensuite sur votre modèle la largeur du nez au niveau des narines par rapport aux coins intérieurs des yeux. Observez les clairs et les sombres le long du nez. Dans la plupart des cas, vous verrez un clair d’un côté du nez et un sombre de l’autre côté. Si vous regardez attentivement, vous remarquerez que ces clairs et sombres ont une forme spécifique, déterminée par la lumière qui tombe sur la structure osseuse particulière de ce nez particulier. En dessinant le clair ou le sombre (il faut choisir l’un ou l’autre), vous reproduirez la structure osseuse du nez. Pour ce faire, dessinez l’un des côtés du nez, pas les deux. Chez la plupart des gens, les symboles figurant les narines sont particulièrement résistants. Dessinez les formes en dessous des narines afin de dépasser votre symbolisme. « Lorsqu’on dessine un visage, n’importe quel visage. c’est comme si des rideaux se levaient, comme si des masques tombaient l’un après l’autre ... jusqu’à ce que seul subsiste un dernier masque qu’on ne peut ni retirer ni réduire. Une fois le dessin terminé, j’en sais long sur ce visage, car aucun visage ne peut se dissimuler longtemps. Rien n’échappe à l’oeil mais tout est pardonné d’avance. Le regard ne juge pas, ne moralise pas, ne critique pas. Il accepte les masques avec gratitude comme il accepte que les longs bambous sont longs et que la gerbe d’or est jaune. » Frederick Franck The Zen of Seeing
7. La bouche. Evaluez la longueur de la lèvre supérieure par rapport à la longueur du nez, par exemple. Tracez la ligne médiane de la bouche en prenant garde qu’elle soit perpendiculaire à l’axe central. Il arrive souvent qu’on dessine la bouche en oblique, ce qui modifie étrangement l’expression. Notez avec un soin particulier la forme et la position des coins extérieurs de la bouche, ces derniers contribuant pour beaucoup aux nuances expressives du visage. Dessinez ensuite le contour extérieur des lèvres. La lèvre inférieure n’est parfois qu’une région plus sombre qui souligne la lèvre supérieure. Regardez attentivement votre modèle. Des traits épais figurant le bord des lèvres résultent souvent d’une perception incorrecte ou de l’interférence d’un symbole. En général, les bords des lèvres ne sont pas des contours abrupts mais de simples changements de coloration.
156 8. Le crâne. Mesurez sur votre modèle la distance entre le niveau des yeux et le sommet des cheveux et comparez-la à la distance entre le niveau des yeux et le menton. Marquez sur votre papier l’endroit où arrivera le point le plus excentrique du contour de la forme générale. Cela vous aidera à dessiner correctement la forme du visage. 9. Le visage. Notez la distance entre les traits et la limite extérieure du visage telle que vous la percevez. Quelle est cette distance par rapport à un élément que vous avez déjà dessiné, comme l’œil, le nez ou la bouche ? Quelle est la longueur du menton par rapport au nez que vous avez dessiné ? Toujours par la méthode du dessin de contour modifié, dessinez la forme du visage. 10. Les cheveux. Observez cette fois encore la forme extérieure de la chevelure et sa forme intérieure, là où elle rencontre le visage. Notez le mouvement général des cheveux, les endroits où ils se séparent et laissent des traces plus sombres. Observez et dessinez certains détails du mouvement de la coiffure et de la manière dont elle encadre le visage. Donnez au spectateur des informations suffisantes pour décrire l’aspect général de la coiffure. « Dépassez » votre symbolique en dessinant certaines régions complexes de la chevelure. Tâchez d’utiliser le même style de trait pour dessiner les cheveux que pour dessiner le visage — autrement dit, assurez-vous que le trait que vous utilisez reste le même du visage aux cheveux. La qualité du trait, l’intensité du ton et la précision des détails doivent rester constants pour le dessin des cheveux et le dessin du visage. Si vous avez employé un trait net et foncé pour dessiner le visage, par exemple, utilisez le même trait net et foncé pour dessiner les cheveux. Cette constance créera l’unité du portrait. Par contre, l’usage d’un trait net et foncé pour les traits du visage et d’un trait léger et imprécis pour les cheveux aboutirait à un dessin désuni. 11. Le cou, le col et les épaules. Vérifiez que la largeur des épaules soit suffisante par rapport à la largeur du visage. Utilisez les espaces négatifs pour dessiner le col (les espaces sous le col et autour de lui). Prenez soin que les épaules soient suffisamment larges. Une erreur fréquente parmi les élèves débutants consiste à dessiner des épaules trop étroites. Vérifiez à deux fois l’espace négatif au-dessus de l’épaule en vous demandant : « Où se situe la limite de l’épaule par rapport au contour du visage ? » 12. Achevez le dessin en reproduisant la merveilleuse complexité de tous ses contours et en ombrant, si vous le souhaitez, les zones que vous percevez comme des formes plus sombres. Après avoir terminé : Maintenant que vous avez observé avec grande attention le visage des autres, vous comprenez certainement ce que veulent dire les artistes lorsqu’ils prétendent qu’un visage humain est toujours beau.
TRAVAUX D’ELEVES Portraits de face En examinant les portraits d’élèves aux pages suivantes, tâchez de réviser mentalement les divers procédés utilisés par les artistes. Procédez vous-même aux différentes prises de mesures. Cela vous permettra d’améliorer votre technique et de vous exercer l’oeil. AU-DELÀ DU PORTRAIT
157 Terminez par les exercices 10f, g et h avant de poursuivre la lecture des instructions suivantes pour ombrer vos dessins. Cette technique vous permettra d’affiner les perceptions de votre regard fraîchement éveillé. Exercices supplémentaires Voyez dans les travaux d’élèves des exemples de portraits et de copies de dessins de maîtres. 10f. Cherchez un dessin de maître d’un visage vu de face. En copiant ce dessin vous approfondirez vos connaissances en matière de proportions et vous vous exercerez à utiliser les espaces négatifs, etc. Tout en dessinant, vous constaterez que la moindre modification de la longueur ou de l’orientation d’une ligne ou d’une forme altère l’expression du visage. Vérifiez toutes les proportions en mesurant avec votre crayon les divers éléments du dessin. Tournez le dessin la tête en bas si c’est nécessaire pour mieux percevoir les proportions. 10g. Si ce premier portrait de face était celui d’une femme, demandez à un homme qu’il pose pour vous. Faites-en le portrait de face, votre modèle portant cette fois un chapeau — de n’importe quel genre. Si vous avez copié le portrait d’un homme, demandez à une femme qu’elle pose pour vous. 10h. Asseyez-vous face à un miroir. une lampe vous éclairant d’un côté et faites votre autoportrait en observant la forme des ombres sur votre visage.
Georgette Zuleski. Exemple 10f.
John Boomer
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Kimberly Leyman. Exemple 10e.
Dolores Stewart
Urba Dean Bury
M. Shours Exemple 10g
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Bob Jean Exemple 10h
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161 Passage à la troisième dimension : voir la lumière pour dessiner les ombres L’ambition la plus grande des élèves est de donner aux formes un effet de tridimensionnalité en apprenant à « ombrer » le dessin. Cette technique se fonde sur la perception des variations de tons entre le clair et l’obscur. Les différents degrés de tonalité s’appellent valeurs. L’échelle complète des valeurs va du blanc pur au noir pur en passant littéralement par des milliers de nuances infimes. Dans un dessin au crayon, jeton le plus clair est le blanc de la feuille ellemême. Le ton le plus foncé s’obtient en groupant les traits en une zone aussi sombre que le permet la mine du crayon. Les tons intermédiaires s’obtiennent en manipulant le crayon suivant des procédés divers : le dessin en noir et blanc, la hachure, etc. Dans ce chapitre, je vous montrerai d’abord comment voir les ombres et je décrirai ensuite brièvement les différentes manières d’ombrer un dessin.
