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Agar D'albert Memmi

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Ce document est la propriété exclusive de Wenyan Yang ([email protected]) - 09 mars 2012 à 05:28 Afifa Marzouki Agar d'Albert Memmi L 'HARMATTAN Ce document est la propriété exclusive de Wenyan Yang ([email protected]) - 09 mars 2012 à 05:28 <Ç)L'Harmattan 2007 S-7 rue de l'École Polytechnique; Paris Se www.librairieharmattan.com harmattan [email protected] [email protected] ISBN: 978-2-296-03082-4 EAN : 9782296030824 Ce document est la propriété exclusive de Wenyan Yang ([email protected]) - 09 mars 2012 à 05:28 QUELQUES REPÈRES mSTORIQUES : Notes sur la présence de la communauté juive en Tunisie à l'époque de la publication du roman de Memmi Après avoir été, depuis 1574, une province de l'Empire ottoman, la Tunisie devient, dès 1881, un Protectorat français sous occupation militaire, ce qui signifie que, même si le Bey reste le souverain en titre, c'est le résident général français qui contrôle toute la politique du pays. Les Juifs, comme leurs concitoyens musulmans, sont des sujets du Bey. La présence des Juifs en Tunisie est mentionnée depuis la destruction du premier Temple mais aussi avec les expéditions commerçantes des Phéniciens et depuis l'époque romaine. A Tunis, la «Hara », quartier juif du nord-ouest de la médina, date du onzième siècle. Mais, dès le 17èmesiècle, à la communauté juive autochtone, une autre communauté juive venue du Portugal en passant par Livourne, est venue s'installer à Tunis. Plus évolués, ces Juifs européens se sont mal intégrés à la communauté autochtone juive, ce qui explique qu'en 1741, ils avaient leurs propres tribunaux rabbiniques, leurs synagogues particulières et même, en 1850, leurs cimetières spécifiques. Ce n'est qu'en 1944, qu'un décret beylical a fini par unifier les deux structures communautaires. 5 Ce document est la propriété exclusive de Wenyan Yang ([email protected]) - 09 mars 2012 à 05:28 Entre 1948 et 1953, la tendance sioniste qui a beaucoup d'adeptes parmi les Juifs les plus démunis, se renforce et se manifeste par 15 000 départs en Israël mais, par ailleurs, des intellectuels et des Juifs de gauche s'engagent sur place, au même titre que leurs concitoyens musulmans, dans la lutte sociale et anticoloniale. Plusieurs Juifs de Tunis ont joué un rôle actif dans la lutte nationaliste tunisienne, certains sollicités par le parti nationaliste tunisien, le Destour, d'autres intégrant la première Section communiste de Tunisie. Lors de la deuxième guerre mondiale, les troupes allemandes débarquent à Tunis en novembre 1942 et occupent le pays. Malgré l'opposition de Moncef Bey, les Allemands imposèrent à la communauté juive de fortes amendes, la synagogue fut transformée en dépôt allemand, tous les jeunes juifs de 18 à 28 ans furent envoyés dans les camps de travail. Après avoir été le dernier bastion des Nazis en Afrique du nord, la Tunisie sera libérée en mai 1943 par les troupes alliées. Le régime colonial, très favorable aux colons européens, va durer jusqu'en 1955, date de l'autonomie interne du pays. Ce n'est qu'en mars 1956 que la Tunisie accède à l'indépendance. La République est instaurée en 1957 après deux siècles et demi de beylicat et de pouvoir dynastique husseinite. Le code du statut personnel stipulant l'égalité juridique de I'homme et de la femme est promulgué dès 1956. Les Juifs sont appelés à prendre part aux élections de l'assemblée constituante en tant que candidats et électeurs. En 1956, le premier gouvernement de l'indépendance compte un député et un ministre juifs tunisiens. C'est la guerre franco-tunisienne de Bizerte, en 1961, et, en 1967, la guerre israélo-arabe qui accélérèrent le départ des Juifs de Tunisie vers Israël et surtout vers la France. 