LE ROLE DU CERVEAU DROIT DANS LA PERCEPTION DES SOMBRES La réflexion de la lumière sur un objet nous révèle la forme de cet objet : les valeurs tonales des sombres et des clairs nous permettent de voiries formes dans leurs trois dimensions. Il est curieux de constater que, tout en utilisant l’opposition clair—sombre pour interpréter et identifier les objets, nous ne prêtons aucune attention, ou presque, aux formes spécifiques de ces clairs et sombres. Il semble qu’on ignore, ou qu’on dépasse, ces formes de la même manière qu’on ignore les images renversées ou les espaces négatifs. Après tout, les ombres ne sont d’aucune utilité pour le cerveau gauche si ce n’est pour les informations qu’elles lui fournissent et qui lui permettent d’identifier les objets tridimensionnels. Pourtant, les ombres (et les zones claires) peuvent être considérées comme des formes en soi, au même titre que les espaces négatifs et par le même procédé. Centrez d’abord votre regard sur une ombre (par exemple, l’ombre sur le visage d’Henry Fuseli, figure 11-2) et attendez un instant que le cerveau gauche, après avoir scruté cette forme sans la reconnaître, relègue le travail au cerveau droit — l’ombre vous apparaissant à ce moment comme une forme. Il est alors possible de dessiner ou de peindre cette forme sur votre feuille et elle fonctionnera pour le spectateur exactement de la même manière dont les ombres fonctionnent dans le monde réel : elle révélera la forme exacte de l’objet tridimensionnel, en l’occurrence le visage d’Henry Fuseli. (Si vous retournez le livre pour regarder, à l’envers, l’ombre du visage de Fuseli, celle-ci vous apparaîtra plus directement comme une forme).
Fig. 11. Echelle des valeurs
162 Je voudrais insister sur l’importance de la forme des ombres en m’exprimant d’une autre façon : la forme de l’ombre sur le visage du Fuseli est elle-même déterminée par la forme du nez, de la joue et du visage de l’artiste. Dès lors, si vous dessinez correctement cette ombre, vous dessinerez correctement la forme exacte du nez, de la joue et du visage d’Henry Fuseli. Dans le dessin ombré ce sont les formes des ombres qu’il faut être capable de voir et de dessiner. Et à l’intérieur des formes sombres, il faut pouvoir déceler les rapports de valeurs : quelles sont les formes sombres les plus foncées, quelles sont les plus neutres et quelles sont les plus claires. Ces perceptions particulières, comme toutes les techniques du dessin, s’exercent plus facilement une fois que s’est produite la conversion cognitive vers le mode de l’artiste. Les recherches récentes ont montré Fig. 1-2. Henry Fuseli (1741-1825), Portrait de l’Artiste. Avec l’aimable autorisation que l’hémisphère droit était spécialisé non du Musée Victoria et Albert, Londres. seulement dans la perception de la forme des ombres simples. mais encore dans « L’un des moments les plus heureux de la vie se l’interprétation des figures que certaines produit à cette fraction de seconde où le familier ombres forment entre elles. Les patients qui devient soudain l’aura éblouissante de souffrent de troubles de l’hémisphère droit l’intensément neuf ... Ces illuminations sont trop rares, plus singulières que régulières : et nous éprouvent souvent de grandes difficultés à sommes embourbés la plupart du temps dans le identifier les « figures ambiguës » complexes terre à terre et le trivial. Plus horrible encore : et fragmentaires comme celles que vous ce qui semble terre à terre est la matière même voyez à la figure 11-3. dont est faite la découverte. La seule différence Comment le cerveau droit arrive-t-il à cette vient de notre perspective, de notre volonté d’assembler les pièces d’une façon entièrement illumination qui lui permet de saisir la nouvelle et de voir un dessin là où seules signification de ces agencements de zones apparaissaient des ombres un instant plus tôt ». claires et sombres ? Apparemment par l’appréhension des rapports entre les Edward B. Lindaman, Thinking in Future Tense différentes formes qui s’agencent pour constituer l’ensemble. Le cerveau droit n’est nullement inhibé par l’absence de certains éléments et semble prendre plaisir à « saisir » l’image en dépit de son caractère fragmentaire. LUMIERE FAITE SUR LES FORMES SOMBRES Essayons. Si vous trouvez une personne bénévole qui accepte de poser pour vous, placez une lampe de sorte qu’un faisceau de forte lumière éclaire un des deux côtés de son visage, laissant des ombres noires et contrastées sur la moitié non éclairée. Si vous ne trouvez pas de modèle, vous pouvez vous dessiner vous-même en utilisant un miroir, ou vous pouvez vous servir de la photographie d’un visage fortement éclairé. Pour ces exercices, il vous faudra un pinceau (un pinceau à aquarelle n° 7 convient très bien ; vous pouvez également utiliser un pinceau japonais comme on en trouve dans la plupart des magasins de matériel d’artisanat). Il vous faudra aussi un flacon d’encre de Chine noire que vous pourrez vous procurer dans la plupart des papeteries.
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Fig. 11-3.
Avant de commencer : Lisez toutes les instructions pour ombrer votre dessin à l’encre de Chine, Assurez-vous de disposer d’un laps de temps relativement long et ininterrompu. Mes instructions étant consignées par écrit,je devrai désigner les formes par leur nom. Mais lorsque vous peindrez la première forme sombre et toutes celles qui suivront, essayer de ne pas nommer les traits du visage (le nez, les lèvres, etc.).
Fig. 11-4.
Fig. 11-5.
1. Le côté éclairé du visage sera rendu par le blanc de la feuille. Vous peindrez la forme des ombres à l’encre noire. Vous n’utiliserez que deux valeurs, le blanc et le noir— pas de ton intermédiaire. Le but de l’exercice est de vous apprendre a voir la forme des ombres. 2. Fixez votre regard sur une ombre, par exemple l’ombre qui longe le nez. Attendez qu’elle vous apparaisse comme une forme. Une fois que vous en distinguez nettement la forme,
164 dessinez-la à l’encre avec votre pinceau. (Voir figure 11-4, un exemple de l’aspect que peut prendre cette forme.) 3. Observez la forme suivante, par exemple l’ombre en dessous de la lèvre supérieure. Dessinez cette ombre. 4. Tournez les yeux vers la forme suivante, par exemple celle qui se trouve sous la lèvre inférieure. Observez cette forme en la comparant à celles que vous avez déjà dessinées. Dessinez cette ombre (figure 11-5).
Fig. 11-6.
Fig. 11-7.
5. Etant donné que toute une moitié du visage se trouve dans l’ombre, dessinez cette vaste forme telle que vous la percevez (figure 11-6). 6. Regardez maintenant les petites ombres du côté éclairé du visage et attendez qu’elles vous apparaissent comme des formes. Noircissez ces formes en les peignant à l’encre et en observant leurs proportions par rapport à celles d’autres formes déjà dessinées. 7. Essayez de discerner la forme des ombres du côté éclairé du chapeau. Peignez-les telles que vous les voyez, dans leurs moindres détails. Evitez les formes symboliques — recherchez la forme exacte des ombres (figure 11-7). 8. Achevez votre dessin à l’encre. L’espace négatif derrière la tête peut être peint comme une forme sombre mais vous pouvez aussi conserver le blanc de la feuille (figure 11-8).
165 Après avoir terminé : Vous avez peutêtre été surpris au moment où votre dessin vous est apparu comme un visage. A cet instant, la force tridimensionnelle du dessin s’est imposée à votre conscience. Il semble que ce soit un phénomène courant : vous dessinez quelques formes qui ne semblent rien composer de particulier ; puis, subitement, vous « saisissez » l’image et vous vous extasiez intérieurement : « Ça marche ! » Si cette expérience vous a échappé lors de ce premier dessin, essayez-en un autre. Une manière efficace pour vous accoutumer à ce type de dessin est de copier une image comme l’autoportrait de Rembrandt à la figure 11-9. Si votre cerveau gauche s’obstine à intervenir, retournez le Rembrandt la tête en bas et copiez-le de cette façon, à l’encre et au pinceau. Vous remarquerez Fig. 11-8. que l’encre et le pinceau permettent particulièrement bien d’apprendre à percevoir les ombres. Etant donné qu’il n’est pas possible de gommer, vous êtes forcé de regarder très soigneusement la forme des ombres avant de poser le pinceau sur le papier.
Fig. 11-9. Rembrandt Van Rijn. Autoportrait (1634). Avec l’aimable autorisation du Kaiser-Friedrich Museum, Berlin.
LA HACHURE DES OMBRES PLUS CLAIRES
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Fig. 11-10.
Fig. 11-11
Quand vous aurez l’impression d’avoir vraiment perçu la forme des ombres grâce à la technique de l’encre et du pinceau, vous serez prêt à ajouter d’autres valeurs que le blanc et le noir à votre dessin —les tons intermédiaires de gris. Toutes sortes de techniques et de procédés s’offrent à vous. La hachure est la technique la plus utile. Je vous en instruirai brièvement. La hachure peut revêtir diverses formes, vous adopterez bientôt votre style personnel de hachure, de même que vous possédez déjà votre propre style de trait. 1. La hachure consiste en plusieurs séries de traits courts, rapides et parallèles, une série se superposant à une autre jusqu’à ce qu’on obtienne la valeur souhaitée. Commencez par une « série » unique (figure 10-11). 2. Repassez la première série de traits avec une seconde série de traits parallèles qui recoupent les premiers (voir figure 11-11)). Notez que la direction des seconds traits s’écarte très peu de la direction des premiers. 3. Changez votre main de position et repassez une troisième fois les traits. 4. Ajoutez de nouvelles séries de traits en évaluant la valeur du ton et en adoucissant les transitions entre les tons si c’est nécessaire. (La figure 11-12 illustre l’emploi de la hachure pour « ombrer » une sphère.) Comme vous le voyez, la hachure rend la surface plus réelle et donne un reflet d’air et de lumière entourant la forme.
167 Exercices supplémentaires 11a. Au fusain ou au crayon. faites l’autoportrait de Kathe Kollwitz à la figure 11-15. Notez la complexité des ombres autour des yeux. N’oubliez pas de visualiser un triangle pour placer l’oreille. 11b. Au pinceau et à l’encre de Chine, copiez l’autoportrait de Rembrandt à la figure 11-9. 11c. Examinez l’utilisation de la hachure dans la nature morte de Morandi à la figure 11-13. Disposez quelques objets pour une nature morte. Placez une lampe de côté et utilisez votre propre style de hachure. 11d. Dessinez un sac de papier au crayon comme l’a dessiné un élève à la figure 11-14.
Fig. 11-12.
11e. Utilisez le fusain pour dessiner un portrait comme ceux des figures 11-15 et 11-17. 11f. Recouvrez complètement une feuille de papier à dessin d’un ton uni avec le fusain. Dessinez votre autoportrait en utilisant une gomme pour effacer les formes claires. 11g. Peignez un portrait à l’encre de Chine allongée d’eau en reproduisant le dessin des clairs et des sombres comme à la figure 11-18.
EN RESUME Ce chapitre n’a été qu’une brève initiation aux plaisirs qu’on éprouve à dessiner avec l’ombre et la lumière. Les exercices 11a à 11g vous permettront d’améliorer vos aptitudes et vos techniques dans la perception et la reproduction des effets d’éclairage sur les formes tridimensionnelles. Pour vos progrès futurs, il convient de noter que les exercices à l’encre de Chine et au pinceau vous mènent directement à la peinture et au monde fantastique de la couleur. Votre voyage ne fait que commencer.
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Fig. 11-13. Giorgio Morandi, Grande Nature morte avec cafetière (1934). Avec l’autorisation du Fogg Art Museum, Université de Harvard.
Fig. 11-14.
Fig. 11-15. Kathe Kollwitz (1867-1945). Autoportrait de profil. Avec l’aimable autorisation du Fogg Art Museum.
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Fig. 11-16. Ly Chen Sreng
Fig. 11-18. G. Smith
Fig. 11-17. Tom Nelson
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171 Le Zen du dessin : la révélation de l’artiste Au début de ce livre, j’ai dit que le dessin était un procédé magique. Quand votre cerveau est las de jacasser sans cesse, le dessin vous permet de taire ses bavardages et de saisir la vision fugitive d’une réalité transcendante. Par les moyens les plus directs, vos perceptions visuelles traversent votre organisme en passant par les rétines, les nerfs optiques, les hémisphères cérébraux, les nerfs moteurs, pour transformer en un tour de magie votre banale feuille de papier en une image directe de vos réactions originales, de votre vision de la perception. Et votre vision personnelle vous révélera aux yeux du spectateur, quel que soit le sujet de votre dessin. « Pour transformer le monde nous devons De plus, le dessin peut également vous commencer par nous-même :et ce qui importe en révéler à vos propres yeux, dévoilant commençant par nous-même, c’est l’intention. certains aspects de vous-même que votre Notre intention doit être de nous comprendre conscience verbale vous dissimulait. Vos nous-même et de ne pas laisser aux autres le soin dessins peuvent vous apprendre la manière de se transformer eux-mêmes ... Telle est notre responsabilité, la vôtre et la mienne : car, aussi dont vous voyez les choses et dont vous les petit que soit le monde dans lequel nous vivons, si ressentez. Vous dessinez d’abord avec le nous apportons un point de vue nouveau à notre mode-D, en communiquant silencieusement existence quotidienne,peut-être serons-nous alors avec votre dessin. Ensuite, repassant au capables de toucher le monde tout entier. » mode de la parole, vous pouvez interpréter J. Krishnamurti, « Self Knowledge », in The First vos sentiments et vos perceptions en and Last Freedom exploitant les puissantes facultés de votre cerveau gauche — la parole et la pensée rationnelle. Lorsque le dessin est incomplet ou inaccessible à la parole et à la logique rationnelle, un retour au mode-D peut produire l’intuition et l’appréhension analogique nécessaires pour répondre à la question. Il se peut également que les hémisphères travaillent en coopération en un nombre indéfini de combinaisons possibles.
Les exercices de ce manuel ne constituent bien sûr qu’un premier pas vers la connaissance de vos deux esprits et de la manière d’en exploiter le double potentiel. Le bref aperçu de vousmême conquis grâce au dessin vous laisse libre désormais de voyager seul. Une fois sur cette voie, vous aurez toujours l’impression que le dessin suivant vous permettra de voir plus fidèlement, de saisir plus exactement la nature de la réalité, d’exprimer l’inexprimable, de percer le secret derrière le secret. Comme l’a dit le grand artiste japonais Hokusai, on n’a jamais fini d’apprendre le dessin.
« La vie du Zen commence par l’ouverture du satori. Le satori peut se définir comme une appréhension intuitive par opposition à la compréhension intellectuelle et logique. Quelle qu’en soit la définition, satori signifie le déploiement d’un monde nouveau jusqu’alors imperçu. » D.T. Suzuki, « Satori », in An Introduction to Zen Buddhism
Une fois converti à une nouvelle manière de voir, vous en viendrez peut-être rechercher l’essence des choses, ce mode de connaissance se rapprochant singulièrement du concept de satori en philosophie Zen, tel qu’il est décrit dans la citation de D.T. Suzuki. A mesure que se déploient vos perceptions, votre approche des problèmes se modifie ; vous corrigez vos anciennes erreurs de perception et vous retirez l’un après l’autre les masques de stéréotypes qui dissimulent la réalité et vous empêchent de voir clair.