6 Ce document est la propriété exclusive de Wenyan Yang ([email protected]) - 09 mars 2012 à 05:28 De nos jours, on ne compte plus que deux mille juifs tunisiens résidant à Djerba, Tunis, Sousse, Nabeul, Sfax et Gabès. Les langues en Tunisie à l'époque coloniale Depuis la fondation de Kairouan (670), première ville musulmane du Maghreb, une révolution linguistique s'amorce: le pays habité par des idolâtres, des Juifs et des chrétiens et dominé par la langue berbère, s'islamise et l'arabe se répand. Progressivement, c'est l'arabe dialectal qui devient la langue de tous les citoyens tunisiens, juifs et musulmans confondus. N'ont accès à l'arabe classique, langue officielle, celle de l'écrit et de la grande littérature, que ceux qui l'ont apprise à l'école. C'est ce qui explique que, dans Agar, le narrateur et ses parents analphabètes échangent dans la langue tunisienne, l'arabe dialectal. Quant au français, langue dans laquelle Memmi écrit et qu'il a apprise sur les bancs de l'école, il était enseigné dès le primaire avant et après l'indépendance. Il devient dès 1881 la langue de prestige donnant accès à l'enseignement moderne et la marque de l'élite sociale mais il est présent à l'École militaire du Bardo dès le début de la seconde moitié du XIXè siècle. A côté de l'institution religieuse musulmane, la Zitouna, dispensant un enseignement exclusivement en langue arabe, est créé, en 1875, le collège Sadiki par le premier ministre réformiste du Bey Mohamed Sadok, Khéreddine. Cette école axe son enseignement sur les langues et les sciences exactes. En 1878, s'ouvre à Tunis la première école de l'Alliance israélite universelle où Memmi effectuera ses premiers 7 Ce document est la propriété exclusive de Wenyan Yang ([email protected]) - 09 mars 2012 à 05:28 apprentissages et dont les programmes accordent une place importante à la langue et à la culture françaises. Cette école assurait ainsi à la jeune génération la possibilité de continuer ses études dans les écoles et universités françaises, comme ce sera le cas pour Albert Mernrni. 8 Ce document est la propriété exclusive de Wenyan Yang ([email protected]) - 09 mars 2012 à 05:28 PLACE D'ALBERT MEMMI DANS LA LITTÉRATURE TUNISffiNNEFRANCOPHONE La littérature tunisienne de langue française voit le jour après l'implantation du Protectorat français en 1881 et ne concerne donc que le XXèmesiècle. Dans la première moitié du siècle, des écrivains tunisiens arabes musulmans ou appartenant aux minorités juives, italiennes ou maltaises publient des récits et des textes poétiques mais l'ensemble de cette littérature coloniale reste marqué par le sceau de l'exotisme et des stéréotypes. Œuvres ethnographiques cultivant le pittoresque, ces textes autochtones sont, dans l'ensemble, écrits pour un regard étranger et optent pour une vision folklorique où la couleur locale et les charmes de l'Orient relèvent plus du cliché que d'une réflexion rigoureuse et réellement originale. Nous pouvons en citer quelques exemples, peu connus mais aux titres souvent révélateurs: Théodore Valensi, Yasmina, roman arabe (1922); Marius Scalési, Poèmes d'un maudit (1924) ; Mahmoud Aslane, Scènes de la vie du bled (1932); Ryvel, Lumières de la hara (1935); Tahar Essafi, Le Collier d'émeraude (1937). Il faut donc attendre 1953 et La Statue de sel d'Albert Memmi, pour enregistrer le premier texte relevant d'une littérature autonome, celle des premiers éveils et des premières revendications qui a fait émerger de nouvelles préoccupations et de nouveaux accents. C'est donc Albert Memmi qui donne le vrai coup d'envoi à cette jeune 9 Ce document est la propriété exclusive de Wenyan Yang ([email protected]) - 09 mars 2012 à 05:28 littérature tunisienne d'expression française qui n'a pas cessé depuis de se développer et de se diversifier. Autour des années 70, en effet, de nouveaux écrivains tunisiens marquent le paysage littéraire francophone, poètes, romanciers et essayistes résidant et publiant à l'étranger ( France, Canada, Italie), comme Mustapha Tlili, Hédi Bouraoui, Tahar Bekri, Abdelwahab Meddeb, Faouzi Mallah, Majid El Houssi, Amina Saïd, Hélé Béji, Faouzia Zouari, etc., et de grands noms vivant et publiant en Tunisie, comme Salah Garmadi, Moncef Ghachem, Abdelaziz Kacem, Samir Marzouki, Ali Bécheur, Anouar Attia, Amna Belhaj Yahia et bien d'autres. Albert Memmi : l'homme Chronologie 1920 : Naissance à Tunis de parents juifs tunisiens. Son père Fradji, artisan bourrelier et sa mère, Maïra Sarfati, femme au foyer, étaient arabophones. 1939 : Obtention du baccalauréat après des études au lycée français de Tunis. 1942-43 : Fait, « à peu près volontairement» (Le Nomade immobile; Arléa, 2000, p.62) l'expérience des camps de travail dans l'Est tunisien. 1944 : A la fin de la guerre, année universitaire à Alger, dans des conditions matérielles difficiles. 1945 : Premier séjour à Paris pour y poursuivre ses études universitaires. 