172 Ayant accès au potentiel complet des deux parties de votre cerveau et aux différentes combinaisons possibles entre les potentiels distincts de ses deux hémisphères, vous avez le champ libre pour prendre plus intensément conscience de la réalité et pour mieux dominer les processus verbaux qui déforment la pensée — parfois au point de provoquer des troubles physiques. La pensée rationnelle et systématique est certainement vitale dans notre civilisation, mais il est également vital pour notre civilisation de comprendre comment le cerveau de l’homme façonne son comportement.
« Depuis l’âge de six ans, j’ai la manie de dessiner la forme des choses. A cinquante ans, j’avais publié une infinité de dessins mais aucun de ceux que j’ai publié avant l’âge de soixantedix ans ne vaut la peine d’être retenu. A soixante-treize ans, je connaissais un peu la structure véritable de la nature. des animaux, des plantes. des oiseaux. des poissons et des insectes. Par conséquent, lorsque j’aurai quatrevingts ans, j’aurai progressé davantage : à quatre-vingt-dix ans, je pénétrerai le mystère des choses ; à cent ans je franchirai une étape merveilleuse : et quand j’aurai cent et dix ans, tout ce que je ferai, que ce soit simplement un point ou une ligne, sera vivant ». Ecrit à l’âge de soixante-quinze ans par moi, jadis Hokusai, aujourd’hui Owakio Rojin, vieil homme fou du dessin.
Grâce à l’introspection, vous pouvez vous lancer dans cette recherche, en mettant en place votre « observateur caché » et en apprenant, du moins dans une certaine mesure, comment fonctionne votre propre cerveau. En observant votre cerveau au travail, vous approfondirez vos facultés de perception et vous pourrez exploiter le potentiel de chacune de ses moitiés. Face à un problème, vous aurez le choix entre deux perspectives : l’une abstraite, verbale et rationnelle ; l’autre globale, informulée et intuitive. Tirez parti de ce double potentiel. Dessinez tout et n’importe quoi. Aucun sujet qui soit trop ardu ou trop aisé, rien qui ne soit beau. Tout n’est que matière à dessiner— un petit carré d’herbes folles, un verre brisé, un paysage tout entier, un être humain.
« L’une des caractéristiques des grands dessins, est l’acceptation sincère par l’artiste de son propre style et personnage. C’est comme si, au nom de l’artiste, le dessin disait me voici ». Nathan Goldstein, The Art of Responsive Drawing
Continuez d’étudier. L’accès aux grand maîtres de jadis et d’aujourd’hui vous est facilité par de nombreux livres d’art de prix raisonnable. Etudiez les maîtres, non pour copier leur style mais pour lire leur pensée. Qu’ils vous apprennent à voir d’une façon nouvelle, à voir la beauté dans la réalité, à inventer des formes originales et à ouvrir de nouvelles perspectives. Observez votre style qui se crée. Protégez-le, nourrissez-le. Donnez-lui le temps nécessaire pour qu’il se développe et qu’il s’affirme. Lorsqu’un dessin ne marche pas bien, gardez l’esprit calme et serein. Cessez un moment cet interminable monologue intérieur. Sachez que tout ce que vous devez voir ce trouve là, devant vous. Armez-vous chaque jour de votre crayon. N’attendez pas un moment précis, une inspiration. Comme vous l’avez appris grâce à ce livre, c’est à vous qu’il appartient de vous préparer et de créer les conditions qui favoriseront votre envol vers cet état de conscience différent-del’ordinaire, propice à une vision claire des choses. Avec la pratique, votre esprit effectuera cette démarche toujours plus facilement. Mais si vous la négligez, cette faculté peut de nouveau vous échapper. Apprenez à dessiner à une autre personne. Une révision du cours serait d’une utilité inestimable. Les leçons que vous donneriez vous permettraient de mieux comprendre encore la démarche qu’implique le dessin et elles ouvriraient de nouveaux horizons à d’autres personnes.
173 Aiguisez vos facultés de visualisation ; exercez-vous à voir avec « l’oeil de l’esprit ». Quel que soit l’objet que vous dessinez, il se gravera dans votre mémoire. Evoquez ces images ; revoyez les dessins de maîtres que vous avez étudiés, les visages d’amis que vous avez dessinés. Imaginez aussi des décors que vous n’avez jamais vus et dessinez ce que vous voyez avec l’oeil de l’esprit. Le dessin permettra de donner à cette image une vie et un réalisme tout particuliers. Tirez parti de vos facultés de visualisation pour résoudre vos problèmes courants. Envisagez les difficultés de divers point de vue et suivant des perspectives différentes. Voyez-en les différentes composantes dans leurs véritables proportions. Eduquez votre cerveau à travailler sur un problème pendant que vous dormez, que vous vous promenez ou que vous dessinez. Retournez le problème sous toutes ses faces. Imaginez des dizaines de solutions sans les censurer ou les réviser. Prenez le problème comme un jeu et appliquez-lui le mode « midérisoire mi-sérieux » de l’intuition. Il est probable que la solution se présente sous une forme parfaite au moment où vous vous y attendez le moins. En exerçant les facultés de votre cerveau droit, vous apprendrez à percevoir toujours plus profondément la nature des choses. Lorsque vous regarderez les gens et les objets qui vous entourent, imaginez que vous les dessinez et vous les verrez alors différemment. Vous les verrez d’un oeil éveillé, l’oeil de l’artiste qui vous habite.
« Un moine demandait à son maître : ‘Qu’est-ce que mon moi ?’ Le maître répondit : ‘Il y a quelque chose de caché dans les profondeurs de ton moi, et il faut apprendre à connaître son activité secrète’. Le moine demanda alors qu’on lui dise quelle était cette activité secrète. Le maître se contenta d’ouvrir et de fermer les yeux ». Frederick Franck, The Zen of Seeing
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Postface A L’ATTENTION DES PROFESSEURS ET DES PARENTS En tant que professeur et en tant que parent, je me suis particulièrement intéressée à la recherche de nouvelles méthodes d’enseignement. Comme la plupart des autres professeurs et des autres parents,j’ai pris réellement conscience — parfois douloureusement — que l’enseignement et son pendant, l’apprentissage, étaient des démarches d’une imprécision extrême, des opérations menées la plupart du temps à l’aveuglette. Il arrive que les élèves n’apprennent pas ce que nous pensions leur enseigner et ce qu’ils apprennent en réalité n’est pas toujours ce que nous prétendions leur inculquer. J’ai le souvenir d’un cas qui illustre de manière frappante les difficultés qu’on éprouve à communiquer ce qui doit être appris. Vous avez peut-être vous-même connu ou entendu parler d’une expérience semblable avec un élève ou votre propre enfant. Il y a de cela de nombreuses années, le fils d’une amie à qui je rendais visite revint de l’école tout excité par ce qu’il avait appris. Il était en première année et l’instituteur avait commencé la classe par une leçon de lecture. L’enfant, Gary, annonça qu’il avait appris un nouveau mot. « C’est très bien, Gary», dit sa mère. « Quel est ce mot ? » Il réfléchit un instant puis répondit: «Je vais te l’écrire ». Sur une petite ardoise, l’enfant écrivit soigneusement : MAISON. « C’est très bien, Gary », dit sa mère. « Qu’est-ce que ça veut dire ? » Il regarda le mot, puis sa mère et dit sur un ton de constatation : « Je ne sais pas ». L’enfant avait apparemment appris l’aspect extérieur du mot — il avait parfaitement appris la formule visuelle du mot. L’instituteur, toutefois, enseignait un autre aspect de la lecture — ce que les mots signifient, ce que les mots représentent ou symbolisent. Comme il arrive souvent, ce que l’instituteur avait enseigné et ce que Gary avait appris étaient singulièrement différents. Comme il s’est avéré par la suite, le fils de mon amie assimilait toujours mieux et plus rapidement la matière visuelle, mode d’apprentissage que semblent obstinément préférer un certain nombre d’élèves. Malheureusement, le monde de l’école est un monde essentiellement verbal et symboliste et les élèves comme Gary doivent s’adapter ; ils doivent abandonner leur mode d’apprentissage préféré et apprendre à la manière que leur impose l’école. Le fils de mon amie a heureusement réussi la conversion, mais combien d’autres sont abandonnés en chemin ? Ce changement forcé de style d’apprentissage est relativement comparable à l’obligation d’écrire de la main droite. C’était jadis une coutume très répandue que de contraindre les personnes qui étaient naturellement gauchères à devenir droitières. Il se peut qu’à l’avenir nous en venions à considérer le système éducatif qui force les enfants à changer leur mode naturel d’apprentissage avec autant de mépris que nous considérons aujourd’hui l’idée de les obliger à écrire de la main droite. Nous serons bientôt capables de tester les enfants pour déterminer leur style d’apprentissage optimal et pour choisir dans un éventail de méthodes d’enseignement, celle qui garantira à l’enfant un apprentissage à la fois visuel et verbal. Les professeurs ont toujours su que les enfants n’apprenaient pas tous de la même manière et depuis longtemps maintenant, les personnes responsables de l’éducation des jeunes espèrent que les progrès des recherches sur le cerveau apporteront quelque lumière sur la manière de dispenser un enseignement de qualité égale à tous les élèves. Jusqu’il y a quinze ans environ, les nouvelles découvertes sur le cerveau semblaient surtout utiles à la science. Mais ces
175 découvertes trouvent aujourd’hui des applications dans d’autres domaines et les recherches récentes dont j’ai souligné l’importance dans ce livre promettent d’apporter une base solide pour un changement fondamental des techniques d’enseignement. David Galin, entre autres chercheurs, a défini trois tâches essentielles pour les enseignants : primo, de viser au développement des deux hémisphères cérébraux — pas seulement l’hémisphère gauche verbal, symboliste et logique, qui a toujours fait l’objet des soins de l’enseignement traditionnel, mais encore l’hémisphère droit, spatial, relationnel et global qui est largement négligé dans le système scolaire actuel : secundo, d’apprendre aux élèves à adopter le mode cognitif convenant à une tâche donnée ; et, tertio, d’apprendre aux élèves à faire appel aux deux modes cognitifs — aux deux hémisphères — de manière intégrée pour la résolution d’un problème donné. Quand les enseignants seront capables de coupler les modes complémentaires ou de sélectionner celui qui convient à une tâche donnée, alors l’enseignement et l’apprentissage deviendront des processus plus précis, l’objectif ultime étant de développer les deux moitiés du cerveau. Les deux modes de connaissance sont également nécessaires à la totale exploitation des facultés humaines ainsi qu’à toute oeuvre de création quelle qu’en soit la nature — littérature, peinture, découverte de nouvelles théories en physique ou étude de problèmes écologiques. Il s’agit d’un objectif difficile à assigner aux enseignants à cette époque où le système scolaire est attaqué de toutes parts. Mais notre société évolue rapidement et il est de plus en plus malaisé de prévoir quelles seront les facultés les plus indispensables pour les générations à venir. Bien que nous nous soyions fiés jusqu’ici à la moitié gauche, la moitié rationnelle, du cerveau humain pour planifier l’avenir de nos enfants et pour résoudre les problèmes qu’ils pourraient rencontrer en chemin vers cet avenir, l’évolution radicale qui nous bouleverse ébranle la confiance que nous avions placée dans la réflexion technologique et dans les vieilles méthodes d’enseignement. Sans abandonner pour autant le développement des aptitudes du langage et de la logique arithmétique, des professeurs consciencieux recherchent des techniques d’enseignement qui rehaussent les facultés intuitives et créatives des enfants, les préparant ainsi à affronter les difficultés nouvelles avec un esprit souple. inventif et imaginatif, à saisir les ensembles complexes d’idées et de faits intimement liés, à percevoir les principes généraux à la base des phénomènes, et à considérer les anciens problèmes sous un angle nouveau. Et vous-même, en tant que parent ou en tant que professeur, que pouvez-vous espérer faire aujourd’hui pour favoriser le développement égal des deux hémisphères cérébraux d’un enfant ? Il importe d’abord de connaître les fonctions spécifiques et les modes d’opération caractéristiques de chaque hémisphère. Des ouvrages tels que celui-ci peuvent vous permettre de comprendre l’essentiel de la théorie et d’effectuer vous-même la conversion d’un mode cognitif à l’autre. Je suis convaincue que l’expérience personnelle est un point extrèmement important, voire essentiel, pour le professeur qui souhaite transmettre son savoir aux autres. En second lieu, vous devriez connaître l’effet de certains exercices sur l’activation de l’un ou l’autre hémisphère et vous devriez essayer de déterminer la moitié du cerveau que les élèves utiliseront, en créant les conditions ou en dictant les opérations qui favoriseront la conversion d’un mode cognitif à l’autre. Vous pourriez par exemple demander aux élèves de lire un texte en s’intéressant aux faits, et leur proposer d’exprimer oralement ou par écrit leurs impressions. Vous pourriez ensuite leur demander de lire le même passage en s’attachant à la
176 signification ou au contenu caché du texte, accessible par l’imagerie ou la pensée métaphorique. Pour ce mode d’apprentissage, vous pourriez solliciter un commentaire sous forme de poème, de peinture, de danse, de devinette, de calembour, de fable ou de chanson. D’autre part, certains types de problèmes d’arithmétique ou de mathématique exigent une réflexion logique linéaire. Pour d’autres, il faut procéder à des rotations imaginaires de formes dans l’espace ou à des manipulations de nombres qui s’exécutent plus commodément par la visualisation mentale des schémas appropriés. Tâchez de découvrir, en étudiant vos propres démarches mentales. ou en observant vos élèves, quelle sont les opérations qui conviennent au style de l’hémisphère droit, celles qui conviennent au style de l’hémisphère gauche et celles qui exigent le fonctionnement complémentaire ou simultané des deux hémisphères. Vous pourriez également procéder à certaines expériences en variant les conditions ambiantes de votre classe — du moins certaines conditions dont vous avez le contrôle. Le monologue ininterrompu du professeur, ou les discussions entre élèves, par exemple, tendent à enfermer ces derniers dans le carcan du mode cognitif de l’hémisphère gauche. Si vous pouvez mener vos élèves à effectuer une conversion profonde vers le mode-D, vous obtiendrez une condition ambiante très rare dans les classes modernes : le silence. Non seulement les élèves garderont le silence mais encore seront-ils absorbés par le problème à résoudre. attentifs et confiants, alertes et satisfaits. Apprendre devient un agrément. Cet aspect du mode-D vaut à lui seul qu’on s’y attache. Efforcez-vous d’encourager et de préserver ce silence. J’ajouterai ce dernier conseil : tentez l’expérience de modifier la disposition des bancs ou l’éclairage. Les mouvements physiques, surtout quand ils sont structurés comme dans le cas de la danse, peuvent produire une conversion cognitive. La musique favorise les conversions vers le mode-D. Le dessin et la peinture, comme vous l’avez appris ici, provoquent des conversion radicales vers le mode-D. Vous pouvez créer un langage original, par exemple un langage illustré par lequel les élèves pourraient communiquer en classe. Je vous conseille d’utiliser le tableau aussi souvent que possible — non seulement pour y écrire des mots, mais aussi pour y tracer des dessins, des graphiques, des illustrations, des schémas. L’idéal serait de représenter chaque information suivant deux modes distincts : le mode verbal et le mode pictographique. Vous pourriez tenter de réduire le contenu verbal de vos cours en adoptant un mode de communication non verbal quand cela vous semble approprié. Enfin, j’espère que vous mettrez en oeuvre toutes vos facultés intuitives pour créer de nouvelles méthodes d’enseignement, et que vous ferez part de ces méthodes à vos collègues en participant à des séminaires ou à des publications pédagogiques. Vous utilisez probablement déjà—intuitivement ou rationnellement — de nombreuses techniques qui favorisent les conversions cognitives. En tant que professeurs, nous devons partager nos découvertes tout comme nous partageons l’objectif commun de préparer, pour nos enfants, un avenir harmonieux, cohérent et favorable à l’exploitation intégrale de leurs facultés cérébrales. En tant que parents, nous pouvons contribuer largement à la réalisation de cet objectif en aidant nos enfants à développer des modes nouveaux qui leur permettront d’accéder à la connaissance du monde — le mode verbal/analytique et le mode visuel/spatial. Pendant les premières années, déterminantes, de l’enfance, les parents ont le pouvoir de façonner l’avenir de leurs enfants en empêchant la réflexion verbale de masquer les autres aspects de la réalité. Les recommandations les plus essentielles que je voudrais adresser aux parents concernent l’usage des mots ou plutôt, le « non-usage » des mots.