1946 : Études de philosophie à la Sorbonne. Mariage avec Germaine Dubach, agrégée d'allemand et plus tard professeur à Paris VIII. 10 Ce document est la propriété exclusive de Wenyan Yang ([email protected]) - 09 mars 2012 à 05:28 1948-1952: Occupe plusieurs postes d'enseignement à Tunis. 1953 : Première rencontre avec J-P. Sartre à Paris. Prix de Carthage, à Tunis, pour La Statue de Sel. 1954 : Prix Fénéon, à Paris pour La Statue de Sel. 1955 : Rencontre avec Albert Camus. Collaboration à la fondation de l'hebdomadaire tunisien Afrique-Action qui deviendra plus tard Jeune Afrique. 1956: Départ définitif en France où il est attaché de recherche au CNRS. 1970 : Il est nommé Professeur (chaire de sociologie de la culture) à l'Université de Paris X- Nanterre. 1978 : Prix Simba, à Rome, pour l'apport africain de son œuvre. 1995 : Grand Prix littéraire du Maghreb à l'UNESCO. 2004 : Prix de la Francophonie de l'Académie française, pour l'ensemble de son œuvre. Traduite dans une vingtaine de pays, son œuvre fait de lui une figure-phare de la littérature maghrébine francophone. Biographie Albert Memmi est né en 1920 à Tunis, dans une impasse du quartier populaire juif. Son père, Fradji, artisan bourrelier et sa mère Maïra Sarfati, femme au foyer, parlaient l'arabe, leur langue maternelle. Après des études à l'école primaire de la rue Malta-Srira de Tunis, il obtient une bourse d'études au lycée Carnot où il fut l'élève admiratif de Jean Amrouche et d'autres professeurs qui l'ont marqué: «Le lycée m'a sorti du ghetto et décrassé l'esprit de ses ténèbres. », écritil dans Le Nomade immobile (idem, p.42). Il connaît des Il Ce document est la propriété exclusive de Wenyan Yang ([email protected]) - 09 mars 2012 à 05:28 années difficiles durant la guerre et fait notamment l'expérience des camps de travail auxquels les forces d'occupation allemandes astreignaient les jeunes Juifs. Après l'obtention du baccalauréat et un passage à l'université d'Alger, il poursuit, après la guerre, des études de philosophie à la Sorbonne. Mais s'il tire beaucoup de fierté de son parcours scolaire exemplaire, l'écrivain ne manque pas d'en signaler les frustrations: «J'ai détesté l'école primaire, où j'étais sujet à de brusques angoisses parce que je ne comprenais pas le français; j'ai détesté le lycée, parce que je m'y sentais, parce que j'y étais un étranger parmi les enfants de la bourgeoisie; j'ai détesté l'université, parce que j'y étais désespérément déçu par des maîtres que j'admirais de loin, par la philosophie, élitaire et abstraite, de la Sorbonne, qui ne me concernait pas. » (Le Nomade immobile, p.25) En 1946, Albert Memmi se marie à Paris avec Germaine Dubach, une germaniste issue d'une famille catholique lorraine et dont il aura trois enfants dont deux nés à Tunis. En effet, à partir de 1949, il revient au pays natal où, après un séjour dans l'appartement familial, il s'installe avec sa femme dans une villa de la proche banlieue chic de Tunis: Mutuelleville. Il occupe plusieurs postes d'enseignant jusqu'en 1956, date à laquelle il revient définitivement à Paris. A Tunis, Memmi soutient la lutte de ses compatriotes contre la colonisation, affiche son hostilité à la confusion du religieux et du séculier dans le monde moderne et affirme la nécessité de la laïcité pour la libération de la femme et de la société. En 1953, son premier roman, La Statue de sel, eut un succès qui ne s'est jamais démenti. La publication d'Agar suit, deux ans plus tard, mais c'est surtout Portrait du colonisé, son premier essai, paru en 1957 et préfacé plus tard par Jean-Paul Sartre, qui assura à Memmi la renommée qu'on lui connaît. 12 Ce document est la propriété exclusive de Wenyan Yang ([email protected]) - 09 mars 2012 à 05:28 De retour en France, l'écrivain est d'abord attaché de recherche au CNRS, puis titulaire d'une chaire de sociologie de la culture à l'Université de Paris X- Nanterre. Paris lui a donné l'opportunité de rencontrer Albert Camus, Aragon, Mauriac et Léopold Sédar-Senghor et aussi de se lier d'amitié avec Vercors, Claude Roy, Edgar Morin et bien d'autres écrivains et intellectuels. Cependant, le tempérament de l'écrivain, peu enclin à adhérer aux écoles et aux partis et à se rallier aux grandes idées et courants en vogue (marxisme, lacanisme, existentialisme, structuralisme etc.), son hostilité au parisianisme culturel mais aussi son franc-parler et le fait qu'il ait compté, malgré la nationalité française