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Dessins réalisés par un élève en quatrième année primaire : trois leçons entre le 15 avril et le 19 avril 1977. Période d’instruction : quatre jours.
Je pense que nous sommes trop volontiers enclins à nommer les choses quand nous nous adressons à de jeunes enfants. En nous contentant de nommer les choses, sans plus d’information, lorsqu’un enfant nous demande « Qu’est-ce que c’est ? », nous lui laissons croire que seuls, le nom ou l’étiquette d’une chose sont importants, que la dénomination est suffisante. Nous défendons à nos enfants la voie de l’interrogation et de la découverte en classifiant les éléments du monde réel. Au lieu de nous contenter de nommer un arbre, tâchons également de guider notre enfant dans une exploration à la fois physique et mentale de l’arbre. Cette rencontre peut s’effectuer de diverses manières, en touchant, en sentant, en regardant l’arbre sous des perspectives différentes, en le comparant avec un autre, en en imaginant l’intérieur ou la partie souterraine, en écoutant le bruit des feuilles, en observant l’arbre à différentes heures du jour ou selon les saisons, en plantant ses graines, en étudiant son utilité pour d’autres créatures vivantes — les oiseaux. les mites, les insectes, et ainsi de suite. Ayant découvert que chaque chose est fascinante et complexe, l’enfant comprendra que l’étiquette n’est qu’une partie infime de l’ensemble. Ainsi éduqué, il conservera son sens de l’interrogation malgré l’avalanche de mots qui nous accable à cette époque. Pour encourager les aptitudes artistiques de votre enfant, je vous conseille de le confronter très tôt à une profusion de matériaux artistiques et au type d’expérience perceptuelle que je viens de décrire. Votre enfant progressera de manière relativement prévisible suivant les différents stades du développement artistique infantile. S’il vous appelle à l’aide pour un dessin, répondez-lui donc : « Allons voir de plus près ce que tu essaies de dessiner ». Les perceptions nouvelles deviendront ainsi partie intégrante des représentations symboliques. Les professeurs comme les parents peuvent utilement aborder les problèmes des jeunes artistes, problèmes dont j’ai parlé dans cet ouvrage. Comme je l’ai expliqué, le dessin réaliste est un stade que les enfants doivent dépasser vers l’âge de dix ans. Les enfants veulent apprendre à voir et ils méritent qu’on leur accorde l’aide qu’ils réclament. Les séries d’exercices de ce manuel — y compris l’exposé relativement simplifié sur les fonctions des hémisphères cérébraux — peuvent s’appliquer à des élèves de dix ans. On peut choisir pour les dessins à l’envers des sujets qui intéressent les adolescents (par exemple, le dessin réaliste et « bien fait » de héros et d’héroïnes de bandes dessinées en pleine action). Les dessins d’espaces négatifs et de contour attirent également les enfants de cet âge car ils leur permettent d’appliquer directement les techniques nouvelles dans leurs dessins courants. (Voir l’illustration du progrès réalisé par un élève de dix ans en quatrième année primaire, en quatre jours d’instruction). Le portrait présente un attrait particulier pour ce groupe d’âge et les adolescents arrivent à dessiner parfaitement leurs amis ou leurs parents. Une fois leur crainte de l’échec surmontée, les jeunes travaillent le dessin avec zèle afin de perfectionner leurs techniques et le succès rehausse leur confiance et leur estime de soi.
178 Mais l’importance du dessin pour l’avenir, comme vous l’ont appris les exercices de ce manuel, est d’ouvrir véritablement l’accès aux fonctions de l’hémisphère droit et d’en assurer le contrôle. Grâce au dessin, les enfants apprennent à voir et ils deviendront peut-être ainsi des adultes qui exploitent totalement leurs facultés cérébrales. Dessins réalisés par un élève en quatrième année primaire : Trois leçons entre le 15 avril et le 19 avril 1977. Période d’instruction : quatre jours.