qu'il avait demandé et obtenu, comme un écrivain francophone et donc appartenant à la périphérie, ont certainement joué un grand rôle dans sa relative marginalisation dans le monde des lettres et des arts français. Professeur à la retraite, Memmi vit toujours dans le quartier parisien du Marais où il continue à publier et à mettre en ordre ses nombreux manuscrits dont il vient de léguer une partie à la Bibliothèque Nationale de Paris. L' œuvre A l'exception du recueil de nouvelles, Térésa et autres femmes, dernière publication de l'écrivain, l'ensemble de l' œuvre de fiction, aussi bien les récits que la poésie, a pour cadre général la Tunisie et a de larges échos autobiographiques. Si on peut considérer La Statue de Sel comme le texte le plus révolté, Le Mirliton du Ciel représente l' œuvre la plus nostalgique et la plus apaisée. 13 Ce document est la propriété exclusive de Wenyan Yang ([email protected]) - 09 mars 2012 à 05:28 Ce qu'on peut remarquer, c'est que les écrits de Memmi, dans leur diversité, tournent autour de grands axes thématiques et nous renvoient sans cesse les sujets qui ont toujours préoccupé l'écrivain. Si l'univers fictionnel de Memmi est campé sur un fond d'interrogations sur le pays natal, la colonisation, les minorités ethniques, la communauté juive, la pauvreté, l'autonomie du religieux et du séculaire ou la relation de couple, ses essais ne font que creuser la réflexion, mais cette fois sur le mode théorique, analytique et argumentatif, sur ces mêmes sujets brûlants. Qu'il s'agisse en effet de Portrait du colonisé, de Le Racisme, de Portrait d'un Juif, de La Dépendance, de Bonheurs ou du Dictionnaire critique à l'usage des incrédules, le lecteur retrouve les problématiques memmiennes les plus spécifiques qui font de l'écrivain un philosophe et un penseur de I'humain dont la rigueur de l'acuité intellectuelle est toujours modulée par une généreuse sensibilité. Dans toute son œuvre s'expriment le désir et l'urgence d'une vision claire des choses et du monde car l'écriture y fonctionne comme une opération de nettoyage et de mise en ordre de tout ce qui dans la mémoire et dans la conscience, demeure brouillé et trouble. Un peu à la manière de Marcel, personnage du Scorpion, l'écrivain essaye de « se décrasser l'âme ». Le retour, parfois dans les mêmes termes, des mêmes interrogations, la reprise des mêmes scènes ou d'un même personnage, l'auto-citation ou le commentaire décalé, dans l'ensemble de l' œuvre, relèvent de cette volonté de mieux s'expliquer, de mieux dire et approfondir des questions essentielles et de faire de l'œuvre une œuvre ouverte, toujours à compléter, à réactualiser. Comme de nombreux romans maghrébins, les récits de Memmi, d'inspiration autobiographique, expriment souvent une crise identitaire à laquelle l'œuvre ne peut 14 Ce document est la propriété exclusive de Wenyan Yang ([email protected]) - 09 mars 2012 à 05:28 répondre que d'une manière parcellaire et précautionneuse. Étranger, inadapté ou vivant «dans l'éparpillement, le doute et le détresse historique» (Le Scorpion, p.150, Folio, Gallimard, 1969), le héros memmien, de La Statue de Sel au Pharaon, soucieux de «recoller les morceaux» (Le Scorpion, idem, p.207) de son identité, « n'a pas résolu ce problème fondamental: comment être d'un peuple et de tous?» (Le Pharaon, p. 372, Julliard, 1988). Il balance sans cesse entre l'attachement sentimental et sensuel à sa « tribu» et la fascination pour la froide rigueur du rationalisme universel, mouvement désigné, dans Le Mirliton du ciel, par l'image de la danse. Cette quête de l'identité est souvent doublée de la peur de l'incompréhension d'autrui, de déchoir à ses yeux pour avoir pris un parti plutôt qu'un autre, crainte d'être mal vu des siens, pour avoir choisi l'exil et souci d'être marginalisé par les autres pour avoir affirmé ses distances vis-à-vis d'eux. Dans ce contexte précis, écrire équivaut à dissiper le malentendu, réfuter les soupçons, s'expliquer directement ou indirectement, rejeter « la vieille accusation de traîtrise» (Le Désert, p. 236, Folio, Gallimard, 1977) et l'assimilation du départ à la fugue du « voleur» (Le Scorpion, idem, p.250). Revendiquant une triple culture, Memmi est un écrivain humaniste dont l' œuvre tente de concilier l'ancrage culturel particulier et les valeurs universelles, comme l'illustre bien la dédicace du Mirliton du Ciel (<