A L’ATTENTION DES ELEVES DES BEAUX-ARTS Pour de nombreux artistes contemporains reconnus, la technique du dessin réaliste n’est pas importante. Il est vrai que, d’une manière générale, l’art contemporain n’exige pas nécessairement de dispositions pour le dessin, et l’art véritable — même le grand art — fleurit dans les réalisations d’artistes modernes qui ne savent pas dessiner. La valeur de leur production artistique vient, je suppose, d’une sensibilité esthétique cultivée par d’autres moyens que les méthodes fondamentales de l’enseignement traditionnel dans les écoles des beaux-arts : le dessin et la peinture d’après nature, la nature morte et le paysage. Les artistes contemporains dédaignant souvent l’aptitude au dessin comme une donnée superflue, les élèves néophytes des beaux-arts se trouvent dans une double impasse. Rares sont les élèves qui se sentent suffisamment sûrs de leurs aptitudes créatives et de leurs chances de réussite dans le monde artistique pour se passer totalement de suivre des cours. Pourtant, les oeuvres d’art modernes qu’ils voient dans les musées ne semblent exiger la connaissance d’aucune technique classique et ils ont l’impression que les méthodes traditionnelles ne répondent pas à leurs aspirations. Pour se sortir de cette double impasse, les élèves évitent souvent d’apprendre le dessin réaliste et s’installent aussitôt que possible dans un style conceptuel étroit, à l’imitation des artistes contemporains qui recherchent souvent un style original et répétitif qui les identifie comme une signature. Pour l’Anglais David Hockney, cette étroitesse de vue est un piège pour l’artiste (voir la citation au chapitre 1). II s’agit en tout cas d’un piège pour les élèves des beaux-arts qui, trop souvent, se forcent à s’installer dans des structures répétitives. Ils essayent peut-être de s’exprimer à travers l’art avant même de savoir ce qu’ils ont à dire. D’après l’expérience que j’ai tirée de l’enseignement du dessin à différents niveaux, j’aimerais adresser quelques recommandations à tous les élèves des beaux-arts, et particulièrement aux débutants. Primo, n’ayez crainte d’apprendre le dessin réaliste. Les techniques du dessin, élémentaires pour toute forme d’expression artistique, n’ont jamais interdit l’accès aux sources de la créativité. Picasso, qui dessinait divinement, fut l’exemple vivant de ce principe et l’histoire regorge de cas semblables. Les artistes qui apprennent à bien dessiner ne produisent pas pour autant des oeuvres ennuyeuses ou d’un réalisme pédant. Les artistes dont les créations sont réellement pédantes et ennuyeuses aboutiraient sans doute à un résultat identique s’ils s’adonnaient à l’art abstrait ou non figuratif. Les techniques du dessin n’inhiberont jamais votre créativité, au contraire, elles la stimuleront. Secundo, tâchez de comprendre l’importance qu’il y a d’apprendre à bien dessiner. Le dessin vous permet de voir les choses à la manière originale de l’artiste, comme des révélations, quel que soit le style que vous adoptiez pour exprimer votre vision. A travers le dessin, vous devriez vous attacher à connaître la réalité de l’expérience — voir toujours plus clairement, toujours plus profondément. Naturellement, vous pourriez développer votre sensibilité
179 esthétique par d’autres moyens que le dessin comme la méditation, la lecture ou les voyages. Mais, c’est ma conviction, ces autres voies sont, pour un artiste, plus aléatoires et moins fructueuses. En votre qualité d’artiste vous serez plus certainement amené à utiliser des moyens visuels d’expression : or le dessin affine les perceptions visuelles. Enfin, dessinez chaque jour. Dessinez ce que vous voulez : un cendrier, une pomme à demi grignotée, une personne, une brindille. J’ai déjà donné ce conseil dans le dernier chapitre de ce livre et je le répète ici parce qu’il est spécialement important pour les élèves des beaux-arts. Dans un sens, l’art c’est comme l’athlétisme : si vous ne vous entraînez pas, les facultés visuelles s’émoussent et s’amollissent. Le but du dessin n’est pas de tracer des lignes sur une feuille de papier, tout comme le but du jogging n’est pas de se rendre à un endroit précis. Vous devez exercer votre regard sans trop prendre garde au produit de vos exercices. Vous pouvez choisir vos meilleurs dessins et jeter les autres ou même les jeter tous. L’objectif de vos séances de dessin quotidiennes devrait être de vous apprendre à voir toujours plus en profondeur.
Glossaire Apprentissage : Toute modification relativement stable du comportement, résultant de l’expérience ou de la pratique. Art abstrait : Une transposition dans le dessin, la peinture, la sculpture ou le design, d’un objet ou d’une expérience de la vie réelle. Implique généralement la mise en évidence, l’emphase ou l’exagération d’un aspect particulier de la manière dont l’artiste perçoit la réalité. A ne pas confondre avec art non figuratif. Art non figuratif : Forme d’art qui ne s’attache pas à reproduire l’apparence d’objets ou d’expériences du monde réel, ou à produire l’illusion de la réalité. Egalement appelé art non objectif ou non représentatif. Art réaliste: Représentation objective des objets, des formes et des figures délibérément perçus. Appelé aussi « naturalisme ». Axe central : Les traits du visage sont plus ou moins symétriques et se situent de part et d’autre d’une ligne verticale imaginaire traversant le visage en son centre. Cette ligne s’appelle axe central. On l’utilise en dessin pour déterminer l’inclinaison de la tête et pour placer les traits du visage. Blanc : Surface de forme ovoïde qu’on dessine pour figurer la forme générale de la tête chez l’homme. Le crâne humain n’ayant pas la même forme lorsqu’on le regarde de face ou de profil, le blanc de face et le blanc de profil présentent un ovale sensiblement différent. Cerveau : Partie principale de l’encéphale des vertébrés formée de deux hémisphères. C’est la dernière partie de l’encéphale à évoluer et sa participation est essentielle dans tous les types d’activité mentale. Commissutotomisés : Individus ayant souffert de crises épileptiques incurables, dont les problèmes de santé n’ont pu être atténués que par une opération chirurgicale. Cette opération, qui consiste a séparer les deux hémisphères cérébraux en sectionnant le corps calleux, se réalise rarement. On ne compte qu’une dizaine de commissurotomisés.
180 Composition : Rapports déterminés entre les parties ou les éléments d’une oeuvre d’art. En dessin, l’arrangement des formes et des espaces dans le format. Conversion cognitive : Passage d’un état mental à un autre, par exemple du mode-G au modeD ou inversement. Corps calleux : Faisceau compact et massif d’axones réunissant les cortex cérébraux droit et gauche. Le corps calleux permet une communication directe entre les deux moitiés, ou les deux hémisphères, du cortex cérébral. Côté : En dessin, l’endroit où deux éléments se rencontrent (par exemple. l’endroit où le sol et le ciel se rencontrent) : la ligne de séparation entre deux formes ou entre une forme et un espace. Créativité : Aptitude à trouver de nouvelles solutions à un problème ou des modes originaux d’expression : le fait de donner naissance à un élément nouveau pour l’individu. Espace négatif : Surface entourant les formes positives avec lesquelles elle possède un ou plusieurs côtés communs. L’espace négatif est limité par le format. Etats de conscience : Le concept encore mal précisé de conscience est employé dans cet ouvrage pour désigner la perception constamment variable qu’a l’individu de ce qui se passe dans son propre esprit. Un état de conscience modifié est un état de conscience largement perçu comme différent de l’état de veille ordinaire. Certains états subjectifs différents nous sont familiers : le rêve, la méditation... Format : Forme particulière de la surface peinte ou dessinée — rectangulaire, circulaire, triangulaire etc. —, proportions de cette surface, par exemple le rapport entre la longueur et la largeur dans le cas d’un rectangle. Grille : Lignes perpendiculaires horizontales et verticales régulièrement espacées, qui divisent la surface d’un dessin ou d’une peinture en petits carrés ou rectangles. S’utilise généralement pour agrandir un dessin ou pour favoriser la perception des relations spatiales. Hachure : Superposition croisée de différentes séries de traits parallèles qui marque les ombres ou le volume dans un dessin. Hémisphères cérébraux : La partie extrême du cerveau antérieur, nettement divisée en deux parties à la gauche et à la droite du cerveau. Se compose essentiellement du cortex cérébral, du corps calleux, des ganglions basilaires et du système limbique. Hémisphère droit : Moitié droite du cerveau (située à la droite de l’individu observé). Pour la plupart des droitiers et une large proportion des gauchers, les fonctions relationnelles et spatiales siègent dans l’hémisphère droit. Hémisphère gauche : Moitié gauche du cerveau (à la gauche de l’individu observé). Pour la plupart des droitiers et une large proportion des gauchers, les fonctions du langage siègent dans le cerveau gauche. Image : Image rétinienne : image optique d’objets réels perçus par les organes de la vue, interprétée par le cerveau.
181 Images conceptuelles : Images d’origine mentale, intérieure (l’ « oeil de l’esprit ») plutôt que d’origine perceptuelle, extérieure : images généralement simplifiées, plus souvent abstraites que réalistes. Imagination : Recombinaison d’images mentales issues d’expériences passées, en une structure originale. Intuition : Connaissance directe et apparemment non médiate ; jugement, signification ou idée qui se présente à une personne sans intervention connue d’un phénomène quelconque de pensée rationnelle. Ce jugement est souvent le résultat de critères minimes et semble « issu de nulle part ». Latéralisation hémisphérique : Différenciation au niveau de leurs fonctions, des deux hémisphères cérébraux. Ligne de contour : En dessin, ligne qui représente le côté d’une forme. Mode-D : Mode de traitement des informations défini comme simultané, global, spatial et relationnel. Mode-G : Mode de traitement des informations défini comme linéaire, verbal, analytique et logique. Niveaux des yeux : En dessin de perspective, ligne horizontale vers laquelle semblent converger les lignes situées en dessous d’elle dans un plan horizontal. En portrait, ligne de proportion qui divise la tête en deux horizontalement ; la position des yeux sur ce repère, au centre de la tête. Perception : Conscience, ou prise de conscience, des objets, des relations, ou qualités — intérieures ou extérieures à l’individu — au moyen des organes des sens et sous l’influence des expériences précédentes. Perception globale: Dans les fonctions cognitives, traitement simultané d’une quantité d’informations en une configuration d’ensemble, par opposition au traitement successif d’éléments séparés. Qualité expressive : Différences légères qui distinguent les individus dans la manière dont ils perçoivent la réalité et représentent le résultat de leurs perceptions dans une oeuvre d’art. Ces différences expriment les réactions intimes de l’individu aux stimuli perçus ainsi que son coup de crayon original, déterminé par ses particularités physiologiques motrices. Raccourci : Manière de représenter les formes sur une surface plane de sorte qu’elles semblent émerger de cette surface ou s’en éloigner : procédé permettant de créer une sensation de profondeur et de volume dans le dessin des formes et des personnages. Symbolique : En dessin, ensemble de symboles utilisé systématiquement pour former une image, par exemple celle d’un personnage. Les symboles sont généralement employés successivement, l’un en évoquant un autre, de la même manière qu’on écrit un mot familier, le tracé d’une lettre appelant le tracé de la suivante. La symbolique des dessins s’établit généralement pendant l’enfance et persiste durant l’âge adulte, à moins que l’individu n’apprenne de nouvelles manières de dessiner.
182 Traitement des informations visuelles : Usage des organes de la vue pour obtenir des informations de sources extérieures, et interprétation de ces données sensorielles par la pensée. Valeur : Dans le domaine des arts, qualité d’un ton plus ou moins foncé ou plus ou moins clair. Le blanc est la valeur la plus claire, ou la plus élevée, Le noir est la valeur la plus foncée ou la plus basse. Visée : En dessin, évaluation des dimensions par rapport à une mesure constante (le crayon tenu à bout de bras est le procédé le plus courant) ; localisation relative de différents points dans un dessin — position d’un élément par rapport à un autre. Visualiser : Evoquer mentalement la reproduction de quelque chose qui ne peut être perçu par les sens ; voir avec l’ « œil de l’esprit ». Zen : Système de réflexion qui se fonde sur une forme de méditation appelée zazen. Le zazen commence par la concentration, le plus souvent sur des problèmes dont la solution est inaccessible à la raison. La concentration mène au samadhi, « état d’unité » grâce auquel le méditateur perçoit l’harmonie des choses du monde. Après différents stades, l’étape finale du zen est le satori, ou « non mental », état subjectif particulièrement clair dans lequel il est possible de percevoir les détails de chaque phénomène sans évaluation ni réflexion.
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Index Adolescence effets sur le développement artistique, 63-64, 98-99 Bogen Joseph, 29
187 Bouche, 158, 170, 173-174 Boucher François, 105 Brevil, 2 Cerveau, 26-43. Voir également : Commissurotomie, Corps calleux, Traitement des informations, Conversion du mode-G au mode-D, Latéralisation hémisphérique. Cerveau gauche, 37, 39, 55. 76-78 Cerveau droit, 48-49, 55-58, 78-79 visualisation, 37-41 traitement des informations, 35-37 Cézanne Paul, 101 Cheveux, 162-163, 170-171, 174 Coins, 125-127 Col, 160, 171, 174 Commissurotomisé, 29, 30-32 Composition, 98-99 Connaissance deux modes de, 34-35 Conscience, modifications de l’état de, 4-5 Conversion du mode-G au mode-D, 42-43, 50-51, 55, 90 Corinth Lovis, 146 Corps calleux, 28-30. Côtés, 83-84, 105 Cou, 159, 171, 174 Cranach Lucas, 167 Créativité, 6-7 Degas Edgar, 121 Delacroix Eugène, 15, 120 Dessin à l’envers, 50-55 au mode de l’hémisphère droit, 48-49 aptitude au, 2-3, 198-199 de contour, 84-87, 89-93 des espaces négatifs, 100-106, 107-111 de perspective. 122. 123 matériel de. 8, 9 préliminaire. 9-10 réaliste. 7 techniques, 3. 139 visages, 154-164, 166-171, 172-175 Développement artistique enfance, 58-59, 62-82 Dimensions, 123-125. Voir également Perspective. Proportions Dürer Albert, 5,77, 101, 116, 1117-118, 142, 167 Enfance développement artistique, 58-562-63 stades, 64-76 enseignement, 195-199 Espaces négatifs, Voir Dessin et Exercices Exercices
188 coins de pièce, 125-127 dessin de contour, 84-87, 89-93 dessin de perspective, 122-123 dessin des espaces négatifs, 101-103 ombres, 182-185, 185-186 profils, 155-156, 167-172. 173-175 têtes, 140-141, 143-14 vase et visages, 46-48, 49-50 viseur, 105-106 Format, 98-100 Fuseli Henry, 180-181 Galin David, 35, 196 Gazzaniga Michael, 29. 31 Hémisphères cérébraux, voir Cerveau gauche et Cerveau droit Hockney David, 199 Hokusai, 193, Homer Winslow, 113 Klee Paul, 74 Kokoschka Oskar, 149 Latéralisation hémisphérique, 59 Levy Jerre, 29, 30 Ligne utilisation de la, 20-23 Lunettes, 159 Matériel, voir Dessin, matériel Matisse Henri, 3, 100, 141 Menton, 159 Miró Joan, 99 Modigliani, 141 Morandi Giorgio, 187 Myers Ronald, 28 Nebes Robert, 29 Nez, 157, 169, 170. 173 Nicolaides Kimon, 83 Ombres, 180-186 Oreille, 160-161. l70 Ornstein Robert, 78 Parole et le cerveau 32,34 Paysage dessins d’enfants, 68-70 Perspective, 116-123. Voir également Dessin
189 Picasso Pablo, 20, 21, 52, 74, 141, 199 Portraits, 7-8. 137-139. 155-175 Profils, 147-137 Proportions. 134-137
Réalisme. 7-8. 72-76 Rembrandt. 23. 184 Rodin Auguste, 5 Rubens Pierre-Paul, 113
Sandys Anthony Frederick Augustus, 162 Sharrington Charles. 41 Signature, 20-21 Sperry Roger W., 28-3 I Symboles, 65-66. 76-82
Tart Charles, 42 Tête, 137-139 dessin, 140-141. 143-145, 147-151 proportions, 141-142 Tiepolo Giambattista, 51 Toulouse-Lautrec Henri de, 100 Traitement des informations, 34-36 hémisphère droit, 35-37 Trevarthen Colwyn, 28, 23
190 Utilisation préférentielle de la main droite ou de la main gauche, 43
Van Gogh Vincent, 16-17, 142. 146 Vase et visages, 46-48, 49, 50 visages, 154. Voir également bouche, cheveux, cou, lunettes, menton, nez, oreilles, yeux vue de face, 172-175 vue de profil, 155-163 vue de trois quarts, 166-l 75 Vision et dessin, 3-4, 23 influence de la symbolique, 76-82 Visualisation, 37-42 Vogel Philip, 29 Visée, 119-121, 123-125. 128 Viseur, 104-106 Vision et dessin, 3-4,23 influence de la symbolique, 76-82 Visualisation, 37-42 Vogel Philip, 29 Yeux, 156, 169-170, 173
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